
La concession est un modèle de contractualisation qui, dans le cadre de la construction d’équipements, peut se révéler vertueux. Pour autant, la concession ne fait pas rêver tant le mot renvoie aux concessions autoroutières qui ont mauvaise presse. Qu’en pensent les architectes selon qu’ils ont pu en faire l’expérience ou non ?
Le 16 juin 2025, l’État a signé le contrat de concession du Stade de France, « portant sur l’exploitation et la modernisation du Stade de France, attribué au groupe GL Events Venues ». Avec ce contrat d’une durée de trente ans, le Stade de France bénéficiera d’investissements importants pour des travaux de modernisation, d’accessibilité et d’optimisation énergétique, entièrement financés par le concessionnaire.
Pourtant, pour les architectes, le mot concession évoque aussitôt les Partenariats-Public-Privé (PPP) ou les plus récents marchés globaux de performance (MGP) en lesquels ils n’ont guère confiance.
Le point de vue de Béatrice,* qui a déjà travaillé avec un concessionnaire dans le cadre de la construction d’un équipement public.
Béatrice retient en premier lieu les bienfaits de travailler en amont avec les utilisateurs à partir de « vrais besoins ». « Le concessionnaire connaît les règles d‘usage, il n’y a pas de contresens sur la destination. Cela implique une hiérarchie liée à cette compréhension du sujet, le rôle et l’usage de tous les intervenants, les maîtres-nageurs par exemple », dit-elle. « Quelles exigences pour les vestiaires ? La pratique est irremplaçable surtout pour une destination aquatique ».
Cette relation directe avec les utilisateurs affecte le rapport entre l’architecte et le concessionnaire : en substance, l’un connaît toutes les contraintes, l’autre va mettre en forme ces contraintes. « Pour autant, c’est l’architecte qui doit décider puisque c’est à lui d’accoucher toutes les contraintes. À ce titre, la confiance est primordiale », souligne-t-elle. « La confiance permet de travailler sur des idées d’avant-garde : avec le sur-mesure, on sort de la norme pour proposer quelque chose qui n’existe pas ».
Elle note encore que, dans une économie habituellement court-termiste, la concession est très utile pendant la mise au point du bâtiment, estimant que « la mise en relation de l’usage et de la pratique permet des économies à terme avec la prise en compte des questions d’entretien et de gestion ».
Elle retire de son expérience un sentiment globalement positif, estimant que la concession peut être un atout : « Je ne vois pas comment j’aurai pu faire sans le concessionnaire mais cette relation m’a permis d’aller au-delà de la réponse initiale car le risque est contrôlé ».
Le point clef : la confiance et la primauté laissée à l’architecte pour résoudre les contraintes

Le point de vue de Quentin, associé d’une agence parisienne, s’inquiète de la place de l’architecte
De fait, dans les concours, il y a de plus en plus d’acteurs et l’architecte devient un acteur mineur alors qu’auparavant, quand l’architecte mandataire avait 100 % du mandat, il était moteur des projets. Dans les concours en conception-réalisation, sa marge de manœuvre s’est encore considérablement réduite. Pour les concours en concession, avec la présence de banquiers, son contrôle du projet se résume à epsilon. « La conception-réalisation, cela marche quand tu mets de l’intelligence dans la partie constructeur. S’il s’agit d’un projet purement financier, l’architecte ne sert à rien », note-t-il.
« En revanche, avec du sens, tu peux gagner un concours. Avec la concession, quand les gens apportent l’intelligence de leur métier, tu peux offrir une réponse intéressante mais si c’est pour produire un modèle standard, tu perds l’intelligence », dit-il.
« Le concessionnaire à un besoin pertinent, l’entreprise les moyens de la réaliser, l’architecte a le coup de baguette magique. L’important est que chacun se comprenne », soutient-il à l’instar de Béatrice. « Comme il est difficile de mettre tout le monde autour d’une table, c’est là que l’honnêteté des trois parties (concessionnaire, entreprise et architecte) est fondamentale car l’architecte ne peut pas se planter ». Autre point positif : « le plus dur est fait au niveau du concours ». Pour autant il note que la limite de l’exercice est « quand chacun veut tirer la couverture à soi, pour des questions de marge le plus souvent ».
Quentin mets en regard l’hypocrisie bien française des concours : « On te demande un collège à 10 M €, tu réponds à 10 M € mais qui peut vérifier que ça vaut 10 M € ? En neuf l’ouvrage peut sortir à 9 ou 12 M €. De ce point de vue, la concession offre une sécurité budgétaire, il n’y a pas de surprise. Là encore, le secret est l’intelligence collective, tout le monde doit s’écouter ».
