
« Alors Oksana, la visite dans les crayères de Belleville vous plaît ? », demande Dubois. « C’est super, S U P E R, un grand merci ! », répond Oksana. « C’est une forme de patrimoine qui risque d’être détruite, vous ne pensez pas ? », demande-t-elle. « Un patrimoine, oui, certainement », répond l’architecte. (Cha. XVI et épilogue ).
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« J’aime Paris, je m’y sens chez moi, mais je souffre de la voir souffrir ».
Renzo Piano
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Chapitre XVI
Lundi 4 mars, 18h55, à l’aéroport de Roissy, aux arrivées du terminal 2
Dr. Nut et Aïda sont en avance, l’avion de Dubois et Gloria vient à peine de se poser mais ils restent postés près du Relay, observant la foule. Au bout d’un moment, au fil des minutes, ils voient se former un petit groupe de journalistes. « Ne manquaient plus qu’eux », soupire Dr. Nut. « Éloignons-nous encore un peu, l’un d’eux pourrait vous reconnaître », dit-il à Aïda.
Ils sont justement en train de traîner dans la boutique, sans rien acheter évidemment, quand un homme bien habillé, d’une quarantaine d’années, les cheveux noirs et le teint mat, aborde Dr. Nut, sans l’ombre d’une hésitation :
– Dr. Nut je présume (accent chantant) ?
– Qui le demande ? répond le policier, surpris.
– Oh pardonnez-moi, je suis Lorenzo Antonetti, journaliste à La Stampa, à Turin. Nous nous sommes parlé au téléphone. Et je reconnais Mme. Ash. Aïda, c’est ça ? Si ?
Aïda aimerait lui renvoyer son sourire dans les gencives mais elle se contente d’un sourire tout aussi faux cul que le sien.
– Que faites-vous ici ? demande Dr. Nut.
– Comme vous, j’attends Dubois l’architecte et Gloria da Silva.
– Comment savez-vous qu’il rentre aujourd’hui ? Vous êtes bien informé…
– Ce n’était pas difficile, ce n’est pas comme si, depuis son voyage au Brésil, Dubois passait inaperçu.
Voilà ce qui explique la présence des journalistes, se dit le policier qui avait espéré être seul avec Aïda pour « accueillir » Dubois. C’est râpé.
– Pourquoi n’êtes-vous pas avec vos confrères, fait le policier avec une moue du menton vers le groupe de journalistes ?
– Parce qu’ils ne savent rien de la vraie histoire de Dubois et que je n’ai aucune envie de partager mon scoop.
– Un scoop ? Allons bon ! Qu’en savez-vous donc de « la vraie histoire » de Dubois ?
– Disons que j’ai des indices concordants, sinon des preuves, qui me laissent à penser que Dubois n’est pas le gentilhomme décrit par Madame Ash ici présente lors de sa conférence à la télé brésilienne.
Aïda se raidit à ces mots mais tente de n’en rien laisser paraître.
– Que voulez-vous ? demande Dr. Nut.
– Peut-être pourrions-nous partager des infos, je vous dis ce que je trouve, vous me dites ce que vous avez et on coince Dubois. La presse peut vous être utile, on ne sait jamais.
– Vous avez beaucoup d’imagination Monsieur Antonetti et je ne suis pas sûr de savoir ce dont vous parlez mais si vous avez des infos à propos de Dubois, n’hésitez pas à m’en faire part, vous avez mon numéro. Merci. Au revoir.
– Alors pourquoi êtes-vous ici ? réplique l’Italien qui a perdu le sourire, le regard dur.
– Dubois est devenu une star, bien malgré lui au Brésil, nous sommes là pour nous assurer que tout se passe bien à son retour.
– Vous n’allez pas l’arrêter ?
Dr. Nut hausse les épaules.
– Pourquoi le devrais-je ?
– Parce que Gina Rossi, Anna Rizzo, Christèle Meyer et maintenant, Julie Durantin… Toutes ces femmes assassinées… Depuis toutes ces années, vous n’avez toujours rien contre lui pour le stopper ?
– Écoutez Monsieur le journaliste de La Stampa, je vous ai déjà dit que je ne sais pas de quoi ou de qui vous parlez alors au revoir et merci. D’ailleurs, voilà Dubois et Gloria qui arrivent, allez donc plutôt leur raconter à eux vos fariboles.
Lorenzo Antonetti s’éloigne alors mais se contente, tout comme Dr. Nut et Aïda, d’observer la scène de loin.
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Lundi 4 mars, 18h32, à l’aéroport de Roissy, aux arrivées du terminal 2
Dubois et Gloria, visiblement heureuse, traversent les portes du sas des arrivées et s’engagent résolument. Dubois aperçoit immédiatement un ami venu les chercher qu’il retrouve avec force embrassades et sourires excités. Dubois est en train de faire les présentations quand les journalistes s‘approchent. L’architecte feint de les ignorer mais l’un d’eux les interpelle.
– Alors Monsieur Dubois, vous seriez un tueur en série ?
Et toute la troupe des journalistes de s’esclaffer joyeusement avant de se mettre à poser des questions, tous en même temps !
– Avez-vous fait bon voyage ? demande un autre.
– Que pensez-vous de l’architecture du Brésil en général et de celle de Gloria da Silva en particulier ? Pouvez-vous nous expliquer la différence entre l’architecture au Brésil et en France ? Pensez-vous que l’architecture doit être durable parce qu’il est vrai que l’architecture moderne détruit nos villes et qu’il faut désormais privilégier les circuits courts ? s’écrie une autre.
