
L’architecte Dubois, 56 ans, s’est enfui au Brésil où il a retrouvé sa prochaine victime : Gloria ! L’inspecteur Joachino Nutello, dit Dr. Nut, patron du 22, le service des disparitions inquiétantes, traque sans relâche ce tueur en série de blondes aux yeux bleus dont on ne retrouve pas les corps. Il a lancé sur sa piste Aïda, la seule flic femme du 22, qui fait le compte des premiers cadavres. (Cha. IV).
Retrouver les personnages à l’œuvre
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« La maison comme l’homme peut devenir cadavre. Il suffit qu’une superstition la tue ».
Victor Hugo
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Chapitre IV
Mercredi 24 janvier, 02h35, dans le bureau de Dr. Nut
Après une autre semaine à faire chou blanc au sujet du mausolée de Dubois, là où le policier sait qu’il conserve certaines de ses victime, Dr. Nut a passé la soirée au bureau à boucler des dossiers, le dernier en date une blonde aux yeux bleus disparue à Montmartre, une touriste américaine retrouvée affolée, mais vivante, dans une cave de Pigalle. Si Paris n’est pas une fête, se dit tristement l’inspecteur… Bref, il a travaillé tard, aligné les bières et finalement désœuvré et n’ayant nulle part où aller ni personne pour l’attendre à cette heure-là, il ressort son vieux dossier Dubois et l’ouvre à une page au hasard.
À relire ses notes, il se demande encore si Dubois l’architecte n’est pas une sorte de parasite nécessaire à l’équilibre de l’univers, comme le moustique ou le gui, un parasite empoisonnant, sinon empoisonné. Combien sont-ils comme lui ? L’inspecteur se souvient que c’est le pur hasard qui l’a mis sur la piste de Dubois ; sans un banal accident de la circulation, sans doute n’aurait-il jamais entendu parler de lui et ne saurait rien de son existence et de ses crimes. Le vol ou le meurtre le plus abouti est celui dont nul ne sait qu’il a eu lieu. Mais à la fin c’est l’ego des auteurs qui les perd, pense l’inspecteur.
Pas ici, pas vraiment. L’architecte ne laisse aucune trace qui pourrait mener à lui, pas de corps, et ne se vante pas dans la presse de ses exploits en défiant la police. Un tueur en série discret, pépère en somme. Jamais personne n’a résisté aussi longtemps à Dr. Nut et à ses collègues, à part Dupont de Ligonnesse peut-être. Pourquoi leur est-il si compliqué d’appréhender celui-là ? Le policier a longtemps tourné cette question dans sa tête avant de parvenir à une théorie. Il a compris que l’architecte, du fait de son métier, est le seul parmi les criminels que le policier a croisés à embrasser la complexité des projets, et à embrasser cette complexité à cinq ans, dix ans, cinquante ans, cent ans. Lui seul, parce qu’il est architecte, a cette capacité d’anticipation et c’est ce qui rend Dubois si intrigant, il est l’un des très rares tueurs en série à avoir planifié, patiemment, sa vie de ‘serial killer’, un Dexter des beaux quartiers, un Arsène Lupin de l’assassinat élégant, un Raspoutine visionnaire, un James Bond de l’égoïsme meurtrier.
Dr. Nut en est là de ses réflexions quand le téléphone de son bureau sonne. Déjà inquiet vu l’heure, Dr. Nut presse le bouton du haut-parleur puis enfonce le bouton rouge qui clignote qui indique le standard.
– Dr. Nut ?
– Oui, puisque vous m’appelez…
– Excusez-moi de vous déranger mais je vous savais au bureau et il y a là au téléphone un journaliste brésilien – du moins c’est ce qu’il dit – et il veut parler à quelqu’un du service à propos d’une Française retrouvée noyée. Comme je vous savais au bureau je me suis dit… (la voix du standardiste se perd dans un abîme d’auto-contrition).
– Dites-lui que les bureaux sont fermés, qu’il rappelle demain. (d’un coup d’œil, il sait que c’est encore le soir au Brésil… Aïda…)
– C’est ce que je lui ai dit mais il m’a dit que cela concernait un architecte nommé Dubois et, c’est pas pour vous faire ombrage, mais on espère tous au service que vous coinciez ce salopard, avec tout le respect que je vous dois.
– C’est bon, donne lui le numéro du standard général, laisse-le remonter toute la pente, ça va nous laisser le temps de réfléchir.
Clic.
L’inspecteur regarde sa montre. Presque 3h30. Il prend son portable, laisse sonner et sonner, enfin ça décroche.
– Allo Chef, nous avons un problème.
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Jeudi 25 janvier, 20h08 (heure de Paris), dans le bureau de Dr. Nut
– Allo Patron, je vous dérange ?
– Bonsoir Aïda, non pas du tout, je suis toujours au bureau.
