La gestion de l’eau ne devrait être rien d’autre qu’un outil d’aménagement du territoire. Or la gestion très politique de l’eau du pays a des effets pervers contre-productifs et coûteux, voire de plus en plus ostensiblement dangereux. Par où commencer ?
L’été que nous venons de passer, entre chaleur, feux et sécheresse, a mis en exergue la complexité de notre rapport à l’eau et combien sa gestion est une problématique d’aménagement du territoire…
Le long du canal du midi m’est venu à l’esprit que notre cher Riquet avait eu bien de la chance de pouvoir construire un tel ouvrage. Il lui a sûrement fallu beaucoup de courage et de force de persuasion pour réussir ce chef-d’œuvre du génie humain. Pour autant, qu’en serait-il aujourd’hui ? Est-il encore possible de réaliser un tel ouvrage sans avoir droit à une levée de boucliers ? Les évènements estivaux nous prouvent que cela serait certainement compliqué.
En effet bien que cela soit resté en marge des grands titres, l’été a été marqué par plusieurs actes de vandalisme sur des écluses au motif que « les canaux consomment de l’eau » et qu’au moment où l’eau est contingentée cela serait inacceptable.
Un canal consomme de l’eau ? En effet, un canal fait circuler de l’eau d’un point haut à un point bas… généralement la mer ou l’océan mais consomme-t-il de l’eau pour autant ? Il y a là une question de fond qui nous interroge sur la façon dont nous concevons la gestion de l’eau aujourd’hui.
Un canal est alimenté la plupart du temps, c’est le cas du canal du midi, par un détournement de plusieurs petites rivières qui, prises seules, ne permettent pas d’avoir suffisamment d’eau pour faire circuler des bateaux mais qui regroupées, « canalisées », vont permettre d’avoir le volume d’eau nécessaire au fonctionnement du canal.
Est-ce une « consommation » d’eau ? Sans la main de l’homme, les rivières couleraient chacune de leur côté et finiraient toutes à un moment par se jeter dans la mer… Considère-t-on que la Loire ou la Seine consomme de l’eau ? Pourtant cette dernière est pour une bonne partie de son cours canalisée, quant à l’autre aucun bateau ne peut circuler dessus !
En réalité ce qui pose un problème aujourd’hui pourrait être énoncé ainsi : dès que la main de l’homme touche l’eau, il est considéré qu’il la « consomme », laquelle consommation est source de pénurie. En réalité depuis toujours l’homme travaille avec l’eau : les Égyptiens maîtrisaient les crues pour amender leurs sols et permettre de meilleures récoltes ; les Chinois ont construit des terrasses pour retenir les eaux et permettre la culture du riz ; nous-mêmes créons des marais pour produire du sel par évaporation de l’eau de mer… et l’énergie hydraulique a permis de grandes avancées technologiques bien avant l’arrivée de l’électricité.
Est-ce pour autant de la consommation ? Cela constitue-t-il nécessairement une dégradation de l’environnement ? Non, cela relève de l’aménagement du territoire et de l’optimisation des ressources mis à disposition par la nature.
Il est évident qu’a une époque où la pénurie d’eau est rabâchée à longueur de temps, voir ainsi passer des mètres cubes d’eau interroge ; voyons les chiffres. Cet été France Info (14/08/22)* a consacré un article sur les chiffres de l’eau en France, l’occasion d’apprendre que le territoire reçoit en moyenne 512 milliards de mètres cubes d’eau, dont 60% s’évaporent, en partie après avoir nourri les végétaux et par évapotranspiration de ceux-ci. Il en reste donc 40% soit 204,8 milliards de mètres cubes. Les Français en prélèvent pour toutes leurs consommations 32,3 milliards, ce qui laisse un reliquat disponible de 172 milliards de mètres cubes.
