D’ici la fin de l’année, un bâtiment hors norme, intrigant, voire effrayant, devrait être (enfin) rasé de la carte de la capitale russe. Effrayant ? Oui ! Lugubre même, l’hôpital Khovrinski, situé au nord-ouest de la ville. Un bâtiment glauque. Petit tour du propriétaire avant qu’il n’en reste qu’un tas de gravats.
En janvier 2017, les autorités de la ville ont décidé de mettre fin à trois décennies d’aberration et de démolir cet immense complexe hospitalier inachevé pour construire à cet endroit des immeubles de bureaux. Encore faut-il que des entreprises veuillent bien installer leur siège sur ce terrain que l’on sait maudit.
Durant près de 30 ans, l’hôpital Khovrinski a été le théâtre de massacres, de meurtres sordides, de suicides et j’en passe. La légende veut que le bâtiment ait abrité le QG d’un groupe de satanistes cannibales. Ambiance !
Difficile d’imaginer meilleur paysage pour un film d’horreur réaliste à budget moyen. Ce truc immonde effraie depuis des dizaines d’années tout un quartier de Moscou. Les résidents du district de Khovrino, au nord-ouest de la ville, contournent chaque jour le bâtiment en serrant les dents. Beaucoup considèrent l’hôpital comme une source du mal et une passerelle vers l’au-delà.
L’hôpital Khovrinsky a été construit sous la forme d’une étoile à trois faisceaux avec six branches à ses extrémités. Déjà, vue d’en haut, la construction ressemble à s’y méprendre au symbole international du danger biologique, le fameux «Biohazard», créé en 1966 aux Etats-Unis. De quoi mettre les curieux en confiance.
La construction a débuté en 1980. Ce devait être un projet gigantesque et prestigieux, l’hôpital devant initialement pouvoir accueillir plus de 1 300 patients. Cinq ans après le début des travaux, il était sur le point d’ouvrir. Il était quasi fonctionnel. Des bâtiments avaient déjà été aménagés : meubles, ascenseurs, terrasses, bureaux, tout prenait forme. Et soudain, plus rien. Tout s’est arrêté.
Selon la version officielle, Perestroïka oblige, il n’y avait plus d’argent dans les caisses de l’Etat soviétique pour achever la construction pharaonique. La version officieuse raconte que le bâtiment a commencé à s’affaisser, «comme s’il était englouti par la terre».
Parmi les légendes qui courent, le site sur lequel a été construit le bâtiment est celui d’un ancien cimetière. Le terrain serait donc maudit, hanté. En vérité, il n’y avait là qu’un immense marécage puant. Ainsi, soit les architectes n’ont pas tenu compte du terrain plus que défavorable et inadapté à la construction d’un immeuble de 11 étages, soit le marécage en question n’avait pas été assez drainé, entraînant une submersion progressive des sous-sols.
Dès 1985, le site était gardé par des militaires, ce qui a poussé les résidents locaux à croire qu’il abritait un laboratoire top-secret où l’on pratiquait des expériences morbides sur les humains, un peu comme à l’époque des nazis. Après l’effondrement de l’Union soviétique, l’hôpital Khovrinsky n’était plus gardé du tout. Ce fut la porte ouverte à toutes sortes de dérives et Khovrino est devenu le lieu préféré des aventuriers de l’extrême, des explorateurs urbains et de bandits en tout genre.
Une autre légende raconte que le bâtiment abrite en fait un laboratoire secret dans les sous-sols et que sa façade d’hôpital abandonné n’est qu’une couverture. Ceux qui croient à cette version justifient cette dernière par le fait que l’hôpital serait alimenté en eau chaude depuis toutes ces années, alors qu’il est totalement vide et ne sert absolument à rien.
Les murs de l’hôpital sont littéralement saturés de tags et de graffitis en tout genre. A la limite, pour un site abandonné, quoi de plus logique. L’inscription la plus célèbre de ce lieu sinistre se trouve à l’entrée même d’un des corpus. Il y est écrit : «Cet hôpital est la terre des miracles, ceux qui y entrent n’en ressortent pas» … Aglagla.
Cette inscription a sa part de vérité. On ne compte plus les suicides et les meurtres qui y ont lieu chaque année. C’est à vous glacer le sang. Un seul cas «officiel» de suicide a été confirmé par les autorités, en 2005, lorsqu’un adolescent de 16 ans, Alex Kraïouchkine, s’est jeté dans une cage d’ascenseur du 8ème étage après un chagrin d’amour. Au deuxième, une sépulture a été improvisée à sa mémoire. Les murs y sont ornés de messages de deuil et de mots d’adieu. Au sol, des cigarettes. C’est une vieille tradition russe que d’offrir des clopes aux défunts.
