
Dr. Nut, patron du 22, le service parisien des disparitions inquiétantes, a enfin trouvé un indice concernant le mausolée où Dubois, tueur en série de blondes aux yeux bleus, garde ses victimes. En attendant, au Brésil où l’architecte s’est enfui, Aïda découvre un nouveau corps. Vaudou ? (Cha. VII).
Retrouver les personnages à l’œuvre
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« Un homme tout à fait moderne, qui veut par exemple se bâtir une maison, éprouve à ce propos le même sentiment que s’il voulait s’emmurer vivant dans une mausolée ».
Friedrich Nietzsche
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Chapitre VII
Lundi 5 février, 18h39, dans le bureau de Dr. Nut
Pour une fois, Dr. Nut est content de lui, il a enfin fait une – petite – avancée sur le cas Dubois. Il a étalé sur son bureau un plan de l’est de Paris, un plan plus précis de Belleville et toute une série de photos. Il sait que Dubois garde certaines de ses victimes dans une sorte de mausolée, s’il en croit l’analyse d’Ethel Hazel, la psychanalyste de Dubois, mais où ? C’est étrange mais maintenant que Dubois est loin, au Brésil, du moins pour l’instant, c’est comme si le policier réfléchissait autrement. En effet, cela fait longtemps qu’il se demande comment Dubois transporte ses victimes, une fois qu’il les a étouffées, puisqu’il sait qu’il les étouffe. Dispose-t-il d’un lieu spécial où il les tue, un appartement caché comme celui où il fut retenu prisonnier durant le confinement ? C’est possible. Mais, en tout état de cause, ce lieu ne peut pas être loin de chez lui, il est forcément à Belleville. Le policier en est persuadé car il sait que Dubois n’a jamais cessé depuis ses études de fréquenter Belleville, même s’il a longtemps vécu dans les beaux quartiers, rue Guynemer, notamment, dans le 6ème arrondissement.
Dr. Nut se souvient avoir lu dans les notes d’Ethel qu’elle avait connu un trou noir de plusieurs heures après sa première nuit avec Dubois, à laquelle elle avait survécu, et qu’elle se demandait si elle avait été droguée. S’il les drogue, se dit le policier, alors il peut les déplacer assez facilement, comme si elles étaient ivres ou souffrantes par exemple, surtout si la distance est courte ; personne ne lui poserait de question. Dubois se déplace habituellement dans Paris en scooter mais il a une voiture, une nouvelle depuis deux ans d’ailleurs, une Honda grise hybride que le policier connaît bien pour l’avoir souvent vue garée devant son agence. Mais, s’est-il soudain demandé, où la gare-t-il quand il part en voyage pour plusieurs jours, comme maintenant qu’il est au Brésil ? L’inspecteur ne s’était jamais posé la question. Mais du moment où il a su ce qu’il cherchait, avec l’aide des agents du commissariat du 20ème, il a trouvé rapidement. En fait, comme de juste, Dubois se gare tout près de chez lui, au Parking One Park Belleville-Menilmontant, 30 Bd de Belleville. Ce parking est ouvert 24h/24 mais, surtout, a découvert le policier, il possède quatre entrées et autant de sorties car il est accessible par le boulevard de Belleville, la rue des Couronnes ainsi que la rue Oberkampf, voire par la Porte du Pré Saint-Gervais en venant du boulevard périphérique. Entre le 11ème et 20ème arrondissements, il offre plusieurs accès faciles et discrets. Ce pourquoi on ne voit jamais Dubois partir ou revenir, s’est dit le policier.
De toute façon, il est difficile de mettre quelqu’un à planquer 24h/24 dans un parking sans être repéré. Encore aurait-il fallu y penser. Quant à mobiliser quatre équipes pour garder les entrées, ce n’est même pas la peine de l’envisager. Ce parking date des années ‘90 et, l’inspecteur a vérifié, n’a pas été construit par l’agence de Dubois, Dupont&Dubois à l’époque. Pour autant il est à 150 mètres seulement de son agence et de chez lui. Du coup, Dr. Nut a fait plusieurs fois le tour du parking et interrogé les employés sans qu’apparaisse la moindre irrégularité ou signalement. Dubois a un abonnement à l’année, une place dédiée – le policier a fait le tour de la voiture, jetant un coup d’œil à l’intérieur sans rien noter de particulier sinon l’éclatante propreté, comme si elle était encore neuve. Bref, Dubois entre et sort comme il veut. Une fois de plus, le policier est quasi admiratif de la précision de l’écheveau construit par Dubois. Pour autant, il sera désormais plus facile de suivre ses déplacements. « Ne me reste qu’à trouver le chemin du parking à son mausolée », se dit Dr. Nut, souriant en son for.
