À Bayonne, l’architecture contemporaine a droit de cité. Pour les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques, découverte(s) avec pour guide, local de l’étape, l’architecte Patrick Arotcharen.
Après deux premières étapes éprouvantes, le peloton pourra souffler sur le plat avec cette étape de 185 km qui va le ramener en France jusqu’à Bayonne via le département des Pyrénées-Atlantiques. Ce sera l’occasion pour les sprinteurs de se mettre en valeur, surtout le vainqueur du sprint d’ailleurs. Un maillot vert dans les Pyrénées, pour un sprinteur du tour ce doit être quelque chose ! À moins qu’un groupe de baroudeurs bien en jambes et sans danger pour le maillot jaune ne prenne la poudre d’escampette et que l’un d’eux parvienne à résister jusqu’à la ligne d’arrivée.
Les suiveurs pourront donc découvrir cette fois le Pays basque français dont l’innovation architecturale, à l’inverse des provinces au sud des Pyrénées, ne saute pas aux yeux. En effet, quand une région se renferme sur sa vocation touristique, soit elle promeut la nouveauté, cf le Guggenheim à Bilbao, soit elle flatte un côté exotique, voire folklorique, pensant que c’est ce que veulent les touristes. Le Pays basque français est donc devenu le royaume du pastiche, la fameuse « ferme basque », qui confine au paraître quand des zones industrielles se mettent à lui ressembler, illustrant une dichotomie violente entre le contenu et le contenant.
Pour s’en convaincre, les suiveurs passeront par le nouveau centre-ville d’Hendaye, symbole s’il en est de l’épuisement en France de la culture architecturale. Ils trouveront un projet de 324 appartements et plus de 2 600 m² de commerces et d’activités intitulé Hegoaldea, inauguré en 2019, projet porté par Kaufman&Broad et conçu par les architectes Alain Hoarau et Juan Eizmendi. Selon le communiqué de presse des investisseurs, ce projet signe « le renouveau du centre-ville d’Hendaye et revisite les codes de l’architecture néo-basque ».
Ce projet Hegoaldea serait donc du ‘néo-basque’ revisité ? Comment en 2019 un tel projet, qui évoque un village de vacances dessiné par Disney, peut-il aujourd’hui définir le centre-ville d’Hendaye ? Les édiles n’avaient pas pensé à Franck Gehry ? Et quel Basque avec un peu de fierté a envie de se voir revisité de la sorte ? D’autant que les maisons à colombages étaient issues d’une économie rurale et ne correspondent pas à l’évolution des villes.
Les suiveurs, au fil du parcours de cette étape, verront dans la campagne quelques-unes de ces fermes et s’apercevront peut-être qu’il s’agit d’un monolithe violent planté au milieu d’un champ et destiné à protéger des éléments les animaux, le foin et les gens. Et voilà le colombage devenu un marqueur de l’architecture basque quand, plutôt que l’image, il aurait plutôt fallu retenir la logique de construction, dont les soubassements avec des matériaux à forte minéralité, soubassements en pierre que l’on retrouve justement à Bayonne, ville inondable !
Les suiveurs du tour de l’architecture contemporaine noteront cependant qu’ici et là apparaît un autre rapport à la nature puisqu’il faut désormais construire sur les coteaux. Comment construire sur des coteaux vallonnés et déjà « végétalisés » sinon en utilisant des systèmes plus légers, au milieu des arbres ? Fusion de l’architecture et de la nature, c’est la démarche singulière de l’architecte basque Patrick Arotcharen, engagée quand il n’était pas encore question d’écologie, qui édifie ses bâtiments sur pilotis.
Certes, en construisant de la sorte, l’eau ruisselle sous le bâtiment, là où sont garées les voitures mais, surtout, cela permet de concevoir des bâtiments adaptés au climat. « Ici, nous pouvons vivre dehors huit mois sur douze. La température moyenne en janvier est de 11°, nous vivons dedans/dehors et il faut se protéger de la pluie mais non du froid. La géographie et le climat sont aussi importants que l’histoire » soutient l’architecte. La preuve par son agence en ville !
Les suiveurs en étaient cependant déjà convaincus après leur escale à Saint-Jean-De-Luz, pour visiter le siège social de Quiksilver Na Pali, une pause incontournable pour les amoureux de sport. Alors que l’époque, il y a déjà une vingtaine d’années, était encore dans un rapport patrimonial avec la nature – dit autrement, personne ne voulait de « cabanes » – Patrick Arotcharen a rencontré un maître d’ouvrage issu du milieu du surf, lequel ne compte que de grands voyageurs entretenant un rapport fort, voire sacré, avec la nature. « À partir d’une approche cosmopolite, nous avons pu réaliser une architecture ancrée dans le territoire, permettant de vivre dehors, fusion de la culture du surf et de la ruralité », explique Patrick Arotcharen. Ou comment la réalisation d’un édifice de 15 000 m² et les 400 places de stationnement qui l’accompagnent ont déplacé le travail de l’architecte de l’architecture vers le paysage.
« Nous avons choisi de construire à flanc de collines pour libérer les crêtes et redessiner le profil des vallons boisés. Nous avons exploité l’imaginaire de la forêt en travaillant les poteaux de structures comme des troncs d’arbres. Notre désir était de désacraliser l’univers du bureau et de faire des espaces de travail des lieux de plaisir et de contemplation de la nature. Nous voulions sortir de l’univers formel de la vie au bureau où l’ordre et l’organisation forgent une esthétique contraignant les usages », poursuit l’homme de l’art pour qui l’objectif est « d’offrir aux utilisateurs un cadre de vie et de travail qui donne le plaisir du parcours et du séjour dans la nature ».