Si les histoires de suicides ne sont a priori que des légendes, ce que s’efforcent en tout cas de marteler les autorités, les rapports de police officiels ne mentent pas et font état de dizaines de morts chaque année dans cet antre de l’enfer. Ce lieu conçu initialement pour sauver des vies est devenu un charnier. Les cages d’ascenseurs ne sont que des trous béants. Partout, les planchers s’effondrent, des barres de fer rouillées sortent de nulle part et peuvent décapiter en une fraction de seconde l’explorateur imprudent, ou, simplement malchanceux, il peut s’empaler sur un vieux clou ou glisser sur une flaque de boue et se retrouver onze étages plus bas la tête dans les chevilles, comme on dit en russe (vous avez l’image en tête ? Bon…). L’enfer, je vous dis !
Les immenses salles abandonnées et les couloirs déserts sont le théâtre de nombreux crimes crapuleux. Le 28 décembre 2015, un maître-chien y a retrouvé le corps d’un homme pendu. Ce n’était pas un suicide. L’homme avait les poings liés. Le crime n’a évidemment jamais été résolu.
Autre détail qui ravit les amateurs de trucs obscurs – l’étoile à six branches que l’on peut retrouver dans la silhouette du bâtiment vu d’en haut. L’étoile de Satan. Le 666, le signe de la bête. Hexagrammes, pentagrammes et autres symboles inquiétants sont partout. Dans les années 90, un des étages était devenu le quartier général de la secte sataniste cannibale «Nimostor» qui y tenait des messes noires avec à la clef, sacrifices d’animaux, puis d’humains.
Au bout de quelques mois d’impunité, les adorateurs du diable ont été liquidés. A la russe. Ratatatata ! On entre, on fume tout le monde, adieu les vilains satanistes ! C’est la version semi-officielle. Le nettoyage était nécessaire. Ce qu’il s’est réellement passé, personne ne le sait. Une autre version raconte que les membres de Nimostor auraient été noyés dans les sous-sols inondés du bâtiment et que leurs corps sont encore là, quelque part, sous la glace.
Autre histoire tragique liée à la secte «Nimostor». Les résidents locaux racontent unanimement la même version. Une vieille babouchka serait partie à la recherche de son chien qui se serait enfuit dans l’hôpital Khovrinsky. Elle aurait retrouvé son Médor les pattes attachées, écartelé et la gueule arrachée, aux côtés d’autres animaux morts. La police ayant échoué à arrêter qui que ce soit, la babouchka, voulant en avoir le cœur net, se serait mise elle-même à la recherche des tortionnaires. Elle aurait fini par tomber dans une cage d’ascenseur, se serait brisée les jambes et serait restée là, appelant à l’aide durant de longues heures avant de mourir d’épuisement.
Personne ne veut de cet enfer
En 2004, la ville de Moscou avait annoncé que l’hôpital Khovrinsky serait entièrement rénové de sorte à pouvoir enfin remplir son rôle de sauver des vies plutôt que celui de tueur sanguinaire. Les autorités ont vite compris qu’il n’y avait rien à tirer de cette horreur.
En 2009, un investisseur privé a annoncé être prêt à démolir le bâtiment à ses frais en échange d’une parcelle de terrain. Les autorités ont accepté, mais soudain, l’homme d’affaires a disparu dans des circonstances inconnues. Volatilisé.
En 2012, la ville de Moscou a tenté de mettre l’affreux hôpital aux enchères. Prix de départ, 1,8 milliards de roubles (27 millions d’euros). Même à ce prix-là, personne ne voulut de ce lieu morbide.
Actuellement, l’hôpital est officiellement clôturé et surveillé par des gardes armés et des maîtres-chiens. Mais le nombre de vidéos disponibles sur Youtube témoigne de la facilité qu’ont les explorateurs urbains à se rendre dans cette cour des miracles en graissant la patte d’un Vadim en treillis. Les touristes de l’extrême qui sont parvenus à visiter l’hôpital Khovrinski disent que ce n’est qu’un bâtiment inachevé, moche et abandonné. Mais tous sont unanimes : si tu ne regardes pas où tu mets les pieds, tu meurs. Ni fantômes ni phénomènes paranormaux mais des dalles d’acier rouillé qui, à peine effleurées, valent amputation directe !
Le démolir coûte tellement cher (dans les 15 millions d’euros) que les autorités ne s’y étaient jusque-là jamais résolues. Mais trop, c’est trop. Début 2017, la ville de Moscou a enfin décidé de payer la facture, quitte à s’en mordre les doigts, pour raser cette ignominie de la face de la terre et rendre à nouveau vivable le quartier de Khovrino. Il était prévue la construction d’un complexe résidentiel et de bureaux de 300 000 mètres carrés.
2017 arrive à son terme, les travaux de démolition n’ont toujours pas débuté et pendant ce temps, des gens continuent de se briser les jambes dans les cages d’ascenseur et de mourir dans les entrailles de l’hôpital Khovrinski. Seuls dans le noir.
Heureusement, il y a l’eau chaude.
Kyrill Kotikov