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Lundi 5 février, 18h39 (heure de São Paulo), 23h39 (heure de Paris)
Aïda serre son téléphone dans sa main, son souffle est court. Elle tente de contenir la panique qui lui monte au cerveau mais la scène devant elle est impossible à ignorer. Le corps d’une très jeune femme repose sur l’autel de l’église abandonnée que Aïda cherchait depuis deux jours. Le corps est soigneusement disposé dans une mise en scène tout aussi théâtrale que morbide. La lumière du soleil couchant se faufile à travers la toiture délabrée qui semble avoir été engloutie par la jungle alentour. Le corps est nu, positionné sur le dos, les bras croisés sur sa petite poitrine, les jambes serrées. La chevelure blond platine forme une auréole autour du visage de la gamine dont Aïda ne saurait dire si elle est majeure. Elle note rapidement les ongles des doigt et des orteils peints en noir.
Tout autour du corps, qui ne porte aucune trace de violence ou marquage cabalistique, parmi les nombreuses bougies, qui ressemblent à des bougies votives, la plupart brûlent encore, d’autres ayant déjà fondu formant une sorte de paysage fantastique sur l’autel en pierre.
À côté de Aïda, Paulo, le propriétaire de son auberge, qui l’a guidée jusque-là, regarde le corps, figé par la peur. Il murmure des prières, la voix tremblante, reculant lentement comme pour s’éloigner de cette horreur. Aïda est paralysée par sa découverte. Paulo la secoue, ce qui la ramène à elle, et lui intime de s’enfuir. Vaudou, croit-elle comprendre dans son charabia paniqué. Elle retrouve un peu de sang-froid et, après s’être expliquée avec Paulo, lui ordonnant qu’il l’attende, elle compose le numéro de Dr. Nut, espérant le cœur battant qu’il décroche. C’est le cas dès la première sonnerie.
– Aïda ? Il est tard, que se passe-t-il ? Elle entend dans sa voix l’inquiétude de l’inspecteur.
– Patron… Je suis dans cette église abandonnée. Je suis venue là parce que Gloria en a posté une photo sur Instagram il y a quelques jours. Paulo, le patron de l’auberge où je réside a accepté de m’y conduire. C’est une sacrée randonnée ! Et, en arrivant, on a trouvé un nouveau corps… Aïda sent sa voix qui tremble… Elle perçoit l’hésitation du policier.
– Un nouveau corps ?
– Oui, une jeune fille ou jeune femme, blonde évidemment. Elle est… elle est étendue sur l’autel, totalement nue, entourée de bougies. Tout est organisé, mis en scène, récemment d’ailleurs puisque toutes les bougies ne sont pas consumées. Ça pourrait être du Dubois… En fait, cette jeune femme ressemble à Gina, on dirait Gina en plus jeune. Je n’ai aucune idée où sont Dubois et Gloria, poursuit Aïda avec difficulté. J’ai du montrer à Paulo ma carte de policier pour le retenir, sinon il disparaissait immédiatement. Le badge a fait son effet, il m’attend avant d’appeler la police locale. Mais je ne vais pas le retenir longtemps, il est terrorisé. Elle s’aperçoit en disant cela qu’elle a le souffle court.
– Attends, respire, Aïda. Est-ce que tu as touché à quelque chose ?
– Non, je n’ai rien touché. Paulo non plus. On est arrivés et on a tout de suite vu ça… C’est totalement hors du temps, on dirait un sacrifice macabre, dit-elle en secouant la tête, les yeux toujours rivés sur le corps nu de la jeune femme. Paulo me parle de Vaudou.
– Vaudou ?
– Je n’en sais rien, mais l’ambiance est fantasmagorique si vous voyez ce que je veux dire.
– OK, prends des photos puis sors de là en ne touchant à rien. Est-ce que tu as des nouvelles de Thiago ? Est-il censé te retrouver ?
– Non, répond Aïda nerveuse, il est encore à Paraty pour enquêter sur les décès d’Isabella da Rocinha et Maria Aparecida Silva, voyez j’ai même retenu leurs noms, répond Aïda d’une voix soudain plus triste qu’effrayée.
