Il y a des économies qui rapportent, il y en a qui coûtent cher. Il y en a aussi qui sont des tours de passe-passe qui ne servent qu’à transférer une charge et non à l’alléger. Chronique de l‘intensité.
Les trente glorieuses nous ont mal habitués. La croissance résolvait tous les problèmes, et tout était bon pour la favoriser. Les économies, en ce sens, sont devenues anti économiques. Il vaut mieux produire plus, toujours plus, cela fait tourner l’économie (au singulier), et tout ira bien. Mieux vaut accroître la capacité de l’offre que de contenir la demande.
Un problème de mobilité ? Ne cherchons pas à le réduire par un aménagement plus harmonieux ou des équipements efficaces mais profitons en pour doper l’industrie de l’automobile. Créons des besoins, soutenons s’il le faut la demande par des aides, alimentons ainsi une croissance qui dégagera des bénéfices et permettra ainsi de résoudre tous les problèmes.
Une spirale est enclenchée, qui pourrait fonctionner dans un monde infini mais qui butte sur des limites dans un monde « fini », surtout quand ce monde rencontre les appétits de croissance des pays émergents avec lesquels il entre en compétition.
Depuis que les pays producteurs de pétrole ont pris le contrôle de leur richesse, avec les crises pétrolières des années 1970, nous ne sommes plus arrivés à adopter des budgets à l’équilibre. Ce n’est pas le hasard, c’est juste le point d’arrêt des 30 glorieuses et de leur logique expansionniste, dont nous ne parvenons pas à nous libérer. La spirale tourne dans le mauvais sens.
Il y a d’autres moyens de réduire les dépenses, tout en créant de la richesse et de trouver un nouvel équilibre. La demande en eau des pays de la Méditerranée peut être satisfaite par création de nombreux ouvrages ou équipements, ou bien l’être par une gestion rigoureuse de la ressource, une chasse aux fuites et une formation des agriculteurs : la seconde solution coûte quatre fois moins cher que la première, une source d’économies sans douleur !
Dans la construction, on constate des phénomènes comparables. Prenez un immeuble de bureaux. Il est le lieu d’une création de richesses, d’une valeur ajoutée, et c’est sa raison d’être. Cette valeur ajoutée est composée de plusieurs facteurs, comme l’édification du bâtiment et sa maintenance et les salaires versés au personnel. Ceux-ci représentent 90% de la valeur ajoutée, contre 2% pour la construction des locaux. Où est l’enjeu principal ? La productivité du travail des personnels dépend pour une part, souvent estimée à 10-15%, de la qualité du cadre et des ambiances qui leur sont offerts.
Un bon confort thermique et acoustique, un bon éclairage, un bon renouvellement d’air, un paysage intérieur agréable et des vues sur l’extérieur, tous ces éléments contribuent au moral des troupes, à la convivialité des relations entre collègues, à la santé de tous. Faire des économies sur la qualité des locaux est prendre le risque de dépenses ou de manque à gagner bien plus importants.
Un bâtiment réalisé à l’économie, sur une « opportunité foncière » inappropriée à son usage, peut coûter très cher, et cela pendant des dizaines d’années. Les budgets de demain sont en partie déterminés par les décisions d’hier. Vous pouvez être tentés, pour satisfaire la fameuse règle d’or, de retarder tels ou tels travaux d’entretien. Surtout pas, malheureux ! Entre la maintenance en continu d’un immeuble et la reprise en travaux lourds tous les vingt ans, le calcul a été fait. La seconde solution, qui reporte la dépense, coûte quatre fois plus cher que la première*. Tout retard se paie cash.
L’organisation des territoires est une autre source de dépenses, ou d’économies. L’étalement urbain coûte cher aux collectivités qui doivent assurer des services publics, et aux particuliers qui doivent payer pour avoir deux ou trois automobiles par ménage, les assurer et acheter de l’essence. Pour l’éviter, il aurait fallu maintenir et cultiver l’attractivité de la ville, des prix accessibles, avec des services, un cadre de vie agréable en particulier pour les familles. Le peu d’argent consacré aux documents d’urbanisme a réduit au stade de procédure administrative ce qui aurait du être un grand moment de réflexion collective sur l’avenir de chaque ville ou agglomération.
Confiner la recherche d’économies à la simple réduction des dépenses publiques serait vain. C’est le fonctionnement général de l’économie qui est en cause. L’enjeu est de substituer au modèle de la fuite en avant, toujours plus d’activité, un autre modèle où la valeur serait fille de la qualité de service, de la richesse des relations humaines.
La croissance purement quantitative et les économies de bouts de chandelle ne peuvent pas faire bon ménage. C’est d’une autre forme de croissance, qualitative, dont nous avons besoin, laquelle sera porteuse d’économies, naturellement et sans frustration. Une croissance intensive.
Dominique Bidou
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*Source : Commission Schléret, rapport de l’observatoire de la sécurité des établissements scolaires et de l’enseignement supérieur, 1999