Il y a Babylone, Troie ou encore Machu Pichu, Palmyre, des villes antiques paradoxalement objets de toutes les protections et prétextes à bien des légendes. A l’inverse, aujourd’hui, chacun est abreuvé d’images de villes à feu et à sang et qui, pourtant en ruines, ne sont en rien des villes désertes. C’est bien le drame d’ailleurs. La désertion de cités n’est pourtant pas l’apanage des anciennes civilisations et le phénomène reste relativement courant. Demeure l’architecture. Petit voyage sous forme de florilège non exhaustif d’archéologie contemporaine.
Pripiat : la radioactive
C’est peut-être la ville la plus emblématique du XXe siècle. Le 26 avril 1986, les sirènes de la centrale ukrainienne de Tchernobyl annonçaient la plus grande des catastrophes nucléaires. Cette ville avait été édifiée dans les années 70, pour loger les ouvriers de la centrale. Située dans la zone d’exclusion des 30 km autour du réacteur, elle est toujours aujourd’hui radioactive. La poussière toxique qui s’en dégage encore empêche toute tentative de peuplement et la vie sauvage a repris ses droits. Pourtant une nouvelle forme de tourisme dans la région y voit progressivement le jour. Pripiat, le Machu Pichu du pauvre ? Et bientôt Fukushima sur le programme des tour-opérateurs ?
Pyramiden : seule sur Mars
Peut-être la ville-fantôme la plus septentrionale au monde. Les Suédois le fondèrent sur les rives d’un fjord de l’île du Spitzberg, au coeur de l’archipel norvégien du Svalbard. Ils le revendirent ensuite aux Russes qui le cédèrent à une compagnie minière, Arktikougol en 1931. La ville fonctionnait alors comme une communauté complètement autonome d’environ 1 200 hommes. L’île avait même un statut un peu à part car chacun, c’est-à-dire pas seulement des bons camarades encartés, pouvait venir y travailler. Les années 80 ont été fastueuses, si bien que plusieurs immeubles, un cinéma et même un hôpital furent construits. Las, l’année 1998 voit l’arrêt de la production minière. Ses habitants s’évaporent. Aujourd’hui, les sept gardes qui y vivent l’été la font visiter à qui le souhaite.
Kolmanskop esthétisée par les éléments
La ville namibienne est née de l’ambition de colons allemands, installés en 1908 et attirés par la présence de mines de diamants fertiles. Ils y déclarèrent même une Sperrgebiet (zone interdite). La ville fut bientôt équipée d’une boulangerie, d’une machine à glaçons, d’une centrale électrique, d’un théâtre et du premier hôpital à rayons X d’Afrique australe (davantage pour surveiller les ouvriers que pour leur bien-être d’ailleurs) ! Sa richesse était telle qu’elle importait l’eau potable du Cap, en Afrique-du-Sud, pourtant distante de plus de 1000 kilomètres. En 1956, jugeant que les plus grosses pierres avaient été découvertes, ses habitants l’abandonnèrent aux éléments. Aujourd’hui ensablée, Kolmanskop est devenu le paradis des photographes et une attraction touristique.
Belchite : le mémorial
La bataille de Belchite, en Aragon, fut une des plus retentissantes de la guerre d’Espagne, la ville passant tour à tour aux mains des républicains puis des nationalistes. Détruite en 1937, Franco décida de la reconstruire à quelques encablures, conservant ainsi les ruines intactes comme témoins de l’Histoire. La cité servait sa propagande contre ce qu’il estimait être les excès des républicains. Le village est désormais classé monument historique En 2006, le site servit de décor aux films Le labyrinthe de Pan ou Les Aventures du Baron de Münchhausen.
Agdam : la prise du Haut-Karabagh
Agdam une ville située dans la république autoproclamée du Haut-Karabagh dont l’armée prend le contrôle en 1993. La plus grande partie des 28 000 habitants, des Azéris en majorité, avait déjà fui vers l’Est, laissant la ville désertée comme un symbole des luttes perpétuelles qui minent le sud du Caucase depuis la chute de l’URSS. Les ruines sont désormais lentement recouvertes par la végétation. Quelle interprétation en feront les archéologues du futur quand ils la redécouvriront ? Mystère.
Naypyidaw : la désincarnée
En 2005, la Birmanie s’est soudainement vu affublée d’une nouvelle capitale, au centre du pays, et détrônant sans préavis Rangoon. La ville a été imaginée comme une agglomération grande comme trois fois Paris et sa région. Le transfert de la capitale se fit du 6 au 7 novembre 2005, deux mois avant que le peuple en soit averti. Les raisons de cette délocalisation restent obscures. Crise mégalomaniaque du chef de la junte Than Shwe ou signe de sa démence, comme le suggère un des câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks en 2006, ou souhait de la junte de se soustraire de la populeuse Rangoon où des mouvements de contestation sont toujours possibles ? Selon la junte, la ville compterait plus d’un million d’habitants. Selon les témoignages des rares visiteurs, la ville est complètement déserte, les seuls piétons que l’on y rencontre étant des balayeurs.
Sanzhi Pod City : la ville ovni
Cette étrange cité a été abandonnée à peine deux ans après être sortie de terre, à Taïwan. A l’origine, les UFO constituaient des complexes hôteliers commercialisés comme lieux de villégiature pour les soldats américains basés en Asie. L’architecte finlandais Matti Suuronen commanda dès 1978 ces maisons Ovnis à l’usine Sanjhih Township plastics manufacturer Yu-chou Co, laquelle fit faillite en 1980, interrompant la production. Pour certains autochtones, le lieu est hanté. Pour sauver la face sans doute, toutes ces constructions furent toutes détruites en 2010, sans qu’aucune d’entre elles ne soit conservée en souvenir. Et voilà peut-être comment naissent les mythes. Dans un siècle ou deux, des aventuriers chercheront cette ville introuvable et seulement mentionnée sur de vieilles cartes.
Dans le genre, un mot pour finir sur les villes-fantômes chinoises, le pays en compterait une cinquantaine. La plus représentative est sans doute la ville de Kangbashi, à Ordos, en Mongolie intérieure. Edifiée entre 2005 et 2010, elle a une capacité d’accueil d’un million de personnes. Aujourd’hui, ses stades, avenues et gratte-ciel restent désespérément vides. Sans aller aussi loin, mentionner enfin la ville de Sesena, en Espagne, désormais connue également pour l’échec retentissant de son projet urbain.
Léa Muller