Depuis 2003 que je publie des projets qui semblent intéressants, le temps passant, quelques-uns d’entre eux deviennent des réalisations. Que reste-t-il des intentions de l’architecte ? C’est ce que nous vérifions au fil d’une série d’articles pour lesquels nous (re)visitons les bâtiments. Aujourd’hui, les maisons à 100.000 euros de Louis Téqui.
Quand il a livré, à Epinay-sur-Seine en septembre dernier, ses 28 maisons individuelles groupées en accession sociale à la propriété, premières des maisons dites ‘maisons à 100.000 euros’ à être réalisées, Louis Téqui (Atelier d’Architecture Téqui – AAT) était arrivé au bout du bout de son budget. A tel point que les maisons ont été livrées à leurs nouveaux propriétaires sans luminaire extérieur mais avec juste l’alimentation électrique. Du coup, chacun a choisi sa lanterne comme bon lui semblait et les styles hétéroclites se côtoient en façade des bandes de maisons.
Louis Téqui avait opté pour une architecture «très sobre, presque neutre» afin, dit-il, d’offrir une capacité d’appropriation aux habitants. Son souhait a été exaucé au-delà de ses espérances. Alors que le maître d’ouvrage et lui-même s’étaient attachés à proposer des maisons «immédiatement habitables», les propriétaires se sont eux attachés, dès leur arrivée, avant même l’installation pour certains, à «s’approprier» l’espace à leur façon, qui en changeant les revêtements de sol, qui en cloisonnant l’espace cuisine-séjour par exemple.
«Tout le monde aurait fait des économies si on nous avait demandé en amont ce que nous souhaitions,» remarque ainsi une habitante. Et, pour que sa remarque ne soit pas mal interprétée, elle ajoute aussitôt : «nous sommes très très heureux d’être ici.» Comment ne le seraient-ils pas ? Ils étaient locataires d’un appartement en HLM – ce dont Epinay-sur-Seine ne manque pas – et se retrouvent propriétaires, en ville, d’une maison individuelle à 119.000 euros (coût final) qui en vaut le double avant que l’encre de la signature ait fini de sécher sur le contrat.
Cette opération n’a été rendue possible que parce qu’Hervé Chevreau, le maire MODEM d’Epinay-sur-Seine, a offert le foncier (tout en mettant en place une série de mesures anti-spéculatives, dont notamment l’interdiction de vendre pendant dix ans). Sauf que la réussite de ce projet ne peux ni en masquer la difficulté ni servir de modèle. «Si Jean-Louis Borloo avait su ce qu’il en est vraiment, il n’aurait jamais lancé ce programme,» s’amuse d’ailleurs l’architecte. Que cette opération reste unique (ou presque) à ce jour confirme que le vœu pieux ne peut tenir lieu de politique mais bon, ici, dans ce cadre précis, le fait que cette opération ait été menée à son terme est à mettre au crédit du très jeune (28 ans) Louis Téqui.
L’écart de 19.000 euros entre le projet et la réalisation est aussi, dans une certaine mesure, à mettre au crédit de l’architecte. En effet, cet écart correspond peu ou prou au surcoût engendré par l’aménagement de voiries à l’intérieur du lotissement. Or cet aménagement est l’une des clefs du projet conçu par Louis Téqui. «Afin de favoriser son intégration dans la ville, le projet prolonge la structure urbaine du quartier résidentiel voisin. Anticipant la construction de logements et d’équipements sur la parcelle des ateliers mitoyens, la rue (devenue aujourd’hui rue de l’Europe. NdA) desservant le site depuis la route de Saint Leu pourra être partagée avec les futurs immeubles voisins. Cette disposition permettra une économie de voirie et ouvrira le quartier sur son environnement,» explique-t-il.
Un choix judicieux – surtout comparé aux trois autres projets du concours qui tous créaient une impasse sur cette parcelle enclavée – en ce sens que le caractère urbain du projet est ainsi clairement exprimé, ces 28 maisons formant désormais non une cité, aussi sympathique soit-elle, mais un nouveau quartier. «L’espace public est un vrai projet avec des problématiques urbaines – rayon de braquage des camions, accès handicapés des trottoirs, etc. – que je ne connaissais pas,» se félicite l’architecte.
Cette voirie publique a également un autre grand avantage : celui de souligner encore le caractère individuel de ces maisons, pourtant construites en bandes. L’architecture le fait déjà. L’organisation de la maison trouve sa juste expression en façade : coté rue, cuisine, salle de bain et bibliothèque sont en retrait quand les pièces de vie sont saillantes, exprimant l’organisation de la maison et l’imbrication des espaces ; coté jardin, c’est une terrasse en retrait qui rythme la façade. «Les retraits confèrent la lisibilité nécessaire à la différentiation des logements : malgré la densité et la répétitivité du projet, chaque maison se lit comme une entité distincte,» explique Louis Téqui. Et ce d’autant plus que ce jeu de volume est souligné par le choix des enduits : blanc pour le plan le plus avancé et gris pour les volumes en retrait. Bref, un ressort conceptuel simple et économe pour un maximum d’efficacité.
