Le Fonds d’Art Contemporain de la Ville de Meyrin, en Suisse, a commandé un projet artistique pour l’école des Boudines. L’intervention de l’artiste Gilles Brusset, livrée en avril 2017, prend la forme d’une sculpture pérenne – L’enfance du pli – réalisée avec des matériaux similaires à ceux qui composent le site urbain de Meyrin-parc : l’enrobé bitumineux, l’aluminium et le gazon. Communiqué.
Sculpture-paysage
En phase avec la simplicité et le caractère élémentaire des matériaux de son contexte, le projet artistique fait surgir des formes extraordinaires au sein du continuum spatial quotidien.
Rencontre de deux systèmes formels
La forme proposée est composée à partir d’une interprétation plastique des paysages du Jura (tout proche mais invisibles depuis le site) et des forces qui l’ont engendré (plissement jurassien). Le terrain présentant une déclivité globale de 1,40 m raccordée par trois allées en rampe et talus afférents, la sculpture-paysage propose d’articuler les niveaux selon une nouvelle figure topographique et plastique.
Dans le paysage rectiligne de l’orthogonalité construit par Meyrin-parc et face aux façades planes de l’Ecole des Boudines, la sculpture-paysage surgit tout en courbes et volumes. Un jeu de plis et replis (plissement) développe une ligne de contact entre végétal et minéral et fabrique, au sein de l’espace ouvert orthogonal, un horizon enveloppant et courbe.
Son orientation, en phase avec le plan urbain de l’architecte George Addor et les aménagements de l’architecte-paysagiste Walter Brugger, est celle du grand mouvement topographique du Jura et de la plaine de Genève, sud-ouest / nord-ouest.
Champs – La sculpture-paysage, un jardin dans une sculpture autant qu’une sculpture dans un jardin, est parcourue par les enfants et, à leur échelle, se fait contenant. C’est dans sa relation aux arrière-plans orthogonaux des façades des édifices de Meyrin-parc que le jeu des courbes développe ses effets les plus prégnants. Contre-champs – Vue depuis les toits terrasses de l’Ecole ou de la rue des Boudines, la sculpture devient tableau évocateur du monde de l’enfance et des paysages plissés et ondulant du Jura. En tant que maquette d’un site imaginaire du Jura, la sculpture-paysage perçue à distance met en jeu la contemplation et l’imaginaire des observateurs.
Jeux d’échelle
Présentant une hauteur allant jusqu’à 1,20m, la sculpture-paysage agit pour les enfants comme un horizon enveloppant, une jauge de leur taille et de leur âge. Formalisant les forces de la formation du plissement Jurassien, elle évoque aussi l’échelle temporelle du temps géologique.
Le retour du pli topographique
La sculpture-paysage intervient sur la masse du sol des espaces extérieurs de l’Ecole des Boudines et restitue de façon exacerbée la plasticité des plissements originels qui ont fabriqués les paysages de la région. Aux montagnes allongées du Jura répond la sculpture allongée, étirée en plissements longitudinaux. Les échelles spatiales et temporelles démesurées de la formation géologique du Jura rencontrent avec la sculpture-paysage l’échelle des enfants.
L’enrobé noir comme fond de l’oeuvre, matériau sculptural
Epousant les formes du sol, ses qualités de grain et de lumière sont révélées selon les positions de l’observateur et les conditions atmosphériques: Par contraste des ombres et du soleil il devient blanc ou jaune ; mouillé il devient miroir et reflète couleurs et lumières du ciel. La texture de sa surface pourra être qualifiée par des intensités de sablages et l’inclusion de granulats spécifiques (roches jurassiennes).
L’enrobé sensuel
Ondulant, épousant les mouvements du relief de sa surface grainée, l’enrobé devient sculpture. Incurvations convexes et concaves du relief sont révélées par la réception des lumières sur la couleur noire. La matière urbaine par excellence, l’enrobé ou asphalte, devient la matière de l’expression de la géographie, une sculpture topographique dans laquelle on peut circuler, jouer, se lover, se cacher.
La terre sacralisée
La surface végétale, qui n’intervient plus comme surface d’espace libre plus ou moins définie mais circonscrite et ‘soclée’ par la matière de l’enrobée, est célébrée pour elle-même. La relation du sol vivant (gazon) et du sol inerte (enrobé) est déroulée par la bordure aluminium sur une longueur de 500 mètres linéaires plissés.
Du proche au lointain, du pli de la courbe à la ligne tendue de l’horizon architectural, le corps et le regard des enfants trouvent des articulations, entrent dans une nouvelle relation avec l’immensité du ciel de Meyrin-Parc et au-delà de la vallée de Genève et des massifs du Jura. Le projet artistique exacerbe la relation d’un sol «artificiel» avec un sol «naturel», d’un sol inerte avec un sol vivant, d’un sol minéral avec un sol végétal. A la planéité manifeste des corps de bâtiment de l’école répondent les courbes et les volumes de l’enrobé.
L’acte artistique détourne les matériaux de leur usage courant, ce qui inaugure:
– dans un premier temps la surprise de voir le banal et le strictement utilitaire prendre des formes extraordinaires et jouer un rôle nouveau.
– dans un second temps peut être une méditation sur le monde des possibles qui est le nôtre et la fonction éclairante de l’art à ce sujet.
Le surgissement du jeu topographique ondulant de la sculpture au sein de l’espace plan des modernes joue l’effet de contraste et questionne en les rapprochant deux grands mouvements des années 1960 / 1970 : l’un architectural avec la réalisation de l’espace urbain «moderne» et l’autre artistique avec la réalisation d’oeuvres in situ dans les déserts américains, le land art auquel la sculpture fait référence par une mise en jeu, dans sa matérialité et sa composition des formes mêmes du paysage.
«Gilles Brusset invente une nouvelle catégorie : la sculpture-paysage. Non pas la sculpture dans le paysage mais le paysage comme sculpture. Il propose ‘une interprétation plastique’ des paysages et, pour ce projet, plus spécifiquement du Jura dont les hauteurs sont proches sans être visibles de l’école de Boudines», écrit le philosophe Gilles A. Tiberghien dans le texte de présentation de «L’enfance du pli», plaquette éditée par le FACM, 2017.