La prospective ne consiste pas à prévoir l’avenir, ce qui relèverait de la divination ou de la futurologie, et dont les meilleurs spécialistes seraient les diseuses de bonne aventure ou les tireurs de tarot.
La prospective urbaine consiste à élaborer des scénarios dans leurs perceptions du moment sur la base de l’analyse des données disponibles du moment (états des lieux, diagnostics, tendances, phénomènes émergents) et de la compréhension et prise en compte des processus socio-psychologiques de la population des villes. Une prospective est datée, elle n’est pas figée (l’abondante littérature sur les prévisions pour l’an 2000, lieu sacro-saint de toutes les anticipations, laisse des strates incroyablement marquées par l’époque où elles ont été émises).
L’histoire ne se répète pas mais les comportements humains se reproduisent. (Gaston Berger)
La prospective doit donc aussi s’appuyer sur des intuitions liées aux signaux faibles des analyses rétrospectives et la mémoire du passé humain et écologique. Et dans ce corps étrange des intuitions, mi-plasma hétéroclite, mi-corpus savant (qui n’a comme rigueur scientifique que la longueur des titres universitaires de ceux qui les émettent), la place de l’Artiste permet de donner une dimension onirique indispensable à l’authenticité de l’époque sur l’établissement des éléments prospectifs.
La prospective urbaine telle qu’on la comprend aujourd’hui a un demi-siècle d’existence, inventée à la fin des années 1950 par Gaston Berger (1896 – 1960), un philosophe et haut fonctionnaire français, connu principalement pour ses travaux sur l’anticipation et la caractérologie urbaine.
Avant cette période, et depuis l’antiquité, quand la lecture des entrailles d’une oie tenait lieu de terrain d’expérimentation de la prospective critique de la raison pure dans une perspective matérialiste incontestablement quantique, plusieurs époques ont rêvé la suivante.
Robida, connu pour ses visions urbaines de l’horizon 2000 en focussant du milieu du XIXe siècle est une étape importante de la pensée prospective. Avant lui, Jérome Bosch n’avait-il pas préfiguré la recherche actuelle sur les îles artificielles d’une forme futuriste de l’urbanisme japonisant ?
Cinq siècles séparent ces deux images, laquelle est la plus moderne, la plus poétique ? Ce qui, en fait, revient au même dans la mesure où une définition moderne de la modernité est l’utilisation judicieuse de la poésie par rapport à l’époque.
La terminologie tautologique (proposition toujours vraie selon les règles du calcul propositionnel) propre à la prospective, et qui consiste à chercher (à l’aide de quelques gourous) la voie sinueuse entre les mythes et les légendes, récits, ou utopies, est illusoire si le lexique n’est pas affiné en termes de concepts correspondant aux hypothèses d’aujourd’hui (ou de demain) différentes du discours des sociologues marxistes duquel des générations de chercheurs ou d’urbanistes ont le plus grand mal à se défaire.
Notre présent discours est l’«acétone» des pensées sparadrap.
Aujourd’hui, une approche prospective contemporaine parle un langage qui emprunte beaucoup au biomimétisme tant la conviction est forte de la dimension organique de la ville. Il n’y en a pas d’autre (à part la dimension cybernétique).
Si la ville est un biome (comme ces colonnes s’acharnent à le souligner), celui-ci est soumis à deux forces : centrifuge et centripète, endogène et exogène : d’une part, l’évolution linéaire (dans son cours) des tissus urbains (croissance démographique, évolution des mobilités, progrès technologiques, etc.) mais d’autre part, des modifications des paramètres climatiques et des psychoses qu’elles provoquent.
La conjugaison de ces deux curseurs n’est pas chose aisée tant les seconds impactent les premiers et réciproquement. Pour éclairer ce propos d’une illustration évidente, les mobilités sont un exemple lumineux.
Dans les années 90, les prospectivistes commençaient à douter du modèle tout automobile hérité de la décennie précédente mais continuaient à envisager la croissance urbaine autour des seuls besoins et désirs issus de la précédente décennie. Aujourd’hui, on s’inquiète de l’impact de ces modèles prospectifs sur le biome, en clair la pollution automobile est responsable de 35% de la production de gaz à effet de serre et de particules fines, mais on n’a jamais autant vendu de SUV.
Les prospectivistes de la ville ne sont pas ceux de la pensée marketing (si tant est qu’elle existe – en dehors des frissons érotiques du Black Friday). Ils sont ennemis et ne se parlent pas, dommage : il faut tenir compte du paramètre connerie ambiante si on veut réussir dans la prospective, c’est une donnée fondamentale, non quantifiable mais prégnante en milieu urbain.
Le lexique de la prospective urbaine, donc, aujourd’hui produit des termes, et logo y afférent (puisque l’image subliminale d’un concept imagé renforce incontestablement le sens du mot) dont on a besoin aujourd’hui :
Génétique Urbaine ou Cybernétique Citadine, sont des armes indispensables pour établir une méthode d’appréhension et de réflexion d’une gravité profonde pour contrer l’effet désastreux de la dérive climatique simultanée à la calcification des structures administratives comme la confrontation inédite des paramètres endogènes et des contraintes exogènes dans un bocal de négation de la simplicité comme valeur éculée.
La prospective urbaine est dans une spirale vertigineuse, … celle qui fait la structure de l’ADN.
François Scali
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