Il note cependant que des divergences de vues peuvent apparaître au moment de la conception puisque le concessionnaire n’a pas besoin d’une image architecturale mais plutôt d’une image en corrélation avec son activité. Enfin, il relève que se pose la question du modèle : « quand les gens travaillent bien ensemble à plusieurs reprises, ils se renouvellent moins et les projets ont tendance à s’appauvrir ».
Le point clef : l’intelligence collective issue de l’honnêteté intellectuelle des trois acteurs : concessionnaire, entreprise, architecte.

Le point de vue de Thierry, associé d’une agence qui travaille avec des concessionnaires dans le domaine aéroportuaire
« Dans l’aéroportuaire, il s’agit toujours de marchés de concession », précise-t-il d’emblée, ajoutant que si les retours d’expérience de piscines construites en concessions sont encore rares ou parcellaires, dans l’aéroportuaire, ces retours d’expérience sont connus.
À l’instar de Quentin, sa première réserve est liée à la position de l’architecte dans ce type de contractualisation. « Le concessionnaire va exploiter l’aéroport pendant x années et il s’engage à agrandir l’aéroport, faire venir de nouvelles compagnies, rénover l’aérogare et pour cela il va faire appel à une entreprise de construction laquelle va prendre un architecte. L’architecte se retrouve ainsi au 3ème rang de décision ». De fait, il est soit mandataire en loi MOP, ou, en conception-réalisation, au deuxième rang derrière l’entreprise. « Cela a une incidence », dit-il, « car la part du coût de construction est anecdotique par rapport au budget global sur la durée de la concession et l’ambition architecturale devient la variable d’ajustement ».
De fait, l’aéroport est aussi un centre commercial et les intérêts commerciaux doivent être pris en compte. « En l’occurrence, la concession c’est la conception-réalisation un peu améliorée mais sur laquelle l’enjeu architectural n’est pas la priorité puisque le concours est gagné ou pas en fonction de la promesse de reversement de millions d’euros à la communauté. Si le prix n’est pas le bon, même le meilleur projet ne passera pas », explique-t-il.
Il note surtout le principal effet pervers, selon lui, de ce type de contractualisation. Le concessionnaire exploite mais au moment d’engager des travaux, s’il y a plus d’avions par exemple, il ne réalise pas les investissements nécessaires sachant que la concession doit être renouvelée. « À cinq ans de la fin du contrat, pourquoi engager des frais au risque de se faire sortir ? S’il investit, il faut déjà compter trois ans de chantier et ne restent qu’à peine deux ans d’exploitation et un autre concessionnaire se pointe qui lui pourra exploiter sans investir : à ce moment-là, ça ne marche plus », dit-il. « Et au bout de 25 ans, sans investissements, la mairie récupère un collège ou une piscine qui sont des épaves et dont la rénovation seule va coûter plus cher qu’un ouvrage neuf ».
Thierry estime que ces systèmes sont mis en place pour remédier au délitement de la maîtrise d’ouvrage, des équipes incompétentes n’ayant ainsi rien à gérer. Il remarque d’ailleurs que, 25 ans plus tard, le fonctionnaire en charge du projet ne sera plus là… « Quand la mairie récupère une épave dont les travaux de rénovation coûtent le prix d’une piscine neuve, le type qui s’est facilité la vie par incompétence ou paresse n’a plus aucune responsabilité et tout va bien pour lui », remarque-t-il.
Lui aussi estime qu’avec ces outils, la clef de la réussite, ou non, d’un projet est liée à l’intelligence collective. « Quand la conception-réalisation ou la concession sont réalisées avec des équipes de maîtrise d’ouvrage qui savent gérer, qui savent ce qu’elles achètent, c’est un outil puissant. L’entreprise va chiffrer en connaissant les règles du jeu et l’architecte faire de son mieux. Mais si la maîtrise d’ouvrage ne connaît pas les règles, ce sera la foire aux travaux supplémentaires pour des prestations pitoyables ».
Le point clef : avec une maîtrise d’ouvrage compétente et avertie, la concession est un outil puissant.
Conclusion
Trois architectes, trois visions différentes. Tous en comprennent l’intérêt et le potentiel mais tous s’inquiètent du rôle de l’architecte dans ce type de contractualisation et mettent l’accent sur la capacité, ou non, de la maîtrise d’ouvrage à gérer efficacement ce type de marché.
* Les prénoms ont été changés.