Le projet d’EuropaCity permet de réinterroger le concept de centre, dont la nature et la forme évoluent. La place de l’automobile change, les mobilités se diversifient, le plaisir d’être en ville devient une activité partagée, la flânerie accompagne l’achat. De replié sur lui-même, fermé, le centre ne sera bientôt plus une simple accumulation de fonctions. Tout indique en effet qu’il doit s’ouvrir sur l’espace public et retrouver ses lettres de noblesse, dans la grande tradition de la ville européenne. Plutôt que d’être à la remorque de vieux modèles, soyons à la pointe du progrès !
Le centre des villes a changé de nature sous les effets conjugués de la vitesse et de l’attention marquée pour l’environnement. C’est la ville, au sens le plus large, qui doit en être le grand bénéficiaire. Pourtant rien n’est moins sûr car le «concept de centre» reste villageois, monolithique, fermé, alors que tout nous dit que l’avenir se joue sur un changement de comportement, et donc sur un changement de forme, notamment lié à l’évolution des mobilités. Un nouveau rapport à la ville est en jeu.
Le projet d’EuropaCity suscite des polémiques. Il mérite donc une réflexion, surtout si l’on considère ses ambitions. Il s’agit de la construction d’un ensemble de 800 000m², intégrant notamment 230 000m² de commerces, des loisirs et des équipements culturels. L’objectif affiché est de revitaliser le nord de Paris à partir du «triangle de Gonesse». Le Grand Paris pourra-t-il se faire et avoir du sens pour la population ?
Ce qui est surprenant dans ce projet est que l’on tente d’enfermer, de capturer «l’essence et le dynamisme de la ville», dans une enceinte, dans un espace de plus en plus grand, de plus en plus gros, étouffant. Sous couvert de polyvalence, on juxtapose, on emballe des activités, le tout sous une canopée mensongère. La culture serait de la fête, donc pas de raison de s’inquiéter. Nous touchons le fond du pire fonctionnalisme qui tente de se parer des atours de la mixité.
Des voix se sont élevées, d’où l’idée de faire évoluer le projet vers un nouveau concept de centralité urbaine. C’est donc le moment d’essayer de comprendre ce que l’on peut reprocher à cette «Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf»*. De plus en plus grosse, la grenouille restera une grenouille, avant d’éclater. Il est temps de changer de paradigme.
Le Grand Paris c’est quoi au juste ?
Un centre de 100 km² et une périphérie qui s’est développée au gré des opportunités. Aujourd’hui, la question est «comment faire ville» ? Comment donner à cette métropole une lisibilité claire pour l’ensemble de ses habitants ? Comment renforcer cette unité territoriale et lui donner l’ampleur et le rayonnement auxquels elle doit légitimement aspirer ? A l’évidence, Paris a un pouvoir d’attraction qu’il faut renforcer. Depuis les années 80, ce mouvement d’attraction centripète ne s’est pas démenti.
EuropaCity sonne comme une utopie. En fait, le projet tel qu’il est présenté ressemble plus à un agglomérat d’activités enveloppées dans un emballage végétal. Qu’est-il réellement ? Tout simplement un centre commercial ancien, un bâtiment qui regroupe des activités et s’isole du reste de la ville, un ersatz d’Edmonton, 40 ans plus tard. La préoccupation urbaine ne semble pas être un sujet pour ce projet. Nous avons aujourd’hui tous les outils pour que le centre se déploie et non qu’il ne se replie sur lui-même. Le numérique est arrivé, bientôt suivi de la voiture sans chauffeur, le rapport au logement et le monde du travail ont changé mais «les yeux de la grenouille» restent fixés sur l’Amérique d’hier. Paris serait le plus beau «Bœuf» du monde.
Le Grand Paris suppose un minimum de convergence mais il ne faut pas se tromper d’échelle, de forme, de lieu. Si l’on accepte le choix du lieu (qui n’est pas évident), si l’on accepte la taille (ce qui reste à voir), la forme repliée, avec l’enfermement qu’elle suppose, est quant à elle difficilement supportable. Une forme antiurbaine, le contraire de ce que notre histoire, notre culture et l’évolution des technologies nous permettent de projeter. L’urbanité doit être le cœur du sujet. Pas un pseudo «projet urbain» mais un projet vraiment exemplaire pour la métropole. C’est possible si l’on prend en considération l’évolution des mentalités et celle engendrée par le développement du numérique.
Le centre commercial, tel qu’il s’est constitué dans les années 60, était essentiellement fondé sur l’automobile, sur la vitesse de consommation et de la distribution. Il a tellement enflé qu’il a vidé les centres anciens de leur substance, les amenant à la limite de l’agonie. Aujourd’hui, l’heure de la convivialité retrouvée a sonné dans bon nombre de villes moyennes. Il faut constater que la recette n’est pas dans la juxtaposition des activités sous une même «canopée», mais dans la reconquête de l’espace public. L’espace public joue un rôle prédominant, de nouvelles activités s’y distribuent.
Avec la prise en compte du réchauffement climatique, la recherche d’économies d’énergie devrait être un guide «d’inventions formelles». Une avenue protégée bordée par des arcades, des passages couverts et bien d’autres propositions pourraient assurer le confort des badauds, des flâneurs des promeneurs de tous genres. Le Paseo, lieu où l’on se rencontre, où l’on se montre, où l’on consomme et où l’on se promène les mains libres et la tête disponible. Le «centre commercial» classique, quelle que soit son architecture, est trop unitaire pour que ce plaisir y advienne. Il n’y a pas de surprise. L’urbain est un sujet public, le privé en est un acteur majeur, mais pas seul.
Indépendamment de toutes les bonnes intentions, il est important que la chose publique existe symboliquement et fortement. L’Etat et les collectivités doivent s’inscrire dans le projet, en contribuant de façon visible à la construction d’une urbanité partagée. La forme d’un centre générateur d’une urbanité moderne doit associer unité et diversité, être stable et dynamique, apte à recevoir toutes les activités, être fortement connectée avec la nature.
EuropaCity doit devenir une réflexion qui se poursuivra sur une vingtaine de projets d’économie mixte, vecteurs d’une dynamique régionale. Des projets «convergents», tous différents, et partageant une même idée de la ville moderne, avec une périphérie fortement associée au centre. Une ville dont le centre principal ralentit, change de nature, pendant que la périphérie se transforme sous l’effet des vitesses maîtrisées. Nous en connaissons les exigences, les paradoxes et nous pouvons en utiliser l’énergie au profit d’une grande ambition.
La métropole du XXIe siècle se dessine comme se dessinait la ville du XVIIIe siècle. La différence ? Notre rapport aux vitesses, aux technologies actuelles et à venir, un rapport et une sensibilité à la présence de la nature, des natures. C’est ainsi que, dans les prochaines décennies, nous aurons préservé notre histoire, notre culture urbaine, celle de la ville européenne, et que nous accueillerons les changements de façon naturelle, sans être assaillis par l’inquiétude. L’avenir de l’humanité est urbain, c’est celui que nous préparons.
Alain Sarfati
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*Référence à la fable de La Fontaine. Ce n’est pas en grossissant que nous atteindrons notre désir de ville, c’est en changeant de paradigme. Regardons la ville dans toutes ses dimensions et nous pourrons créer plus d’emplois, plus d’attractions parce que le bien commun sera au cœur des préoccupations.