« Cette entreprise n’est ni une banque ni un musée. Une forme de chaos et de désordre apparent fait partie de sa culture. Non pas par faiblesse, mais parce qu’elle est en perpétuel mouvement. Le temps n’apparaît jamais suspendu. Aucun rêve d’architecte baignant dans un fantasme de volumes épurés et de parois vierges ne peut contenir ce flot de vie », dit-il. « Et puis, sur une colline, on n’envoie pas le bulldozer, on conserve tous les arbres, on ne touche pas les sols… ».
Dire que ce bâtiment au départ anticonformiste répond un quart de siècle plus tard à tous les standards contemporains !
Le métal, facette de l’histoire industrielle de tout le Pays basque, fait partie de ces éléments légers que l’architecte met également en œuvre. En témoigne notamment, à Anglet, encore exactement sur la route qu’empruntent les suiveurs du Tour, l’Institut Supérieur Aquitain du Bâtiment et des Travaux Publics (ISA BTP), livré par Patrick Arotcharen pour la rentrée 2022. Symbole, l’ouvrage de 4 200 m² est destiné à former davantage d’élèves-ingénieurs appelés à devenir conducteurs de travaux, ingénieurs en bureau d’études, bureau de contrôle, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Pour tous ceux-là, l’intérêt pédagogique du cursus commence avec le bâtiment lui-même.
L’ouvrage offre en effet des solutions efficaces et peu complexes en matière de confort thermique, de chauffage et de climatisation. Via des puits géothermiques, il est équipé de pompes à chaleur, la température du sol servant à chauffer en hiver et à rafraîchir en été. L’exposition du bâtiment permet également de ne pas implanter de climatiseurs dans les salles et d’utiliser la ventilation naturelle des locaux.
Arrivés à Bayonne, les suiveurs peuvent désormais, en poursuivant la visite avec leur guide, découvrir plusieurs synthèses des recherches de Patrick Arotcharen au travers de ses réalisations. À commencer par le Siège social de l’Office 64 de l’Habitat qui, par son architecture et son inscription sur le site, « impose à l’entrée de la ville une monumentalité à la fois discrète et signifiante qui réinterprète les codes de l’architecture publique ».
Le bâtiment de 4 264m² SHON, livré en 2011, s’infiltre en tangence avec la voirie et développe « des volumes sensiblement prismatiques » qui mettent en tension le tracé de l’axe routier : le défilement des automobiles est ainsi mis en miroir avec les lignes séquencées de l’architecture.
Une première lame végétalisée, telle une émergence du sol, abrite les ateliers et l’entrée du bâtiment qui, au second plan, développe une façade conçue à la fois comme capteur et filtre : l’élévation-serre absorbe et canalise la lumière, limite ainsi les échanges de température entre intérieur et extérieur. Un système de ventilation double flux épaule cette diffusion/évacuation des calories selon les saisons tandis que le béton du gros œuvre, isolé par l’extérieur, assure l’inertie thermique du bâtiment.
« Loin de l’enveloppe inerte, la façade est ainsi une épaisseur que justifie et compose la dimension environnementale. À ce titre, elle est davantage le résultat d’une addition de paramètres environnementaux qu’une composition graphique », souligne l’homme de l’art.
Poursuivre ensuite avec la Chambre des Métiers et de l’Artisanat de Bayonne (CMA), un bâtiment de 9 800m² livré en 2012. Posé sur le relief identifiant les franges urbaines de la ville, l’ouvrage expose des rapports de volumes, de plans, d’équilibres et de rythmes qui définissent un lieu à la fois confidentiel et public.
« Entre le coteau et le boulevard ourlé de peupliers sont étirées deux lames couvertes de végétation, connectées par deux segments perpendiculaires et culminants (pôle administratif et entrée au nord, locaux d’enseignement général au sud). Les volumes horizontaux et parallèles au boulevard s’articulent le long d’une rue intérieure bardée de bois, qui expose les détails de la construction : elle est le lieu de convergence des circulations, un espace de convivialité et d’échanges favorisé par son ouverture sur l’extérieur et sa luminosité généreuse », explique Patrick Arotcharen.
« À peine voilée par les peupliers, la CMA est un bâtiment à cheval entre le monument et l’instrument, entre la symbolique publique et les logiques de l’utile », dit-il.
Enfin, les amoureux de sport finiront la promenade en faisant le tour du Stade Jean Dauger, domicile de l’Aviron Bayonnais, club que connaissent bien les amateurs de rugby et rénové depuis 2021. Ici encore, l’intention de l’architecte, avec ce stade en pleine ville mais situé sur une ceinture verte est d’articuler le paysage et la vie urbaine dans le cadre d’activités sportives dans un parc.
« Le cheminement des spectateurs s’opère depuis le sommet du talus vers les accès en tribunes par le biais d’escaliers et passerelles qui enjambent le vide au travers des frondaisons d’une canopée végétale », précise l’architecte à l’attention des suiveurs.
Ces derniers auront encore tout le temps de rejoindre la salle de presse et d’assister au sprint final. Quand ils auront écrit leurs papiers et réalisé leurs reportages, après cette longue journée, entre le navarin d’agneau, l’axoa de veau, le poulet à la basquaise, les chipirons, la potée de truite de la Nive, la fameuse piperade et le salmis de palombe, ils n’auront que l’embarras du choix pour se sustenter et se souvenir encore de l’hospitalité, y compris gastronomique, des Basques depuis trois jours qu’est lancé le tour.
Christophe Leray (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018