– Monsieur Dubois, avez-vous eu peur de vous retrouver en prison ?
– Monsieur Dubois, quelle aventure incroyable vous avez vécu quand même… Pouvez-vous nous dire ce que vous ressentez ? s’enquiert un cinquième.
À cette question imbécile du ressenti, toujours la même, Dubois a un sourire et s’arrête une seconde, Gloria ravie de voir la tension retomber.
– Ah ça, vous pouvez le dire que ce fut une drôle d’aventure, disons que Gloria et moi avons eu des vacances mouvementées mais il faut garder le sens des proportions. Il n’y a pas eu mort d’homme hahaha… Ce que je ressentais ? De l’inconfort en réalité. Nous sommes avec Gloria en voyage architectural – d’ailleurs n’hésitez pas à présenter son travail dans vos journaux, c’est spectaculaire… – et juste…
– (il est interrompu sans ménagement) Gloria, do you understand what he says ? What did you feel when you heard Dubois may be a serial killer ? (Gloria, comprenez-vous ce qu’il dit ? Qu’avez-vous ressenti quand vous avez appris que Dubois pourrait être un tueur en série ?)
– Je comprends français… ce que je feel ? First la surprise et, comme Dubois dit… inconfortable… but après, no problem, et nous beaucoup marrer de la situation.
– Maintenant, coupe Dubois, si vous voulez bien nous laisser. Ce fut un long voyage, pleins d’émotions fortes et nous aimerions pouvoir nous reposer un peu avant pour Gloria de découvrir Paris. Merci.
Sur ce, avec son copain et Gloria, ils s’en vont d’un bon pas en discutant et souriant ensemble, suivis de loin par Dr. Nut et Aïda.
– Voilà, il est de retour. Pour autant, je pense que nous pouvons compter sur quelques jours de calme, il ne va pas tuer Gloria tout de suite quand même, dit Dr. Nut avec le sourire.
– C’est sûr qu’après l’avoir montrée partout, il aura du mal à la faire disparaître, répond Aïda sur le même ton.
– Encore que, soupire le policier, plus gravement, vous et moi savons à quel point il est ingénieux. C’est un architecte après tout.
Ils éclatent de rire…
***
Jeudi 7 mars, 19h37, dans le bureau de Dr. Nut
Dr. Nut voit son téléphone vibrer. C’est Le Nantais, son jeune collaborateur, qui l’appelle. Pourquoi appelle-t-il à cette heure-là ? Déjà inquiet…
– Le Nantais, qu’est-ce qui se passe ?
– Patron, je sais où il les emmène…
Il n’a même pas besoin de préciser qui est Il. Dr. Nut est immédiatement inquiet.
– Où es-tu ?
– Dans les crayères, sous Belleville… zip zap ouignnn… c’est par là qu’il rentre… zoung zing…
– Le Nantais, le téléphone passe mal… Tu m’entends ?
– Oui, patron, je vous entends. Je disais que je gardais un œil sur Oksana, même si on est séparés, depuis que Dubois est rentré, au cas où et… zip zap ouignnn… ouignnn… zoum scratchh… c’est comme ça que je sais où… zoum scratchh
– Le Nantais, pas où es-tu rentré ?
– Patron c’est un truc de fou, c’est carrément… zoum zam scritchhhh ouignn grat zoum…
– Le Nantais, je ne t’entends pas merde. Sors de là !
Dr. Nut hurle dans le téléphone et fait un signe à Gilbert, encore au bureau, de se préparer à quelque chose. Gilbert se lève, se précipite sur son pardessus, récupère son arme…
– Patron, vous m’entendez ? Je n’ai pas entendu votre dernière phrase. Je disais donc… zip zap ouignnn…
– Le Nantais, Heidi, sors de là. Si tu m’entends, sors de là le plus vite possible et dès que tu es dehors donne-nous l’adresse et on arrive. Tu m’entends ? Le Nantais, tu m’entends ? Sors de là…
– zoum zam scritchhhh… je sais où… zip zap ouignnn… OH ??? Dubo… ARRRGHHHHH… (soupir)
Clic.
***
Epilogue
Jeudi 7 mars, 19h52, sur le boulevard de Belleville, Oksana et Dubois devisant
– Alors Oksana, la visite dans les crayères vous a plu ?
– C’était super, S U P E R, un grand merci ! J’ai même eu le temps de faire quelques dessins, cela fera des souvenirs puisque la salle que vous m’avez montrée n’existera plus demain telle que nous l’avons vue ce soir. C’est une forme de patrimoine qui est détruite, vous ne pensez pas ?
– Un patrimoine, oui, certainement.
– Il y en a d’autres comme ça à explorer des crayères ou ces carrières de gypse ?
– J’en connais quelques autres, si cela vous intéresse.
– Je serai ravie.
– Eh bien c’est parfait.
Ils sont arrivés à la bouche du métro Belleville.
– Bon, je vous laisse, je retourne à l’agence, j’ai prévu une sortie avec Gloria.
– Merci encore Monsieur Dubois, je suis vraiment très heureuse de travailler dans votre agence.
– À la bonne heure. À demain donc.
Oksana s’engouffre dans la bouche de la station, l’esprit plein de bonnes ondes. Les crayères qu’elle a découvertes lui font penser au métro de Kiev mais elle chasse rapidement cette pensée triste tant elle est si heureuse d’être à Paris, n’était-ce l’étrange absence de nouvelles de Heidi depuis quelques jours.
(Fin)
Secrétariat du 22
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