Selon nos informations, le jury de l’édition 2018 du Grand Prix National de l’architecture, réuni le 12 septembre dernier sous l’égide de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, avait retenu une liste de sept nommés à la distinction. Dont Patrick Bouchain. Son nom a en revanche disparu de la liste officielle publiée par le ministère de la Culture le 14 septembre, deux jours plus tard. Pataquès ?
En tout état de cause, instruction avait été donnée aux membres de ce jury de ne pas dévoiler cette liste avant que chacun des nommés ait eu le temps d’accepter ou non cette candidature, ce qui est la moindre des choses et une disposition utile. En effet, d’évidence, Patrick Bouchain, qui ne devait pas du tout s’y attendre, a décidé cette fois de passer son tour.
Ce qui ne laisse pas d’étonner, considérant que le même était finaliste lors de la dernière édition en 2016 et que les débats furent serrés avant que ce jury-là ne désigne lauréats Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart. La présence de Patrick Bouchain sur la liste des nommés 2018 n’aurait donc rien eu de paranormal.
Etonnant toutefois qu’un homme de l’art, ne fut-il pas tout à fait architecte, refuse un tel honneur. Ce ne sont pourtant pas les candidatures qui font peur au fondateur de l’atelier Construire puisqu’en avril de cette année 2018, il était candidat finaliste consentant du Grand Prix National de l’urbanisme, sans avoir jamais pour autant conçu un quelconque plan d’aménagement d’envergure. Ce grand prix est finalement revenu à l’agence TER (dont l’un des fondateurs, Henri Bava, est dans le jury de ce prix d’architecture).
Foin de confusion, Patrick Bouchain lui-même signe ‘Architecte Scénographe’, ce qui a de l’allure. (Comme si être architecte n’était pas suffisant. Au moins architecte scénographe, ça change d’architecte urbaniste.) Mais peut-être qu’un Grand Prix perdu par an suffit à la peine de quiconque.
L’alignement de planètes semblait cependant parfait tant les liens de Patrick Bouchain avec Françoise Nyssen sont connus et anciens, qu’il s’agisse de l’’Ecole du Domaine du possible’ ou encore du fait qu’il codirige chez Actes Sud, la maison d’édition de la ministre, L’IMPENSÉ, une collection «située au carrefour entre le citoyen, l’élu, l’architecte et le chantier, qui propose une autre façon de penser l’architecture et le paysage».
A ce propos, la maquette d’une tour en bois de 18 mètres, signée Patrick Bouchain, était présentée en juin 2018 aux services de l’urbanisme d’Arles. Elle avait visiblement vocation à être construite puisque, trois mois plus tôt, Jean-Paul Capitani, président du directoire d’Actes Sud et cofondateur avec Françoise Nyssen de l’association du Méjan, expliquait alors, cité par La Marseillaise (24/06) : «Si j’obtiens de la mairie les permis de démolir puis de construire, je compte édifier une auberge de jeunesse et un cinéma de cinq salles en sous-sol». Un projet sobrement intitulé : Manhattarles !
Projet bien entendu disparu des radars depuis les premiers articles du Canard Enchaîné dévoilant cet été les fantaisies architecturales de la ministre. Mais les déboires de Françoise Nyssen, Patrick Bouchain n’y est pour rien n’est-ce pas ? Lui sans doute aurait su mieux la conseiller. Bref, alors qu’il touchait presque au but, serait-il une victime collatérale du goût unilatéral de la ministre pour les mezzanines ? Ce serait rageant.
C’est enfin peut-être par amitié et élégance que Patrick Bouchain a choisi de se retirer de la course, voulant éviter à la ministre d’autres questions indiscrètes, à propos de ces irritants ABF par exemple. A moins enfin que ce ne soit par seul souci de cohérence idéologique avec lui-même, depuis le temps qu’il vilipende l’ordre, auquel il n’est pas inscrit, et nombre de ses confrères.
Que l’on se rassure cependant, trop de proximité avec le pouvoir, depuis Jack Lang, n’a jamais nui à l’œuvre et Patrick Bouchain vit une retraite active. Ne vient-il pas de remporter à Versailles, sous le soleil exactement, la transformation d’une ancienne halle ferroviaire ? Il s’agit de concevoir le nouveau siège social de Nature & Découvertes et de sa Fondation pour la Nature ce qui, pour le coup, est vraiment trop approprié et souligne l’engagement de l’homme. D’ailleurs le dossier de presse est arrivé dans les bacs des journalistes juste à temps pour la sélection au Grand Prix National de l’architecture 2018, alors même que le bâtiment est en chantier, même pas hors d’eau, ni hors d’air. Coïncidence sans doute. Surtout considérant que Patrick Bouchain n’est même pas candidat.*
C’est en tout cas désormais de l’histoire ancienne mais, pour le coup, voilà la course au Grand Prix National de l’architecture 2018 singulièrement relancée sans plus aucun favori. Restent donc en lice (le mot est du ministère, ça fait un peu tournoi médiéval comme ça, que le meilleur gagne. Nda) : Pierre-Louis Faloci ; Dominique Lyon ; Philippe Madec ; Philippe Prost ; Bernard Quirot ; Corinne Vezzoni.
Résultat des courses : le 19 octobre 2018.
Christophe Leray
*Un lecteur vigilant nous a signalé que le communiqué de presse avait été envoyé le 3 septembre, soit le lendemain même de la date limite de sélection au Grand Prix. Une proximité complètement coïncidentale donc. Mea culpa. C.L.
Le jury : Marie-Hélène Badia, architecte, architecte-conseil de l’État – Henri Bava, paysagiste, Grand Prix de l’urbanisme 2018, Grand Prix national du paysage 2007 – Frédéric Borel, architecte, Grand Prix national de l’architecture 2010 – Paul Chemetov, architecte, Grand Prix national de l’architecture 1980 – Paul Delduc, directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), ministères de la Transition écologique et solidaire (MTES), et de la Cohésion des territoires (MCT) – Denis Dessus, président du Conseil national de l’ordre des architectes – Laurent Dumas, président fondateur d’Emerige – Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart, architectes, Grands Prix nationaux de l’architecture 2016 – Marie-Christine Labourdette, présidente de la Cité de l’architecture & du patrimoine – Jean-Jacques Larrochelle, journaliste au Monde – Bertrand Lemoine, architecte, ingénieur et historien – Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, vice-présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication – Adelfo Scaranello, architecte – Ramon Vilalta, architecte, Prix Pritzker 2017 – Agnès Vince, directrice chargée de l’architecture, adjointe au directeur général des patrimoines, ministère de la Culture.