Ces chiffres laissent quelque peu circonspect… Comment avec un tel excédant peut-on avoir des problèmes d’approvisionnement d’eau ? Ce d’autant que les 32,3 milliards prélevés comprennent pour 50% les circuits de refroidissement des centrales nucléaires, soit 16 milliards de mètres cubes qui, après avoir arraché quelques calories de nos réacteurs, sont rendus à la nature ; autrement dit, ils ne sont pas « consommés » au sens « perdu », le cycle de l’eau ayant seulement été allongé de quelques heures.
Alors pourquoi a-t-on droit tous les étés à la rengaine de la pénurie d’eau ? Pourquoi à chaque épisode de forte chaleur, avons-nous des problèmes pour irriguer les cultures et arroser les jardins ?
Parce qu’aujourd’hui nous ne travaillons pas suffisamment le territoire avec la ressource eau. Nous avons abandonné de nombreux ouvrages hydrauliques pour des motifs pluriels, en premier lieu les fameuses économies d’entretien, surtout lorsque les ouvrages sont rendus moins intéressants ou rentables depuis que l’eau courante arrive dans chaque foyer ! Aussi parce qu’une doctrine européenne prétend démolir les retenues d’eau au motif que cela nuit à la continuité écologique des cours d’eau.
Dans la plupart des villages, il y avait auparavant une mare, laquelle en automne et en hiver régulait en les recueillant les fortes précipitations, l’été elle mettait un volume d’eau à disposition de la population qui non seulement permettait d’irriguer et de se défendre contre l’incendie mais, cerise sur le gâteau, offrait un coin de fraîcheur dans l’espace public… L’eau n’y était généralement pas potable, pour cela il y avait les puits. Combien de villages ou de villes ont conservé de tels ouvrages ? Combien les entretiennent ?
Aujourd’hui, un château d’eau pompe dans la nappe phréatique, le tout agrémenté d’un gros chèque à l’un des majors de la gestion de l’eau et on arrose allègrement avec de l’eau distillée par la terre et ainsi rendue potable sans même se poser de question ! Pourquoi entretenir de tels ouvrages ?
Les romains construisaient des réservoirs pour s’assurer de la mise à disposition d’eau en quantité nécessaire quelle que soit la période de l’année. De quand date la dernière construction d’un réservoir en France ? Il y a bien les bassins sur bâches construits par les agriculteurs mais leur installation non coordonnée et à l’air libre, donc soumis à une forte évaporation, en fait des ouvrages assez peu efficients.
Aujourd’hui aucun PLU n’impose la rétention d’eau ! Le dogme est l’infiltration à la parcelle, l’alpha et l’oméga de la gestion de l’eau sur le territoire français. Il faut faire disparaître l’eau sous terre pour éviter qu’elle ne vienne encombrer quelques réseaux et créer des inondations. C’est la politique de l’instantanéité : il y a un problème, on le fait disparaître. Est-ce intelligent ? Est-ce que cela ne créera pas plus tard d’autres désordres ? Peu importe !
Il est permis d’imaginer que, avant l’infiltration, toute nouvelle construction devrait avoir une évaluation des besoins d’irrigation et de tout ce qui ne nécessite pas d’eau potable, et une obligation de constituer la réserve adéquate, l’infiltration ne devant se faire qu’au-delà de ce volume.
Il y a peut-être dans cette imposition d’infiltration un but moins avouable, en renvoyant ainsi l’eau de pluie le plus vite possible dans les nappes phréatiques, on accélère sa mise à disposition pour être pompée et nous être revendue ! Car si l’on y regarde de plus près, les usages d’eau potable, propre à la consommation des humains, ne représentent en réalité qu’une infime partie des besoins ; 20% de nos 32,3 Milliards de mètres cubes consommés sont de l’eau potable mais seuls 7% le sont pour la consommation humaine, soit 452 millions de mètre cube. Quand dans le même temps le réseau lui-même consomme au moins 20% en raison des fuites liées au manque d’entretien et la vétusté des installations ! Ainsi en entravant le développement de l’usage des eaux de pluies dans les usages du quotidien, il y a manifestement une volonté politique de favoriser la consommation d’eau facturée, fournie par les multinationales de gestion des eaux qui sont bizarrement toutes… françaises !