– Ok, tu l’appelles dès qu’on raccroche, qu’il trouve un moyen de te retrouver en urgence. Demande-lui de prévenir la police locale, il saura comment leur mentir, et explique à ton Paulo que c’est ce que vous allez faire.
– Je peux appeler la police moi-même, elle voudra de toute façon sans doute me parler… Aïda se sent totalement dépourvue.
– Non ! l’interrompt Dr. Nut. La situation est trop délicate Aïda, laisse faire Thiago. La police locale va se demander pourquoi c’est une flic française qui a découvert ce corps, puisque rien n’empêchera Paulo de parler, et Thiago trouvera peut-être une explication à offrir et réussira à convaincre Paulo de se taire, au moins dans un premier temps. Quant à toi, tu es juste une touriste lambda qui se trouve être une policière en vacances et qui adore l’architecture et les vieilles pierres et c’est d’ailleurs sur le site d’une architecte brésilienne que tu as entendu parler de cette chapelle. Et en tant que flic, il n’est pas étonnant que tu connaisses un collègue brésilien et que ce soit lui que tu appelles en premier. C’est cohérent.
– OK patron, j’ai compris.
– Maintenant il faut remettre la main sur Gloria et Dubois. Tu peux me refaire un récapitulatif de leurs dernières 48 heures ?
– Oui, répond Aïda qui a détaché son regard de la victime et a enfin retrouvé son calme. Je n’ai pas de nouvelles d’eux depuis que je suis arrivée à Ilha Grande, je ne les ai pas vus. L’île n’est pas si petite, il y a quand même près de 10 000 habitants mais les véhicules à moteur sont interdits, alors tout se fait à pied ou en bateau. Sauf que c’est la jungle, tout est très difficilement accessible ! Dubois et Gloria peuvent être n’importe où puisqu’ils sont arrivés en bateau. La seule information que j’ai réussi à trouver est ce post de Gloria, la photo de cette église en ruines avec comme légende quelque chose comme « Certains lieux ne sont pas faits pour être habités, mais pour être admirés… ». C’est grâce à Paulo que j’ai pu la retrouver. « Igreja das Sombras », c’est une ancienne bâtisse coloniale qui était autrefois utilisée comme lieu de pèlerinage. Mais des légendes locales affirment que l’église serait habitée par des esprits, d’où son nom, l’église des Ombres et elle est donc laissée à l’abandon depuis plusieurs décennies.
– OK, donc elle porte toujours aussi bien son nom, dit Dr. Nut, réfléchissant à haute voix. As-tu détecté des signes d’activité récente autour de l’église ?
– Non… rien de particulier à part le corps et les bougies. Il fait sombre, le lieu est vieux, abandonné, envahi par la végétation.
– Attention, c’est peut-être un guet-apens. Ce corps pourrait très bien être pour Dubois un moyen de valider ses doutes, il se sent peut-être suivi ou il a découvert que tu étais sur ses traces. Il voulait peut-être te faire venir ici, peut-être pour te faire peur, ou bien te distraire, ou pire… pour t’exposer.
Aïda senti la panique l’envahir à nouveau. Si Dr. Nut avait raison, Dubois pourrait n’être pas loin, peut-être même l’observe-t-il en ce moment même.
– Garde ton calme, lui dit le policier, qui a senti son moment de trouble. Paulo est toujours avec toi ?
– Oui mais il n’a qu’une envie, s’enfuir !
– Bien, repars avec lui, au cas où Dubois, ou l’auteur de cette mise en scène, serait encore dans les parages. Et, Aïda, ne prend aucun risque inutile. Si Dubois est vraiment derrière ça, il peut encore avoir un coup d’avance. Appelle Thiago et rappelle-moi quand tu l’as eu et n’oublie pas de prendre quelques photos avant de partir.
Aïda raccroche et regarde tout autour d’elle, elle se demande si elle ne devrait pas souffler les bougies. Elle s’en veut de devoir laisser là, toute seule, cette jeune femme inconnue. Paulo impatient n’arrête pas de se signer et murmure sans discontinuer des incantations. La forêt autour d’eux regorge de bruits d’autant plus menaçants que la nuit est maintenant complètement tombée : le vent dans les feuilles, des craquements, des oiseaux qui chantent, des animaux qui gémissent. Il ne manquerait plus qu’il y ait vraiment des esprits… Elle prend une grande inspiration puis appelle Thiago.
(À suivre)
Secrétariat du 22
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