– C’est bien ce que je pensais, je vous préviens vous êtes sur le haut-parleur de la voiture, je ne suis pas seule, Thiago est avec moi.
– OK. Buenos Dias, se risque Dr. Nut.
– On dit « Bom Dia » au Brésil.
S’il ne les voit pas, le policier sent dans le ton d’Aïda une nouvelle complicité avec Thiago. Pourvu qu’il la protège se dit-il mais ne veut rien montrer de ses émotions.
– Je vous écoute.
– Je commence par des nouvelles d’Augustinha Dos Santos, 33 ans, mère célibataire, deux enfants en bas âge. C’est elle qui a été retrouvée à l’Hôtel Arpoador. À la morgue, le lendemain, sous le drap, nous avons avec Thiago découvert un corps svelte, recouvert de taches de rousseur, une longue chevelure blonde vénitien s’étendant en cascade sur les épaules. Le cadavre présentait des signes de cyanose, peau bleutée notamment sur les lèvres et les orteils. Un bleu était présent sur le crâne causé certainement par une chute : une perte de connaissance au vu de la position lâche et allongé dans laquelle ils l’ont retrouvé. L’autopsie a mis également en évidence un œdème pulmonaire. Elle a eu un rapport sexuel autour de l’heure de son décès. Enfin des tests toxicologiques ont révélé la présence dans le sang d’un grand taux d’alcool et de GHB. L’hypothèse semble assez claire ; elle aurait été droguée, violée, puis laissée inconsciente dans le cagibi et serait décédée d’une overdose de GHB et d’alcool. Elle n’avait aucun antécédent. Elle pourrait de plus avoir été violée après son décès comme me l’a indiqué le médecin légiste.
Aïda reprend sa respiration, jette un coup d’œil à Thiago, le visage tendu à regarder la route. Ils furent tous deux touchés par l’atrocité de l’affaire. C’est Dr. Nut qui reprend.
– Ok, Aïda, je comprends. Vous m’enverrez une fiche récapitulative du cas Augustinha, n’est-ce pas, pour compléter mes notes ?
– Oui, bien sûr. Je vous envoie tout ça par email dès que je peux. Maintenant nous n’avons aucun élément pour une potentielle mise en cause de Dubois et nous sommes de nouveau assez loin de son modus operandi habituel. Le poison ! Voilà qui ressemble d’avantage au meurtre glauque d’un samedi soir au sein d’un hôtel de luxe. L’alibi de Dubois – il était dans le taxi pour Pinciguaba – est cependant fragile et si rien ne semble le relier à Augustinha Dos Santos, pour autant, il était dans le secteur, comme par hasard.
– Comme d’habitude…
– Exactement, s’exclame Aïda. D’ailleurs, à ma connaissance, la police n’a aucun suspect.
– Thiago et toi avez parlé de Dubois à quiconque ?
– Non, pas publiquement mais je sais qu’il a son chef à lui qu’il tient informé. D’ailleurs il m’entend et hausse les épaules. Puis nous avons pris la direction de Pinciguaba pour essayer de retrouver Dubois. Je suis partie du postulat que Gloria emmènerait Dubois visiter ses projets architecturaux, j’avais pris le temps de regarder de fond en comble le site internet de l’agence d’architecture de Gloria, afin d’y trouver un projet à elle dans le village ; là où potentiellement ils pourraient résider. Sauf que malheureusement il n’y en avait aucun, elle n’a rien construit ici ! Sur place, on a fait aussi discrètement que possible le tour des trois hôtels d’un certain standing pour essayer de mettre la main sur « un couple mixte franco brésilien, des amis architectes » mais sans succès.
Nous sommes restés coincés deux jours dans ce petit village (mais magnifique pense-t-elle), deux jours à essayer de les apercevoir, sur la plage, au restaurant. C’est d’ailleurs en jouant les touristes qu’un restaurateur, qui tient une petite bicoque sur le port de pêche, nous a raconté qu’un « autre français » avait aussi déjeuné chez lui la veille. Il trouvait vraiment étonnant que deux jours d’affilée deux différents couples franco-brésilien viennent manger chez lui. Alors Thiago a engagé la conversation avec le sourire avenant dont il a le secret. Visiblement, Gloria semble assez bavarde puisqu’elle a expliqué au patron qu’ils logeaient à quelques kilomètres de là, sur la côte, dans une maison d’amis accessible uniquement en bateau. Surtout elle lui a indiqué qu’ils avaient pour projet de poursuivre leur voyage à Paraty.
– Vous avez réussi à les loger avant leur départ ?
– Oui, nous avons fini par trouver la maison. Mais nous avions avec Thiago décidé de rester discret, de les surveiller de loin, de toute façon les allées et venues de Gloria et Dubois étaient difficiles à suivre H/24. C’est ce matin que ça a bougé, la police locale nous a appelé.