Surtout, cette voirie publique permet, outre une diminution des charges pour les habitants des maisons (l’entretien de cette voirie ressort de la compétence de la ville), de faire rentrer ce «quartier dans le droit commun.» De plus, une voirie publique a permis que ne soit pas imposée la création d’une copropriété. Ainsi, chacun dispose de sa boîte aux lettres devant sa maison et, pour le coup, de sa propre antenne de télévision. «Au début, ces antennes furent un pince-cœur,» se souvient Louis Téqui. «Puis je me suis dit que, finalement, c’était un autre élément d’identification ; il n’y a pas de cheminée mais des antennes,» dit-il en souriant. De fait, ces antennes rythment les toits des maisons dans le même tempo que celui des façades.
Enfin, c’est encore cette volonté de rendre publique la voirie qui a influé sur la conception même du projet. En effet, pour atteindre une telle densité (28 maisons sur 3.500m²) d’autres options étaient possibles, dont la superposition. Sauf que celle-ci aurait contraint à la création d’une copropriété. Ce qui explique que ces maisons aient été construites selon un principe vertical et que, bien qu’en bandes, elles demeurent des maisons ‘individuelles’.
La maison elle-même repose sur un principe architectural et constructif de demi-niveaux à la hauteur variable. La cuisine et l’entrée se trouvent ainsi de plain-pied avec la rue tandis que le séjour ouvert est surélevé de deux marches. Ces différences de niveaux autorisent une hauteur sous plafond de 3.20m dans le séjour. La spécificité de chaque pièce est exprimée par son volume et ce sont les hauteurs sous plafond qui caractérisent les pièces de la maison, en adéquation avec son utilisation. «On n’habite pas des mètres carrés, on habite des volumes,» soutient l’architecte. Monsieur et Madame Aoudef, en passe d’aménager dans leur nouvelle maison, confirment. «L’intérieur est original mais tous les gens qui sont venus ont trouvé cela génial. Ca a l’air petit de l’extérieur mais nous avons en fait beaucoup d’espace,» disent-ils, ravis.
«Ce fonctionnement en demi-niveaux, les sources de lumière naturelle et le décloisonnement de l’espace donnent à l’escalier une importance particulière : théâtralisé, il devient l’espace central de la maison,» ajoute Louis Téqui. «C’est le vide qui construit la maison. L’espace est dilaté et la lumière du jour provient de plusieurs sources aux orientations différentes, participant à l’ambiance aérée et joyeuse de la maison. La lumière changeante, le vide, les différences de niveaux et la fluidité lui confèrent une image contemporaine et valorisante,» conclut-il.
Cela dit, il faut garder à l’esprit le «véritable exercice de rigueur et de lucidité dans les choix de conception» que représente l’économie, drastique, du projet. Le défi a été relevé en combinant plusieurs démarches complémentaires. La systématisation du plan de chaque logement comme réponse littérale au programme univoque de 28 maisons de 4 pièces et 85m² a permis, au moment de l’appel d’offre, de rassurer les entreprises, la répétitivité du projet ayant largement simplifié leurs études d’exécution et diminué la mise en œuvre de détails spécifiques. Par ailleurs, la stratégie d’une volumétrie simple et compacte et de construire le projet exclusivement avec des composants standards s’est également révélée judicieuse.
Cette rigueur a donné du poids à Louis Téqui quand il lui a fallu sauver le balcon que «tout le monde voulait faire sauter» et que les habitants se sont immédiatement, avec bonheur, approprié ou quand il a réussi à garder les fenêtres latérales en pignon des maisons au centre de la parcelle. «Ce n’est pas grand-chose mais cela évite de grands pignons aveugles,» dit-il. Pas grand-chose, peut-être ; plus que des détails, sans doute. Pour finir, à noter que le projet ne montre pas encore sur les photos de cet article son image finale. En effet, il reste à planter les arbres, un par maison plus quelques-uns sur la voirie.
Le plus étonnant peut-être reste que Louis Téqui, qui ne s’est découvert un goût pour le logement en général et le logement social en particulier qu’en cinquième année à l’école de Paris – Val de Seine, a aujourd’hui, semble-t-il, trouvé une formidable justification à sa pratique, autant d’ailleurs en tant qu’homme qu’en tant qu’architecte. S’il annonce fièrement, à propos de ce projet, qu’il s’agit de son «premier projet construit,» il travaille désormais sur cinq opérations de logements, dont deux d’une quarantaine d’unités. Il s’agit cette fois d’opérations avec des «budgets très intéressants» dit-il. Comparé à celui dont il disposait pour sa première opération, ne le sont-ils pas tous ?
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 3 décembre 2008