Les fleurs et le flirt ne sont pas les seules choses qui fleurissent à Londres en été. Il y a aussi l’architecture destinée qu’à être un souvenir en automne, ces pavillons et structures temporaires qui obscurcissent la frontière entre art et design. Chronique d’Outre-manche.
L’architecture permanente pourrait en tirer des leçons, non seulement sur la manière de créer des lieux amusants mais sur la prise au sérieux de questions allant de la durabilité à la protection des manifestations.
Le monde de l’art lance la saison de l’architecture estivale de Londres avec le Serpentine Pavilion en juin (jusqu’au 27 octobre 2024). La Serpentine Gallery de Kensington Gardens depuis 2000 invite des architectes sans projets construits au Royaume-Uni à concevoir ce pavillon annuel, dont j’ai déjà rendu compte à l’occasion du pavillon de Theaster Gates en 2022*. En 2024, l’ouvrage est intitulé Archipelagic Void et compte « cinq pavillons à la fois », ainsi que l’indique l’architecte Minsuk Cho du cabinet coréen Mass Studies. C’est comme « un repas typiquement coréen, on étale le tout sur la table », dit-il. J’ai participé à de telles agapes, elles sont interminables et épuisantes, mais ce « pavillon des pavillons » n’est ni l’un ni l’autre. Chaque aile rayonne à partir d’un vide circulaire central, qui fait écho au mandang coréen traditionnel, une cour centrale.
Leurs différentes formes angulaires rendent l’ensemble spatialement différent et dynamique dans toutes les directions. Il y a la galerie (emplie d’un paysage sonore du musicien Jang Young-Gyu), une bibliothèque de livres non lus (qui sont là pour l’être), un auditorium (avec des fenêtres et des bancs violets), une tour de jeu (avec un filet orange à grimper) et une Tea House (honorant la fonction originale de la galerie adjacente datant de 1934, lorsque les Britanniques préféraient encore le thé au café). Pour la première fois, Cho utilise du bois naturel (et non du CLT ou du bois lamellé-collé), provenant d’à peine 30 km de distance. Le matériau ajoute à l’aspect tactile du pavillon et rappelle, peut-être involontairement, les façades européennes à colombages d’il y a quatre siècles. Le repas architectural de Cho est multicolore, multisensoriel et multiactivités. Il propose une nouvelle approche de création de lieux en reliant diverses formes fonctionnelles entre elles.
Le Serpentine Pavilion est démontable, caractéristique de l’architecture d’été qu’il ne faut pas confondre avec « l’architecture du ‘en attendant’ », bâtiments éphémères destinés à être remplacés plus tard par un projet permanent. Parmi les exemples londoniens, l’Abba Arena de Stratford – « la plus grande arène démontable du monde », selon les architectes Stufish, où les avatars numériques des stars suédoises se produisent depuis 2022 – ou la BBC Earth Experience, ouvrage démontable de 3 500 m² signé wooarchitects à Earls Court qui a offert pendant dix mois à partir de 2023 une expérience audiovisuelle immersive dans le monde naturel.
Le démontable est lié à la rapidité de l’assemblage et il n’est pas plus rapide ni plus temporaire que Barricade et Beacon, exposés au Victoria and Albert Museum. Les architectes Studio Bark et les fabricants U-Build ont collaboré pour créer un système dédié à la désobéissance civile contre le changement climatique. Il comprend des poteaux de bambou et des câbles utilisés pour ériger rapidement des structures au-dessus de la mêlée lors d’une manifestation, ainsi que des boîtes en contreplaqué empilables pour créer des barricades et dotées de trous pour que les manifestants puissent lier leurs bras. Les structures de tenségrité ont été initialement imaginées par Extinction Rebellion. Le dernier gouvernement conservateur a criminalisé les manifestants qui s’attachent à une autre personne ou à un autre objet. Pour autant, ce projet a été présenté avec l’imprimatur architectural du RIBA, un Royal Institute of British Architects composé donc de dangereux et criminels conspirateurs. Le message adressé aux architectes est que ceux qui sont assez courageux pour risquer leur liberté pour le bien de la planète pourraient bénéficier d’une aide réelle et pratique. Barricade and Beacon faisait partie de la London Design Week mais restera visible jusqu’au 28 février 2025.