– Comment ça ?
– L’info est revenue à Thiago qu’un corps de femme a été retrouvé à 40 km d’ici, une blonde aux yeux bleus.
– Tant mieux, il est bien organisé le collègue ; et Dubois ?
– Ils ont dû partir hier soir ou dans la nuit ou au petit matin, quand nous sommes repassés tout à l’heure la maison était fermée. Le temps de rendre le bateau au loueur et de plier bagages et il est déjà le milieu de l’après-midi ici.
– Une femme décédée et un départ le même jour, serait-il devenu pressé et vorace le Dubois ?
– Je ne sais pas. Toujours est-il que la Piscinas naturais do cachadaço, une piscine naturelle, là où a été retrouvé le corps, est sur la route de Paraty, donc sur la route de Dubois… On devrait arriver sur les lieux du crime d’ici une quinzaine de minutes.
– Bien, dit Dr. Nut qui tient à cacher son inquiétude. Faites attention à vous. Thiago vous m’entendez, soyez prudents, Dubois n’est pas votre architecte habituel.
– J’ai compris, comptez sur moi Docteur, répond le policier brésilien.
– Ok, salut patron, je vous tiens au courant, conclut Aïda.
Clic.
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Jeudi 25 janvier, 21h15, dans le bureau de Dr. Nut
Le standard : Patron, un coup de fil d’un journaliste italien, il veut parler au chef du 22, le service des disparitions inquiétantes.
– Passez le moi, soupire Dr. Nut.
– Allo ?
– Si, allo (accent italien). Je m’appelle Lorenzo Antonetti et je travaille pour La Stampa, le plus grand quotidien de Turin.
– Bonjour, je suis l’inspecteur Nutello, que puis-je faire pour vous ?
– Nutello ?
– Oui mais on m’appelle Dr. Nut. Que puis-je faire pour vous ?
– Mi scusi. Voilà, j’enquête sur la mort étrange d’une Gina Rossi. Son nom vous dit quelque chose ?
– Pas comme ça. Pourquoi m’appelez-vous ?
– Voilà. Le corps de Gina Rossi – elle aurait aujourd’hui 33 ans – a été retrouvé en août 2022 sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin. Le cadavre était enveloppé d’un sac mortuaire réfrigérant, comme ceux que vous utilisez pour acheter des surgelés…
– Je ne mange que des sandwiches…
– Si, mi scusi, je me dépêche. Cette mort est suspecte et j’ai appris que Gina avait disparu à Paris vers décembre 2018. Alors je me demandais si vous-même ou quelqu’un dans votre service saviez quelque chose à son sujet.
– Comment dites-vous qu’elle s’appelle…
– Gina Rossi, née à Turin le 10 août 1991, une architecte, des cheveux blond très clairs, des yeux bleus.
– Comment savez-vous qu’elle a disparu à Paris ?
– Parce que j’ai identifié sa dernière adresse connue : 224 rue Saint-Jacques, Paris (Ve). Et c’était en 2018 ! Et son corps réapparaît en 2022 à Turin ? Personne ne semble savoir ce qu’elle a fait entre-temps ni ce qu’elle est devenue ni même quand elle est décédée, vraisemblablement assassinée, si vous me demandez mon avis. J’ai aussi pu établir que son dernier emploi connu avant sa disparition était cheffe de projet au sein de l’agence Dupont&Dubois, sise à Paris (XIe), 6 Cité de l’ameublement.
– Hum… (Dr. Nut tente de garder le contrôle de ses émotions). Je vois. Écoutez, son nom ne me dit rien mais si je peux vous être utile, laissez-moi rapidement scanner son nom dans nos fichiers. Vous pouvez me l’épeler ?
– Si. G I N A R O S S I.
– Gina Rossi, bien, donnez-moi quelques minutes…
Dans le silence de l’attente, Lorenzo Antonetti entend le policier crier : « Hey les gars, une Gina Rossi, une italienne, ça vous dit quelque chose ? ». Puis Dr. Nut reprend la conversation.
– Allo, vous êtes toujours-là ?
– Si.
– Bon, vous avez entendu, ce nom ne dit rien à mes gars et il n’apparaît pas sur ma liste des personnes recherchées. Je ne vois ni signalement pour disparition inquiétante ni plainte, ni demande de recherches par quiconque. Elle n’a apparemment commis aucun délit… Bref, son nom est parfaitement inconnu de nos services. Désolé de ne pouvoir vous en dire plus. Vous savez, à Paris, des femmes disparaissent tous les jours.
– Je m’en doute, à Turin aussi, soupire Lorenzon Antonetti. grazie mille en tout cas de votre obligeance.
– De rien, tenez-moi au courant si vous trouvez la clef du mystère.
– Si, je n’y manquerai pas.
Clic.
(À suivre)
Secrétariat du 22
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