La tour Zizkov, haute de 216 m à deux pas du centre historique de Prague et dotée, à 63 m, d’un restaurant, et à 90 m d’un point de vue panoramique, est considérée comme une horreur ou un formidable gage de modernité. Construite entre 1985 à 1992 et signée de l’architecte Vaclav Aulicky, elle est la preuve cependant que l’architecture des «villes-musées» peut être bousculée.
Jamais la construction d’une tour, fut-elle une tour de télévision, n’a répondu à d’aussi mauvaises raisons. En effet, en 1978, les autorités communistes de Prague, qui n’était pas encore la capitale de la seule République tchèque, décidaient de construire un émetteur de haute puissance afin de brouiller les signaux radios envoyés d’Allemagne de l’ouest. L’ironie vaut son pesant de débats enflammés à Prague car, non seulement les communistes avaient disparu quand la tour fut finalement achevée en 1992 mais ils ont légués à la ville un ouvrage d’une modernité décapante à laquelle nul ne songe à les associer.
Deux phénomènes distincts
Deux phénomènes se sont croisés pour faire de cette tour un ouvrage unique au monde. Le premier vient de la nuit des temps avec le développement de Prague, une ville constamment détruite et reconstruite au fil des invasions et qui su toujours inspirer les architectes du monde (connu) entier. Ainsi, quand l’empereur Karel IV engage sous son règne (1346-1378) la construction de la «nouvelle ville» sur la rive gauche de la Vltava et le pont qui porte son nom, les observateurs de l’époque vantent son «incroyable modernité».
Les Habsbourg au 16ème siècle imposent, toujours au nom de la modernité, le style Renaissance puis le Baroque un siècle plus tard. Le Néo-Renaissance a son heure de gloire à la fin du 19ème et l’Art-Nouveau au début du 20ème. Après 1945, la ville une fois de plus à moitié détruite, les communistes imposent leur architecture de grands ensembles de béton sans âme. Peu soucieux de l’aspect historique de la ville qui leur résiste, ils imposent sans autres formes de débat la tour Zizkov presque en centre-ville.
L’autre phénomène est plus récent. On peut argumenter que la Tour Eiffel fut la première des TV Towers puisque, dès 1935, c’est de son sommet qu’est inaugurée la première émission radio en 180 lignes. Ce design influencera donc les Japonais qui construisent dans les années 50 cinq ou six TV Towers qui sont autant de petites tours Eiffel. Pendant ce temps, Stuttgart, en Allemagne, construit la première tour télé en béton armé, la fait monter à 217 mètres et inclut un restaurant et un point de vue panoramique à 150 mètres du sol, révolutionnant ainsi le concept.
Les Allemands se passionnent pour de telles tours (Dortmund, 1959-220 m ; Berlin 1969-368 m ; Baden-Baden 1972-206 m ; Mannheim 1975-209 m) ainsi que les pays de l’est (Tallin, Estonie ; Vilnius, Lituanie ; Psung, Croatie, Belgrade, (ex) Yougoslavie), la tour Ostankino de Moscou atteignant 535 mètres. Ce concept culmine aujourd’hui avec la CN tower de Toronto, plus haute structure du monde avec 553 m. Mais le concept – tour en béton armé, plate-forme en acier – n’évolue guère. Il faudra attendre le début des années 90 et la construction de l’Orient Pearl Tower à Shanghai pour le voir notablement transformé.
Une vue spectaculaire sur la vieille-ville de Prague
S’il n’était donc pas étonnant que la Tchécoslovaquie de l’époque veuille se doter également d’une tour télé, l’ovni praguois se trouvait juste à la croisée de ces deux phénomènes. «Cette tour est un crime contre la vieille ville, contre la ville historique,» estimait mezzo voce l’architecte praguois Martin Krise. Les habitants, de son avis sans doute, n’avaient en tout état de cause pas leur mot à dire. Auraient-ils été plus heureux si cette tour avait ressemblé à toutes les autres ?
Vaclav Aulicky, l’architecte de la tour Zizkov, continue de défendre son projet. «La vue de Prague est idéale», dit-il. Il peut d’autant mieux s’exprimer que les Praguois, devant l’engouement des touristes, ont peu à peu accepté leur tour, surtout depuis qu’en l’an 2000 un jeune artiste tchèque y apposa des «petits bébés noirs». Au point d’ailleurs que quand, l’expo terminée, il les a enlevés, la demande populaire fut telle qu’il dû les remettre. La tour a ainsi permis de décomplexer les architectes praguois face à leur ville-musée, la cité renouant ainsi avec son passé d’innovation architecturale, la ‘maison dansante’ en étant la preuve la plus éclatante. En Allemagne, les tours de télécommunications de Berlin et Stuttgart sont désormais classées monuments historiques. Le sort sans doute à venir de la tour Zizkov.
Et en France ?
C’est bien simple, après la Tour Eiffel, c’est le néant. Pour une raison simple. Ce sont les PTT, puis l’ORTF, puis l’opérateur public France Télécom qui eurent à gérer les relais de transmission. Non seulement ces compagnies d’Etat n’aimaient pas le mélange des genres – pour simplifier, pas question de mettre un restaurant dans une antenne – mais encore le choix d’installer les relais en haut de collines, loin de toutes habitations et cachées à la vue de tous n’a jamais été remis en cause.
Un projet de tour télé et touristique de 750 mètres de haut (vous avez bien lu 750 m) fut proposé en 1961 par l’architecte Polak à la Défense sur le site actuel de la Grande Arche mais ne fut jamais construit. Une tour est aujourd’hui visible près de Paris à St Ouen, la tour de Romainville, haute de 140 mètres avec une plate-forme à 40 mètres de haut. Aucune tour télé en France ne dépasse les 150 mètres.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur le site CyberArchi le 25 février 2003