
Au chaos, Fuksas répond par le chaos. Autistes, les nouvelles archives de Pierrefitte-sur-Seine (93) inaugurées le 11 février 2013. Autistes mais légères. Dans son enclos, l’édifice monolithique tente de suspendre sa présence et, par quelques artifices, l’architecte apporte en effet un semblant de légèreté au «coffre» monumental. Vu de l’extérieur, une ville comblée ?
En février 2013, les nouvelles Archives Nationales, signées de l’architecte Massimilano Fuksas, ont été livrées dans un vaste enclos à Pierrefitte-sur-Seine. A l’intérieur de l’îlot, toutes les recettes architecturales sont employées et maîtrisées pour un bâtiment de grande envergure à admirer. En revanche, à l’extérieur de ce domaine magnifié, les rues longeant la clôture ne génèrent aucune forme de vie urbaine. Le bâtiment d’une échelle démesurée au regard de son environnement rappelle un château monarchique dominant la cité et le peuple. Cette ville, marquée par une juxtaposition d’éléments isolés et introvertis, manque d’espace public de qualité. N’aurait-elle pas plutôt eu besoin d’une architecture «normale» créant plus d’urbanité ?
Qu’est ce qu’un bâtiment d’archives? Un lieu dont l’ambition est de préserver une masse incroyable de papiers contre tous types d’agression. Cette définition, suite à l’erreur de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand, est le principe même mis en évidence à Pierrefitte. Une coque de protection opaque et inerte protégeant des rayons solaires et des variations de température extérieure constitue le parti de l’édifice. N’aurions-nous pas pu faire un dépôt en sous-sol ? Non, trop coûteux, tant pour la construction que le fonctionnement. Il s’agit donc d’un silo thermos compact hors sol mais pas n’importe quel silo, un silo précieux qui sacralise la mémoire de la France.
Les documents d’Etat depuis 1790 jusqu’à aujourd’hui, voire pour les 30 ans à venir, sont accueillis sur près de 320 km de linéaire de rayonnage et 220 magasins de 200 m2 chacun. Le silo atteint ainsi une dimension de 47 mètres de large, 160 mètres de long et 38 mètres de haut. L’équivalent du Centre Georges Pompidou.
Un silo fermé de cette ampleur peut-il s’intégrer dans une ville où les réalités urbaines se mêlent et se confrontent ? Un silo inquiétant. Grâce au talent de Massimiliano Fuksas, le pire est peut-être évité. En tout cas, nous sommes bien loin de l’«équipement conçu comme véritable générateur d’urbanité», dixit le communiqué de presse.
Pourtant, pourquoi sommes-nous séduits par ce silo ? Il est naturellement monumental de par sa grandeur, son étrangeté et son autonomie. Cette forme tellurique et impénétrable semble mettre en suspens son environnement. Un «monolithe».
Le mythe est revisité par les artistes et les architectes tout au long de l’histoire. Depuis l’ère préhistorique, il symbolise l’existence humaine dans la nature et rappelle le fondement de l’architecture. Une référence parfaite pour une réserve de mémoire située en retrait de l’action politique et du passage du temps.

Le fameux monolithe, version Fuksas, en banlieue parisienne, avait pour objectif de créer une illusion de légèreté autour de lui et face à la ville.
Le bâtiment se compose en deux parties distinctes mises en parallèle et reliées par des passerelles : le monolithe et ses satellites. Le premier représente l’espace d’archives ; un monde passif. Il s’agit là d’un coffre compact en béton isolé par extérieur et habillé en bardage d’aluminium. Le tout confère une grande inertie thermique qui permet de maintenir l’ensemble des magasins à 18°C et à une hygrométrie de 55% avec un minimum de contrôle d’air mécanique.
Le bardage d’aluminium anodisé dont la trame est en losange forme une peau riche ; elle s’imprègne de la lumière et des couleurs de l’environnement selon de multiples nuances. Le monolithe fusionne avec l’atmosphère et crée l’illusion de légèreté. Voilà qui est surprenant au regard de l’imposant volume. Certains modules du bardage sont remplacés par un vitrage apportant de la lumière naturelle aux circulations et aux salles de lecture du RDC. Ces ouvertures forment autant de nuages transparents sur l’enveloppe du monolithe et participe ainsi à adoucir sa massivité.

De l’autre côté, de multiples volumes bâtis, appelés satellites selon l’architecte, accueillent les espaces publics ainsi que ceux du personnel. Un monde actif. Cette partie, caractérisée par un aspect décomposé, donne une échelle intermédiaire entre le monolithe et la ville. La légèreté et le mouvement sont recherchés dans toutes ses composantes afin de contrebalancer la masse du monolithe.
Les façades, ici entièrement vitrées, donnent une première sensation de légèreté. Les étages ressemblent à des plateaux horizontaux indépendants, superposés, positionnés en décalage les uns par rapport aux autres, et mis en suspension. L’effet de légèreté et de mouvement centrifuge est accentué par d’importants porte-à-faux réalisés grâce aux poutres latérales en treillis de type Town.
Un niveau technique a été positionné entre le rez-de-chaussée et les plateaux. Il est mis en retrait par rapport au socle et les façades opaques en bardage d’aluminium contrastent avec les façades transparentes de dessus et de dessous. Il forme ainsi un joint creux qui décolle les plateaux du rez-de-chaussée en renforçant leur aspect léger et dynamique.
Les plans d’eau, aménagés entre le monolithe et les satellites ainsi que sous les plateaux en porte-à-faux, constituent un dispositif efficace dans la quête de légèreté. L’eau devient un miroir ; elle apporte une sensation de dématérialisation et de fraîcheur.
Questions pour un bilan : qui est satisfait ? L’Etat, fier d’afficher une nouvelle institution à la hauteur de son Histoire. L’architecte, fier de présenter un bâtiment remarquable à la hauteur de son renom. Les usagers, heureux d’avoir un lieu de travail et de consultation bien équipé.
Et la ville ? Comblée de voir s’ajouter pour la nième fois un nouvel enclos autiste, détaché de la rue, et en rupture totale avec la continuité urbaine ? A voir.
Hyojin Byun
Le blog de Hyojin Byun

Cette chronique est parue en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 20 mars 2013