A l’heure où la course à la hauteur pour un bâtiment bois semble irrémédiablement lancée, le CLT est-il au bois ce que la fleur en plastique est à la rose ? R+7 à Marseille, R+10 à Angers… A Bordeaux, Hyperion (57m) et Silva (50m) seront les tours d’habitations en ossature bois les plus hautes de France. Même les majors s’y mettent. Révolution culturelle ou cynisme opportuniste ?
Dominique Gauzin-Müller (architecte), Alain Bornarel (ingénieur) et Philippe Madec (architecte-urbaniste) ont le 19 janvier 2017 publié conjointement un Manifeste pour une frugalité heureuse que l’on pourrait résumer ainsi : la catastrophe est à nos portes mais il y a de l’espoir grâce au bois et à la terre crue.
Dans ce texte, les auteurs déclinent à loisir leur concept de frugalité : frugalité en énergie, en matière, en technicité, la frugalité pour le territoire puis finalement pour elle-même. Selon le Larousse, la frugalité est ce «qui se nourrit de peu, qui vit d’une manière simple», «qui consiste en aliments simples et peu abondants». Est-ce l’ambition d’un architecte qu’un bâtiment soit frugal ?
Par exemple, dans le paragraphe intitulé ‘Frugalité pour le territoire’, les auteurs expliquent : «Qu’il soit implanté en milieu urbain ou rural, le bâtiment frugal se soucie de son contexte. Il reconnaît les cultures, les lieux et y puise son inspiration. Il emploie avec soin le foncier et les ressources locales ; il respecte l’air, les sols, les eaux, la biodiversité, etc. Il est généreux envers son territoire et attentif à ses habitants. Par son programme et ses choix constructifs, il favorise tout ce qui allège son empreinte écologique, et tout ce qui le rend équitable et agréable à vivre». C’est beau comme l’antique mais ce qui est décrit là, c’est déjà le boulot de tout architecte un peu consciencieux. Un bâtiment bien conçu en regards des contraintes budgétaires, techniques et culturelles, avec une attention portée à son empreinte carbone, doit-il être nécessairement frugal ? La réponse se discute.
L’empreinte carbone par exemple. Il est certain que si un promoteur cherche un bilan carbone positif, mieux vaut le bois que le PVC. D’un autre côté, le bilan carbone du cuivre est négatif à dix ans mais, à 150 ans, sa durée de vie minimum, le bilan carbone est positif. Alors que signifie un bilan carbone quand nul ne sait rien de la temporalité du matériau ? Autre exemple : un mur à ossature bois est perméable, il faut donc le recouvrir d’un matériau synthétique de type Tyvek fabriqué à partir de fibres de polyéthylène par les industriels de la chimie dont le bilan carbone est formidable.
Il paraît pourtant que le bois, de ce point de vue, est champion. «Naturellement écologique, le bois nécessite moins d’énergie lors de sa fabrication et capture de grandes quantités de CO2 pendant toute la croissance de l’arbre», explique un communiqué de Bouygues. Nous aurions pu citer n’importe qui d’autre tant l’antienne est reprise ad nauseam partout et par tout le monde sans être jamais remise en question. Or de quel bois parle-t-on ? En structure ? en façade ? en ossature ? en parement ? en cache-misère ?
Dans la course à la hauteur en bâtiments bois (et encore, il s’agit souvent de bâtiments mixtes béton-bois devenus par la magie du verbe des ‘bâtiments bois’), l’utilisation massive de CLT (Cross Laminated Timber) pose la question de ce bilan carbone exemplaire. Certes le CLT compense tout ce que le bois ne sait pas faire naturellement dans un ouvrage de grande dimension : ne pas bouger dans le temps. Dit autrement, s’il y a un peu de jeu dans le pavillon de montagne, rien qui ne puisse être réglé avec un gros clou et un bon marteau, mais pour un bâtiment de logement de dix étages, les bureaux d’études et les architectes n’ont pas cette marge d’erreur. D’où le CLT.
Les architectes français, longtemps après leurs homologues américains, découvrent les vertus du lamellé-collé. Etienne Tricaud, le patron d’AREP, explique par exemple que, pour la gare urbaine de Chengdu en Chine, «les arcs croisés et les bracons qui dessinent la structure sont faits en pin lamellé-collé pour garantir stabilité et légèreté à ces vagues de faible ondulation et de très grande portée, jusqu’à 96 m». «Il s’agit d’un record en Chine», dit-il. 96 m de portée ? En bois ?
Pas vraiment ! Le lamellé-collé, ce sont des lames de bois collées ensemble et c’est la résine qui tient le tout. Il s’agit donc d’un matériau composite à base de bois mais ce n’est pas du bois, ou alors du bois artificiel, comme une rose en plastique n’est pas une rose mais une rose artificielle, même si elle en a l’apparence. Que le CLT offre de nouvelles opportunités architecturales, personne ne le conteste. Mais que son bilan carbone soit si formidable, c’est moins sûr. Il paraît pourtant qu’un mètre cube de CLT capte 460 kilogrammes de carbone pour toute la durée de vie du bâtiment… ! Pour information, un seul trajet Paris-Marseille en voiture essence représente déjà 150 kilogrammes de carbone. L’origine de la colle est-elle certifiée ?
Peu importe n’est-ce pas puisque le discours écologique porte apparemment ses fruits. A tel point que les majors se sont mises au bois avec l’appétit des nouveaux convertis, avec effet de prédation inévitable sur les sociétés spécialisées en bois. Il est d’ailleurs très étonnant de découvrir dans la communication des empereurs mondiaux du béton les mêmes arguments, devenus des poncifs, utilisés il y a plus de 15 ans par les pionniers de la construction bois, quand le gouvernement lançait en 2001 son premier accord-cadre national « Bois Construction Environnement ». Les majors auraient-elles réalisé, quinze plus tard, que la société avait évolué ?
