Mais quelle relation entretenait donc Van Gogh avec la rue Lepic ? Et pourquoi cette relation s’est-elle rompue ?
Il n’y a pas si longtemps, il y avait encore une plaque devant le 54 de la rue Lepic. Fixée à la maçonnerie par quatre écrous couverts d’une forme de bouchon en cuivre, une magnifique plaque en cuivre également avec les caractères gravés et émaillés de noir indiquait que, pendant ses quelques années parisiennes, Vincent Van Gogh avait habité dans cet immeuble.
Paris rengorge de plaques similaires évoquant la naissance, le passage, ou la mort de tel ou tel personnage historique. C’est d’une affligeante banalité de découvrir l’hôtel où Ravaillac passa sa dernière nuit, la résidence du général Mac Mahon, ou le restaurant favori de Jean Jaurès rue du Croissant dans le deuxième arrondissement de Paris, où d’ailleurs il fut assassiné, le 31 juillet 1914 par Raoul Vilain, né à Reims le 19 septembre 1885 et mort fusillé à Ibiza le 17 septembre 1936, victime des républicains espagnols qui l’avait reconnu comme l’assassin de Jaurès alors qu’il avait été acquitté lors de son procès à Paris en 1919.
Affligeant, mais distrayant, surtout quand la horde de guides agréés commente le dit fait historique de leurs anecdotes, pas toujours vraies, pas toujours conformes les unes avec les autres selon les guides.
Pour le 54 Lepic (plaque disparue), j’ai souvent écouté le guide, en allemand, en espagnol, en japonais, …, selon l’ethnie des touristes ébahis, mais je n’ai évidemment jamais compris le propos.
Evoquait-il l’importance de Paris pour Van Gogh, et sans doute faisait-il vibrer sa voix au gré des délires que lui inspirait la démesure du peintre dont il essayait de faire ressentir la violence à travers l’incohérence du propos. Il prononçait des mots que je comprenais parfois, avec véhémence et souvent avec violence jusqu’à terroriser les quelques touristes chinois médusés par la divergence entre sa prose et le manque d’intérêt évident de la page historique à laquelle ils étaient soumis pendant l’heure de la conférence.
Quelle était la thématique générale de l’intervention en relation avec le logement de notre Grand Peintre ? l’hygiène, si déplorable à la fin du XIXe siècle ? les femmes ? qui avaient alors vis-à-vis de l’homme parisien de l’époque un rôle exclusivement sexuel. Le chocolat ? dont, paraît-il, il était friand ?
Pour autant, tous les thèmes relatifs à la relation étroite qu’entretenait Van Gogh avec la rue Lepic n’ont sans doute jamais eu d’influence sur les toiles qu’il a peintes. Il aurait habité rue Duhème ou au Poteau n’aurait rien changé à cette magnifique vue de Montmartre.
Un jour de 2022, la plaque a disparu. Sans doute un habitant de l’immeuble (peut-être au premier étage) qui s’est lassé des déclamations bruyantes des guides, dont le bavardage lancinant et toujours pareil était devenu insupportable.
En l’absence de plaque, rien n’interdisait aux guides de continuer avec le même propos, mais qu’est-ce qui authentifierait la véracité de leurs dires si la plaque disparue ne confirmait pas les relations étroites qu’entretenait Van Gogh avec la rue Lepic ?
Comment croire les guides ? Pourquoi le propos narratif ne pouvait pas s’appliquer à Robespierre ou à Alexandre Dumas fils. Qui prouvera qu’ils n’ont pas habité, eux aussi, au 54 rue Lepic ?
La relation d’un personnage, historique ou pas, à un lieu est toujours d’une incroyable complexité. Entre « être né quelque part » de Maxime Leforestier et « Les gens d’ici » de Julien Clerc, Du Bellay avec « Heureux qui comme Ulysse » et Brel avec le « Plat Pays », le particularisme régional est partout célébré dans la poésie Française.
Ce particularisme parfois flirte avec les pensées d’extrême droite mettant un haro sur ceux qui, justement, ne sont pas d’ici.
Au contraire, sans doute, rien de plus douteux que d’être de quelque part et de trimbaler une petite douzaine d’aïeux comme un viatique pour un chauvinisme suspect.
La conséquence sur la ville ? Outre que cette pensée à au cours de l’histoire produit les ravages que l’on sait par les pogroms et les massacres de gens qui justement n’étaient pas d’ici, ou de tellement peu de temps comparé à la souche bien-pensante de l’ensemble des gens d’ici.
À présent, à part dans certains corps de l’administration proche de la force publique, il n’y a plus tellement de racisme offensif dans notre beau pays rempli de gens d’ici, mais une tendance à l’exclusion et au refus des nouvelles populations.
Ainsi, sans évoquer l’exclusion systématique des migrants (sans papier, on n’a plus rien d’humain…), il est vrai que le nombre des permis de construire est en totale régression.
Sans doute un effet de la collusion entre certaines tendances des partis écologiques qui veulent que surtout rien ne bouge et les élus de droite (socialistes compris) découragés par l’arrêt de la taxe d’habitation qui gèlent l’indexation des rentrées fiscales avec le nombre d’habitant, et qui, donc, s’interrogent sur les raisons de construire pour augmenter les dépenses d’équipement sans compensation fiscale.
Comme il y a un monument au soldat inconnu, il devrait y avoir, dans chaque ville, un monument à la gloire des habitants qui, n’étant pas d’ici, n’ont pas eu le droit d’y venir, comme la plaque démontée du 54 rue Lepic, un habitant célèbre dont on ne se souvient déjà plus …
François Scali
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