
Sébastien Ramirez est un jeune architecte indépendant et débrouillard de 28 ans, comme en témoigne cette serre réalisée à Beuvillers (Meurthe-et-Moselle) avec un budget de zéro euro et des matériaux de récupération. L’occasion pour lui de mener un projet jusqu’au bout, c’est-à-dire de le construire lui-même. Car sinon, de projets, il ne manque point.
Sébastien Ramirez est architecte et, en tant que tel, fait l’objet de sollicitations de ses proches. Il se souvient ainsi du dialogue suivant :
– La maman : Mon fils, j’ai besoin d’une serre dans le jardin.
– L’architecte : D’accord. Quel est ton budget ?
– La maman : 0 euro !
– L’architecte : Je vais voir ce que je peux faire…
En l’occurrence, son premier axe de recherche s’est concentré sur les matériaux : «pour une serre, il faut de la lumière et de la chaleur». Il a d’abord pensé à de la tôle ondulée en polycarbonate : trop cher pour son budget. Puis il a pensé à une bâche, avant d’écarter un matériau ni très esthétique ni très résistant. Sébastien Ramirez est un architecte plein de ressources (on y reviendra d’ailleurs), bricoleur et peu versé au découragement.
«J’aime bien bricoler sur les voitures, j’en avais une sous la main dans le fond du jardin,» explique celui qui fut peut-être mécanicien dans une autre vie. «J’ai dégagé le pare-brise et j’ai planté un clou dedans, pour voir comment il réagissait», dit-il. Il savait «d’expérience», après la rencontre impromptue de son véhicule avec un obstacle solide, qu’un pare-brise ne se brise pas et peut devenir, avec un peu d’aide, «malléable».

La scène suivante se déroule dans une boutique spécialisée dans le changement des pare-brise.
– L’architecte : Pouvez-vous me donner une quarantaine de pare-brise ?
– Le gérant éberlué : ???
– L’architecte : Oui tout à fait. J’ai besoin d’une quarantaine de pare-brise cassés.
– Le gérant éberlué : Je vous les donne à condition de ne pas les jeter dans la nature.
– L’architecte : je m’y engage
De fait, Sébastien Ramirez apprend ainsi que les vieux pare-brise sont expédiés pour retraitement, par la route, de Longwy jusqu’à un endroit dans les Vosges (200 kms), au frais du gérant bien sûr. Lequel est donc heureux de se débarrasser ainsi d’une partie de son stock. Transparence, malléabilité, gratuité : du pare-brise de camionnette à celui d’une R5, l’architecte avait trouvé sa matière première. «Pas mal comme concept de recyclage direct, non ?» s’amuse-t-il. Plus tard, c’est à la décharge du village qu’il s’est rendu. Bonne pioche. «La commune venait de démonter un bâtiment municipal et j’ai découvert plein de chevrons dont le bois était sain», explique-t-il.
«La structure est venu par hasard», dit-il. «Les fondations consistent en huit rondins de bois de chauffage de 1m de long plantés à 60cm de profondeur sur lesquels j’ai cloué les chevrons», dit-il. Un arbalétrier devant, un autre derrière, une panne faîtière, «comme une tente canadienne». Pour le reste, la structure est construite en fonction de la taille des pare-brise, lesquels sont combinés comme les ardoises d’une toiture, c’est-à-dire cloués en haut et soutenus en bas par un clou tordu. De judicieux coups de marteau ici ou là sur le verre permettent à Sébastien Ramirez de plier à sa guise ses pare-brise. Le point le plus haut est à 3.50m, le plus bas à 2,50m, ce qui permet d’éviter les infiltrations d’eau et de se mouvoir aisément à l’intérieur de la serre.
La porte est triangulaire et, comme elle s’est révélée assez lourde, Sébastien Ramirez est retourné dans le coffre de son épave pour y récupérer des vérins et le tour était joué pour «une ouverture sans effort». Cerise sur le plant de tomate, «un pare-brise filtre les U.V.». «J’adore bricoler», dit-il. «En tant qu’architecte, on ne peut jamais construire soi-même ses projets, mener le projet jusqu’au bout. Ici je me suis amusé ; j’ai joué avec la structure comme avec un gros jeu de Mikado». Ce qui le réjouit particulièrement avec cette serre à zéro euro est d’avoir construit «une grosse chrysalide qui s’insère dans l’environnement alors qu’il n’y a rien de naturel dans sa conception et ses matériaux».

Vu son jeune âge – 28 ans donc – il était aisé d’en déduire que c’était là sa première réalisation. Erreur. Puis stupéfaction. Sébastien Ramirez n’est diplômé de l’école d’architecture de Nancy que depuis juin 2006 avec, déjà, un TPFE sensationnel (en duo avec sa future associée Lidia Pardini) : un projet de complexe funéraire dans un ancien site d’extraction de minerai au Luxembourg qui a lui seul vaut publication. Alors qu’on l’imagine grattant et apprenant les rudiments du métier en agence, il explique être indépendant depuis septembre 2007. Ah bon, il fait sans doute des pers pour des agences alors … «Oui, un peu» dit-il. «Mais surtout je fais beaucoup de maisons pour particuliers». Beaucoup ? Combien ? Deux ? Trois ? «J’ai une douzaine de projets en cours». Une douzaine ???
«J’ai commencé très jeune», explique-t-il, justifiant de besoins financiers pour ses études. Alors qu’il n’était encore qu’étudiant en troisième année, il a tout simplement passé une petite annonce dans une… boulangerie. Il fallait y penser et avoir la foi chevillée au corps. «Un jeune couple m’a appelé. Il avait un petit budget mais souhaitait une maison différente de celle d’un promoteur», se souvient-il. La maison faisait bien entendu moins de 170m² SHON. Sébastien Ramirez appris ainsi, avec succès, à préparer un dossier de permis de construire. La maison fut bâtie selon ses plans et ses recommandations, à la grande satisfaction de ses clients. Un voisin, séduit par le style de la maison, contacte alors le (futur) jeune architecte, lui passe bientôt commande d’une autre maison prestement construite, de nouveau à la satisfaction du maître d’ouvrage. «A partir de là, BOUM,» résume l’architecte.

Boum, c’est-à-dire, quelques aides à la création d’entreprise plus tard, qu’il a en cours un chantier en Isère, un à Bordeaux, un autre en Touraine, etc. Bref, aujourd’hui une dizaine en tout. «En agence, je souffrais de ne pas avoir de pouvoir décisionnaire», s’excuse-t-il. Lidia Pardini, la consoeur avec laquelle il avait passé le diplôme, a pris l’habitude de lui «donner un coup de main». Les deux compères seront donc bientôt associés.
«Cette histoire de pare-brise me fait beaucoup réfléchir,» assure-t-il sérieusement. «J’aime bien l’idée de récupération. Je m’intéresse par exemple beaucoup à l’isolation en paille en ce moment, un matériau sain, qui isole très très très bien et qui ne coûte pas cher. Avec Lidia, nous allons installer notre atelier dans une grange que nous allons réhabiliter et tenter de construire un jardin d’hiver avec des pare-brise, pour voir comment développer le concept», conclut-il en riant.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 24 septembre 2008