Que les majors du béton virent leur cuti, cela signifie-t-il qu’une évolution pérenne est en cours ou s’agit-il d’un simple effet de mode ? En effet, tant d’enthousiasme dans le sens du vent de la part de tous les acteurs du bâtiment – majors, élus, architectes, ingénieurs – se gargarisant de leurs innovations en devient suspect. Idem quand des architectes qui en 30 ans de carrière n’ont jamais touché au bois lui trouvent soudain toutes les vertus. Comme dit le dicton, il n’y a que les imbéciles…
Puisqu’il ne nous reste que «3 ans» selon le Manifeste de la frugalité – brrr –, est-ce vraiment pour répondre à l’urgence de l’apocalypse imminente que la construction bois semble connaître un tel essor ? A moins qu’une simple question d’opportunisme… Le chiffres d’affaire d’Arbonis, la filiale bois de Vinci, a vu son chiffre d’affaires 2016 passé de 41 à 46 millions.
En tout cas, d’aucuns ne sont pas loin de parler de révolution culturelle : s’il y a un marché, c’est qu’il y a une demande, argumentent-ils. Mais qu’elle est l’origine de cette demande sinon des campagnes de communication trompeuses. Ainsi est-il souvent pointé l’utilisation massive du bois dans les pays scandinaves ou aux Etats-Unis. Mais les Suédois ou les pionniers américains ne construisaient pas avec le matériau bois pour ses vertus écologiques mais parce que le bois était la ressource principale, voire la seule. Les Esquimaux n’avaient que de la glace, ils ont construit des igloos. Du coup, l’empreinte carbone d’un igloo c’est zéro. Ce n’est ainsi pas un hasard que les entreprises du bois prospèrent dans l’Est de la France, là où la tradition ne s’est jamais perdue. Mais, en dehors de ces lieux où l’architecture est vernaculaire et la ressource abondante, la construction bois s’impose-t-elle vraiment ? La question mérite d’être posée aux ravis de la crèche.
Que le bois soit une option et une source de réflexion, bien sûr, d’ailleurs le discours des architectes sur le bois, qu’il s’agisse de bois ‘naturel’ ou ‘artificiel’, n’est en général pas idiot. Mais c’est quand les hommes et femmes politiques en font à l’unisson l’alpha et l’oméga de leurs projets dans un discours formaté et abêtissant qu’il faut s’inquiéter, surtout à voir bêler les courtisans.
Il est vrai que la France possède la plus grande forêt d’Europe (hors Russie), forêt qui croît chaque année. Sauf que ce pays ne sait pas (ou pas assez ou trop peu) usiner son bois et l’exporte avant de devenir importateur de bois transformé. C’est l’économie d’un pays pauvre, comme le sud des USA exportait à bas prix de grandes quantités de coton produites à bas coûts pour ensuite importer, à des prix prohibitifs, draps et chemises. On connaît la suite.
Certes en 15 ans la filière en France s’est développée et modernisée mais, malgré un matériau pourtant si bénéfique sous tous rapports, la vision et la mise en œuvre d’une grande politique industrielle durant cette période ne saute pas aux yeux. Etienne Tricaud, le patron d’AREP, explique que la Chine, qui fait face à des enjeux environnementaux colossaux, a décidé récemment de lancer un plan de développement d’une filière bois. On peut parier que nos industriels sentiront la différence dans 15 ans.
Noter d’ailleurs que si, à écouter ses nombreux laudateurs, le marché de la construction bois semble apparemment porteur, la réalité des chiffres est plus nuancée. En effet, si pour les bâtiments non résidentiels neufs – les plus visibles médiatiquement – la progression du bois a augmenté de + 5% entre 2014 et 2016, elle a dans le même temps diminué de 7% dans le secteur de la maison individuelle et ne représente plus que 9,1% des parts de ce marché.
En 2016, le chiffre d’affaires du secteur a même chuté de 11 % comparé à celui de 2014*. Et même si les acteurs du bois tentent effectivement de privilégier les circuits courts, au total, 3 730 emplois ont été perdus en construction bois en quatre ans. Les Français ne seraient-ils donc pas si convaincus que cela des bienfaits de la MOB, la maison à ossature Bouygues ? La société imaginait en effet que ses modèles en bois représenteraient jusqu’à un tiers de ses réalisations dans le domaine de la MI dans le diffus…
Mais bon, il y a de l’espoir, comme l’indique le Manifeste de la frugalité. La preuve, Eiffage, après avoir longtemps hésité, a lancé en septembre 2017 «Eiffage Construction Bois», une entreprise générale dédiée à la construction et à la réhabilitation bois pour la zone Ile-de-France. Mieux vaut tard que jamais. D’ailleurs c’est Eiffage qui construit avec Jean-Paul Viguier Hyperion à Bordeaux.
Enfin, pour finir, un dernier chiffre : en 2016, les entreprises présentes sur le marché de la construction bois en France ont réalisé un chiffre d’affaires de 3,6Mds€, soit environ 3% du chiffre d’affaires national du bâtiment. 3% !
Pour sauver la planète, il va falloir trouver autre chose.
Christophe Leray
*La plupart des chiffres de cet article sont issus de la quatrième enquête sur le secteur de la construction bois réalisée par l’Observatoire National de la Construction Bois, le CODIFAB et France Bois publiée en janvier 2017 et décrivant l’activité de la filière en 2016.