La vision mondialisée de l’économie en général, celle de l’architecture en particulier mais nous pourrions aussi parler d’agriculture, est peu à peu remise en cause tandis que sont désormais privilégiés les circuits courts. Cela vaut pour le producteur de pêche en PACA et pour l’éleveur de truites dans le Pays Basque. Cela vaut donc pour l’architecture.
En témoigne la maison du département à Voiron (Isère) livrée à l’été 2015 et conçue par Gilles Perraudin avec pour l’essentiel des matériaux naturels issus de l’économie locale. Le programme du conseil général de l’Isère, maître d’ouvrage, commandait, pour un budget de 4,9M€, des bureaux, des services sociaux, un amphithéâtre, des cuisines, des espaces d’archives et des lieux de détente. Le 13 avril 2016, l’architecte a présenté à la presse un bâtiment manifeste pour les circuits courts.
Si la forme de l’ouvrage, avec un soubassement en pierre sans ostentation, est inspirée des maisons dauphinoises traditionnelles, l’écriture de sa façade en bois est contemporaine et rythmée. Gilles Perraudin propose un bâtiment compact de huit étages qui exploite au maximum le gabarit urbain d’une parcelle contrainte et dont seul le noyau central à forte inertie antisismique est conçu en béton. La peau de bois diffuse une lumière naturelle et élégante à l’intérieur des espaces tandis que le premier étage repose sur une base de pierre massive, la pierre de Montalieu «brute de sciage», dont les «cheveux» laissés apparents donnent toute sa sensualité au bâtiment.
Plus résistante que le bois et, pour certaines, plus résistantes à la compression, la pierre selon l’architecte coûte moins cher que le béton, en plus d’être réutilisable. «Faire du béton, ça bouffe de l’énergie», dit-il. Et d’encourager un retour aux principes simples de construction. «Construire en pierre, c’est reprendre la main sur tout le processus, dans une forme de circuit court qui évite allègrement les industriels du secteur : je vais à la carrière, je choisis ma pierre, je la fais tailler, je la pose», dit-il. Cette pierre de Montalieu est extraite à moins d’une heure de route du chantier.
Le mélèze de la structure extérieure et le pin sylvestre des planchers sont également issus de filières départementales et le douglas, employé pour les poteaux de façade, est produit dans le Rhône, à moins de deux heures de Voiron. La promotion des filières courtes correspond par ailleurs à l’une des volontés de la maîtrise d’ouvrage et de la région Auvergne-Rhône-Alpes, en particulier du département de l’Isère, notamment pour la filière bois qu’elle promeut depuis maintenant plusieurs années. L’Isère est d’ailleurs reconnue pour la qualité de ses forêts et de ses pierres dont elle a des gisements importants, source d’un savoir-faire partagé par les architectes et entreprises de la région, les uns et les autres ne manquant pas d’audace à cet égard.
Le cadre législatif rend cependant parfois difficile la mise en place de cette économie. «Dans le cadre des marchés publics, un architecte ne peut pas imposer un fournisseur, tout au plus peut-il prescrire un choix en raison des principes constructifs», rappelle Gilles Perraudin. Par ailleurs, les marchés publics sont régis par la commission européenne qui prône les vertus de la concurrence ‘saine et non biaisée’, non pas la préservation des économies locales. S’il a des convictions, le concepteur doit donc se faire stratège ! Ce fut le cas pour cet ouvrage désormais le plus haut bâtiment conçu et construit en structure bois en France.
«Je dessine mes bâtiments en fonction des matériaux constructifs présents localement, afin de favoriser la filière locale, ou au moins de ne pas la mettre en défaut ; c’est le cas de la maison du département de Voiron», explique Gilles Perraudin qui, pour la valorisation d’un matériau régional utilisé brut, tient à citer son ingénieur structure Jacques Anglade. «Tout l’intérêt du circuit court pour le bois et pour la pierre est qu’il se fait à petite échelle et qu’il n’est pas industrialisé. Le jour où les grands groupes se ré-intéresseront à l’affaire, l’attrait écologique sera perdu», souligne l’architecte.
Où s’arrête la filière courte ? A-t-elle toujours un sens ? Tout ne peut pas être produit localement ! «Les éléments secondaires ne dépendent pas directement du choix de l’architecte», regrette l’homme de l’art. «Et puis pour faire local, faut-il encore qu’il y ait une entreprise ; je ne suis pas sûr qu’il existe encore des fabricants de robinets en Isère». C’est l’une des limites de la méthode.
Se méfier encore des ironies de l’histoire : «quand j’ai construit en Corse, je me suis rendu compte que l’impact pour faire venir localement, par la route, la pierre du sud de la Corse était aussi important, voire plus polluant encore, que si nous avions fait venir par bateau la pierre du continent». Les mystères du bilan carbone sans doute.
Toujours est-il qu’il faut désormais élargir encore la notion de contexte car voici livré un équipement public, un bâtiment par ailleurs passif et dépassant de loin les normes BBC, pour un coût de construction de 1 660€/m² !* A peine plus cher que le logement social tout en participant activement à l’économie et l’industrie locales. Ce n’est pas la moindre des performances de l’ouvrage.
Léa Muller
NB : 1 100€/m² est le prix des logements en pierre construits à Cornebarrieu près de Toulouse par Gilles Perraudin. Un projet nominé à l’Equerre d’argent et au Prix Européen d’architecture contemporaine Mies van der Rohe 2013. Mise à jour le 21/04/2016