Retour à l’architecture d’été. Sculpture in The City dissémine toujours de nouvelles structures parmi les gratte-ciel du quartier financier mais peu d’entre elles étaient architecturales cette année. Certaines subsistent des éditions précédentes**, comme le surréaliste orange métallisé The Granary (2021) de Jesse Pollock, idéalisant le silo traditionnel, et Nest (2022) de Victor Seaward. Ce dernier est constitué de nids d’oiseaux imprimés en 3D, façonnés et peints comme des fruits tropicaux et suspendus aux arbres jusqu’à l’année prochaine. Seaward a travaillé avec la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB) et m’a expliqué que l’ouverture doit être petite pour que les pigeons ne puissent pas entrer. En tant que structures habitables, elles sont architecturales. Cela suggère une chose à laquelle les architectes devraient réfléchir : non, pas de micro-appartements suspendus accessibles par des échelles. Nous devrions considérer les animaux avec lesquels nous partageons la ville, en particulier les oiseaux qui s’écrasent sur les murs-rideaux de verre, les chauves-souris qui ont besoin d’espace pour s’accrocher dans les banlieues et les insectes pollinisateurs partout.
Le London Design Festival ne dure qu’une semaine en septembre, puis presque tout disparaît. Cela inclut les joyeux Pavilions of Wonder de Nina Tolstrup du studio de design londonien Studiomama, soutenu par la ville californienne de Palm Springs et Barbie, la poupée qui d’un fétiche avec une figure « ambitieuse » en 1959 est devenue une improbable icône féministe contemporaine, sans jamais gâcher sa coiffure. C’est évidemment un personnage très occupé mais elle a pris le temps de collaborer car tout tourne autour d’elle. Tolstrup a créé trois pavillons. L’une est une structure éblouissante dans la couleur rose préférée de Barbie, avec des grilles de cylindres inclinés et un toit en pente en miroir. Une autre a un mur incurvé de hublots qui révèlent Barbie et ses amis. Un troisième pavillon entoure un petit jardin désertique californien où l’on peut s’asseoir sur des bancs bien sûr roses. Les pavillons sont tous inspirés des itérations de Barbie DreamHouses et dégagent une atmosphère moderniste ensoleillée, deux d’entre eux s’inspirant de l’architecture du milieu du siècle de Palm Springs de E. Stewart William et Albert Frey. Que disent les pavillons de Tolstrup aux architectes ? Rendez les structures amusantes ! Incluez la nature ! Et, euh… libérez le rose qui sommeille en vous !
La réalisation architecturale la plus importante du London Design Festival est peut-être celle nommée : Vert. Une structure triangulaire en bois haute de dix mètres porte un filet pour suspendre à la fois des balancelles et de lourds sacs de terre où germent déjà des plantes. Nous connaissons tous les avantages du bois massif en termes de carbone, mais quel est le meilleur bois ? Nous savons tous que les plantes atténuent l’effet d’îlot de chaleur urbain, absorbent la pollution, génèrent de l’oxygène et font du bien, mais peuvent-elles pousser plus vite, notamment sur une structure temporaire ? Vert s’empare de ces questions.
C’est une collaboration expérimentale. Les designers munichois Diez Office ont conçu la structure, robuste et simple, en bois lamellé-collé, que le fondateur Stefan Diez décrit comme une « machine à verdir ». L’American Hardwood Export Council a facilité l’importation du chêne rouge américain : apparemment, un conteneur en provenance d’Amérique a une empreinte carbone inférieure à celle d’un camion traversant l’Europe. Le spécialiste de la végétalisation urbaine OMCoC, également de Munich, a choisi 20 espèces de plantes nécessitant peu d’entretien, y compris des plantes grimpantes pouvant pousser jusqu’à 10 m/an. Par rapport aux arbres, la végétation a besoin de moins d’espace et peut être plus efficace pour éliminer le carbone. Vert accélère l’accumulation de biomasse. Après le 16 octobre, l’ensemble quittera le Chelsea College of Arts vers une destination encore non confirmée. Comme le souligne Diez, l’élimination du carbone doit être « ultra-efficace et à l’échelle industrielle ». Ce que les architectes doivent retenir est que la végétalisation des bâtiments est bien plus qu’une simple case à cocher : elle remplit une fonction fondamentale et ne peut que s’améliorer grâce à la recherche et au développement.
Paradoxalement, nous avons pris conscience du fait que la réutilisation des anciennes structures permet d’économiser le carbone qu’elles contiennent et d’enrichir l’environnement bâti. Nous ne devrions construire de nouveaux bâtiments que lorsque nous en avons besoin (et il est énorme, comme pour le logement), donc ériger un bâtiment d’une durée de vie de quelques semaines ou quelques mois semble être folie.
Pour autant, les structures temporaires nous éclairent parfois sur la manière dont nous construisons de manière permanente et, dans tous les cas, elles incitent les gens à s’impliquer dans la ville. À l’échelle des siècles, tout ce que nous construisons est éphémère. Les grandes villes vivent dans la période estivale de leur vie, mais le temps change.
Herbert Wright
Retrouver toutes les Chroniques d’Outre-Manche
*Du ‘South Side’ de Chicago au jardin royal : herbe verte, spiritualité noire
** Du devenir des sculptures dans l’espace public