L’autre effet pervers de nos politiques actuelles, qui refuse les barrages et les constitutions de réserves d’eau artificielle lors des fortes précipitations hivernales, entraîne quand viennent les périodes chaudes, l’interdiction de l’irrigation. Mais de cette façon les sols se dessèchent, se craquellent, et deviennent imperméables. Et comme après le beau temps viens la pluie… les sols ainsi durcis par le manque d’eau commencent par être incapables d’absorber une forte pluie d’orage et c’est alors le second effet qui arrive, montées des eaux rapides, inondations, coulées de boues…
Il suffit de regarder les pieds d’arbres en ville ou la plupart des terre-pleins non entretenus, non irrigués, en quelques mois, plus rien ne pousse, la terre est dure et même en période de pluie n’arrive pas à se transformer en boue. Dans de telles conditions la dés-imperméabilisation des sols tant vantée par les écologistes ne présente que peu d’intérêt !
Pour que la terre garde un pouvoir d’absorption, elle doit être aérée, notamment par la présence du végétal, or l’irrigation permet d’éviter la mort du végétal et donc une meilleure absorption de l’eau notamment en cas de forte pluie
Il faut savoir se tourner vers la nature : quelles sont les plantes les plus résilientes à la sécheresse ? Les plantes à rhizomes, comme l’iris. Lors de période de pluies, voire d’inondations, la plante va gonfler son rhizome pour stocker le plus d’eau possible afin de lui permettre de franchir les périodes de sécheresse en exploitant cette réserve. De plus, constituées en réseau entre elles, les plantes peuvent ainsi partager la ressource captée.
Pour en revenir à l’aménagement de réservoirs, si chaque nouvelle construction avait l’imposition de construire un réservoir, ils pourraient être conçus en réseaux, les adeptes du Smartgrid et des technologies pourraient même les faire communiquer entre eux pour qu’ils équilibrent leurs charges.
A l’échelle du grand territoire il pourrait aussi être réfléchi du haut vers le bas, avec des réservoirs de montage qui permettraient d’assurer un couvert neigeux quand le besoin se fait sentir, pour satisfaire les skieurs mais pas uniquement, l’enneigement même artificiel ralentirait les effets de la chaleur sur les massifs et préserverait l’humidité des sols, maintenant ainsi la végétation de montagne.
A la fonte des neiges, plus bas, des réservoirs recueilleraient les excédents et ainsi constitueraient les réserves d’irrigation pour les cultures de plaines estivales. Une sorte de grand réseau d’optimisation des ressources mis à notre disposition par la nature plutôt que le gaspillage organisé actuel.
Pour en revenir à notre canal du Midi, en amont de celui-ci se trouvent des rivières, qui sont dirigées non pas vers le canal mais vers des réservoirs… ouvrages de régulation car le canal, dont l’eau s’évapore quand il fait chaud l’été, s’appuie pour être alimenté sur les réserves effectuées aux périodes pluvieuses précédentes et modulées en fonction du besoin. Si nous savions faire cela au XVIIe siècle, nous devrions être capables de le transcender aujourd’hui avec toute notre technologie !
Si notre climat se dérègle et que les pluies sont de plus en plus épisodiques et entrecoupées de période de sécheresse, nous aurions bien plus intérêt à observer et entretenir les ouvrages du passé pour constituer ceux dont nous allons avoir besoin. Car les chiffres démontrent bien que, dans ce domaine, la France ne manque pas d’eau, elle manque d’idée !
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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*INFOGRAPHIES. Agriculture, eau potable, centrales nucléaires… Comment l’eau est consommée en France en quatre graphiques (francetvinfo.fr)