L’été post-confinement est en train de tirer sa révérence et, malgré la quasi-absence de tourisme étranger, la France a connu des bouchons incroyables sur ses autoroutes, expression s’il en est de l’aménagement du territoire et de notre vie ces dernières décennies.
La course effrénée que connait notre civilisation dans cette quête de densité ne nous a-t-elle pas fait perdre l’essentiel ? L’autoroute est l’un des symboles de ce monde entièrement tourné vers la vitesse et la performance, privilégiant le résultat sur le parcours pour y parvenir.
Le principe originel de l’autoroute était de relier un point A à un point B en faisant fi du territoire ainsi traversé, au profit d’une vitesse et d’un temps de parcours garantis. Mais aujourd’hui les autoroutes sont surtout synonymes d’embouteillages et de stress comme une image spéculaire de nos mégalopoles : optimisées, organisées pour une efficacité maximale et qui, aujourd’hui, avouent leurs limites et montrent à quel point ces systèmes échafaudés ont une efficience telle que la variable d’ajustement en devient la capacité de résilience des populations qui les subissent.
Finalement les grands gagnants de cet été étaient peut-être ceux qui, retrouvant les chemins de traverses et les voies secondaires, n’en sont pas moins arrivés à destination, en même temps, peu ou prou, que ceux qui se sont retrouvés bloqués durant des heures dans les bouchons. Peut-être même ont-ils finalement entamé leurs vacances plus tôt en profitant du voyage pour commencer leur évasion estivale.
Malheureusement, ceux-là ont également pu constater le résultat du travail rageur de ces dernières décennies, tourné vers les chimères d’une quête absolue d’efficacité et ayant laissé pour compte des pans entiers de notre territoire. Combien de villes et de villages survolés, cisaillés par les autoroutes, les voies rapides et les lignes à grande vitesse passant sans le moindre égard pour ces territoires qui font notre pays, sont ainsi devenus moribonds, pour ne pas dire fantomatiques ?
Nombre d’entre eux ont été demandeurs de rocades et voies de contournement afin que leur quiétude habituelle ne soit plus perturbée quelques jours par an par des hordes de vacanciers. Ironie de l’histoire, aujourd’hui la plupart de ces rocades arborent des panneaux « centre-ville » comme un appel aux automobilistes passant là dans la plus entière indifférence…
A l’heure où nous comptons les m² imperméabilisés aux portes des grandes agglomérations de notre pays, compte-t-on les m² de villes et de villages laissés à l’abandon ? les hectares de terres agricoles non cultivés par manque d’agriculteurs prêts à s’installer dans ces territoires délaissés ?
La crise de la COVID 19 a montré à quel point nous avons la capacité de nous réinventer rapidement, elle a montré à quel point nombre de nos professions réputées urbaines pouvaient se faire à distance. Elle doit surtout nous faire prendre conscience qu’aujourd’hui, les données et les informations circulent plus vite, avec plus de fiabilité et un impact écologique moindre que les personnes.
Par conséquent, a quoi bon voir ainsi battre des records de vitesse dans nos déplacements ? Pourquoi ne pas redécouvrir le temps du voyage ?
Le monde de l’aéronautique semblait avoir montré le chemin, depuis vingt et l’arrêt du Concorde, aucun avionneur n’a cherché à proposer une alternative supersonique tant les rapports coût d’investissement/coût environnemental/intérêt s’avèrent futiles. Qui aujourd’hui à besoin d’arriver à New York plus tôt qu’il n’a décollé de Paris ?
Les pays nordiques, toujours en avance sur les questions environnementales, indiquent un chemin en faisant du « flybashing » un véritable phénomène de société.
Aujourd’hui la crise sanitaire semble avoir eu la peau de l’A380 et probablement d’une partie des mastodontes des mers que sont les paquebots. Les voyages de masse n’ont plus la cote et les villes côtières ne s’en plaindront pas ; elles qui commençaient à se rebeller depuis quelques années sur les méfaits du tourisme de masse dont elles étaient victimes, les en voici débarrassées bien plus abruptement qu’elles n’auraient pu l’imaginer.
Passons au-delà de la simple posture d’idéologie écologique pour s’interroger sur ce qu’apporte le fait de franchir aveuglément des milliers de kilomètres juste pour passer d’une grande ville à une autre et connaître ainsi les capitales européennes mieux que le territoire de son propre pays ? N’y aurait-il pas plus à découvrir en s’intéressant justement à ce qui se passe entre deux mégalopoles qui, au demeurant, sont assez semblables tant l’architecture et le commerce se sont internationalisés.
Dans la mesure où de nombreuses vies professionnelles vont gagner en souplesse, où les déplacements imposés vont progressivement se limiter, n’est-il pas pertinent d’envisager de voyager autrement ? N’y a-t-il pas à gagner à acheter quelques spécialités dans une ville traversée au hasard du trajet plutôt qu’un sandwich sous-vide dans une station-service ? Prendre le temps d’un détour pour aller pique-niquer autour d’un lac ou le long d’une rivière plutôt que sur une sordide aire d’autoroute ?
Et si finalement, les voitures électriques, dont beaucoup raillent l’autonomie limitée et les temps de recharge longs, nous offraient le prétexte pour jalonner nos parcours de déjeuner autour d’une bonne table ou redécouvrir l’atmosphère particulière d’une soirée étape ?
Si l’on remettait en cause cette frénésie du déplacement, ce « I was there ! » qui pousse certains à enchaîner les destinations comme on enchaîne les conquêtes et qui pervertit l’idée même du mot « Voyage » au profit de celui de « Destination ». Et si le monde d’après nous invitait à s’émouvoir à nouveau de la beauté et de la variété des paysages de notre pays, pour, finalement, pourquoi pas, les réinvestir ?
Stéphane Védrenne