Détruire ou réhabiliter le patrimoine social des années 60 ? Telle est la question que pose l’agence parisienne Lacaton & Vassal qui a récemment livré une vaste opération de réhabilitation de 530 logements dans la Cité Grand Parc à Bordeaux, conçue dans les années 60. La journaliste Karine Dana a suivi le travail des architectes, recueilli leurs interrogations et les principes mis en place dans ce projet manifeste plaidant pour la réhabilitation au détriment de la démolition. Elle en a réalisé un documentaire, projeté au pavillon de l’Arsenal le 18 mai dernier, en présence des architectes et du maître d’ouvrage. Compte-rendu.
Les grands ensembles construits après-guerre, parfois plusieurs milliers de logements d’un coup, sont de plus en plus décriés et servent à justifier leur échec social, dédouanant par-là même politiques publiques et bailleurs. Pourtant, «les grands ensembles souffrent davantage d’erreurs urbanistiques que de leur partis-pris sociaux ou esthétiques. En effet, les logements avaient des qualités intrinsèques, notamment en terme d’organisation de l’espace», souligne Anne Lacaton.
Ces opérations avaient pour vocation de pallier le manque de logement, autant pour répondre à la demande pressante de reconstruction après-guerre qu’à l’exode rural qui suivit. «Les HLM ont été une gloire; on y revient pour parler de la société», dit-elle. Le modèle n’est donc pas foncièrement remis en cause et il s’agit, selon Anne Lacaton, de trouver «comment prolonger les séquences».
Dans les années 60/70, il fallait loger, vite, et l’Etat a bien logé. Le parc locatif était à la main de la puissance publique. La question du logement social, et du logement décent pour le plus grand nombre, loin d’être un simple marché économique, était alors débattue au sein de laboratoires de recherches enviés. Bien que l’esthétique de ces vastes barres en béton n’était pas forcément des plus heureuses, il n’en demeure pas moins que la qualité intrinsèque des logements conçus alors est toujours reconnue. En 1922, la norme pour un 3-pièces dans un HBM était de 45 m² (44 m² minimum en 1947) tandis que la surface des logements de 3-pièces construits dans les années 60 couvrait environ 60m². La surface pour ce type de logement a finalement peu évolué d’ailleurs, puisqu’aujourd’hui un T3 fait environ 65 m².
Seulement, soulève Frédéric Druot, «la reconversion des grands ensembles est la complétude du projet moderne car ils ont été réalisés de façon incomplète». Les architectes notent «qu’il faut faire des fenêtres plus grandes pour ouvrir sur le paysage et offrir des extensions sur l’extérieur». Lacaton & Vassal propose ainsi de doubler la façade de la barre en ajoutant des jardins d’hiver. «Il faut actualiser l’habitat et nous allons vers une actualisation contemporaine des immeubles au service des gens». Aujourd’hui, la mise à jour de l’habitat passe par l’espace, lequel offre plus de confort, plus de plaisir et une plus grande liberté d’utilisation. «Il s’agit de ne pas de le définir de façon trop précise car il existe une faculté d’appropriation et d’adaptation de l’habitat. Les jardins d’hiver permettent d’offrir un paysage au-delà de la façade», poursuit Anne Lacaton.
Ici, l’enjeu est moins architectural qu’il n’y paraît. «Comme Paul Chemetov à Courcouronnes, qui répond à des enjeux politiques et sociaux, la réponse est donc moins esthétique que formelle», rappelle Jean-Philippe Vassal. «La question de la tour ou de la barre n’est finalement pas très importante. L’axe est le logement pour faire le lien entre l’architecture et l’habitant». Et Bernard Blanc, directeur d’Aquitanis, le maître d’ouvrage présent à la conférence, de justifier : «il faut se placer à l’intérieur, dans le regard de celui qui habite l’espace pour le vivre». «Avec la création de ces jardins d’hiver, nous allons du dedans vers le dehors ; ce sont les lieux d’appropriation», confirme Anne Lacaton.
«Nous pouvons donner plus en restant dans un même budget à condition de nous cantonner à une recherche rigoureuse d’optimisation. Nous restons dans une dynamique de projet dans laquelle nous devons sans cesse faire des choix car l’objectif n’a jamais été de construire grand pour pas cher», tempère malgré tout Bernard Blanc. Cette opération, à 45 000 euros par logements tout de même, démontre que pour déjouer la crise qui tire les coûts vers le bas, la transformation permet de profiter de l’existant avec une économie plus resserrée. L’enjeu est politique et social car en transformant «le spatial», les architectes changent «le social».
Pour le maître d’ouvrage, le succès est à chercher également auprès des habitants, tous relogés et au même loyer. De fait, explique Bernard Blanc, la Cité Grand Parc propose les prix les plus bas du patrimoine Aquitanis (l’OPH de la Communauté Urbaine de Bordeaux), ce qui permet selon lui de conserver la population. Cela étant, si un bailleur social et public peut proposer des logements (certes PLAI) à 2,60 euros/m²/mois, pourquoi d’autres ne pourraient-ils pas l’envisager ? Un engagement déterminé des bailleurs sociaux à contribuer à la baisse des loyers aurait sans doute une encore plus grande efficacité sociale.
L’agence parisienne défend mordicus le point de vue de la rénovation et s’oppose fermement à toute idée de démolition des grands ensembles, fustigeant les chiffres de l’ANRU qui démolit pour moins reconstruire. Volontaire, l’effort de la reconstruction s’est focalisé là où il y avait de la place, en périphérie des grandes villes et agglomérations, dans ce qui était auparavant des champs. Aujourd’hui, ces opérations sont au coeur des villes et le foncier a une forte valeur qui aiguise les appétits. Pour Lacaton & Vassal pourtant, la ville a la faculté de s’auto-régénérer, de créer et de préserver les logements dont elle a besoin. «La démolition ne s’impose que rarement car il est toujours possible de penser différemment le bâtiment», conclut Anne Lacaton.
Si les architectes peuvent tenir un tel discours, qui prône la réhabilitation des grands ensembles construits dans les années 60 ou 70, c’est en raison de la relative qualité initiale des édifices, qu’il suffit donc d’améliorer. Aujourd’hui, les acteurs de l’architecture déplorent que le logement social actuel soit si fragilisé, notamment dans sa qualité, en raison du désinvestissement de l’Etat sur ces questions pourtant cruciales. Mais, à construire si mal, pourra-t-on dans 50 ans envisager la rénovation du parc bâti au rabais dans les années 2000 ?
Léa Muller