Première journée de repos pour le peloton et la caravane. Pendant que les coureurs survolent les Flandres, c’est l’occasion pour les suiveurs du Tour de France amateurs du grand art d’un périple dans les plats pays à la rencontre d’architectures contemporaines qu’il serait dommage de ne voir que du ciel.
De Sønderborg à Dunkerque, point de départ de l’étape du lendemain, les suiveurs traverseront l’Allemagne d’abord, puis les Pays-Bas et enfin la Belgique. Il faudra être bien matinal pour avoir le temps de découvrir, au moins de loin, l’Elbphilharmonie livrée par l’agence Herzog et de Meuron à grands frais en 2017.
Considéré comme symbole du renouveau culturel de la ville d’Hambourg, le bâtiment s’élève sur les bassins de Sandtorhafen et comprend trois salles de concert, un hôtel, des logements et une place surélevée de 4 000 m² offrant une vue panoramique sur la ville.
Les architectes ont conçu le bâtiment comme une passerelle entre le passé et le futur de la ville, ceci à partir du lieu même de l’ouvrage, les bassins Sandtorhafen et notamment la zone du plus ancien entrepôt des docks d’Hambourg, le Kaiserspeicher A.
Le projet de la Philharmonie, bien qu’éventrant l’ancien entrepôt, a gardé le périmètre de maçonnerie en briques et érigé au-dessus un deuxième volume entièrement revêtu de verre donnant ainsi lieu à un fort contraste. La dichotomie entre les deux blocs du bâtiment cache en réalité ce que les concepteurs définissent comme un défi structurel : le fait de désaccoupler la base en briques et le volume supérieur accueillant l’un des plus grands auditoriums du monde en vue de garantir une isolation acoustique parfaite.
Pour soutenir le poids total de la nouvelle Philharmonie – soit 200 000 tonnes environ – il a été nécessaire d’ajouter aux 1 111 piliers en béton qui soutenaient déjà le Kaispeicher A, 650 piliers à quinze mètres de profondeur dans l’Elbe.
Pendant qu’ils sont là, les suiveurs peuvent aller vérifier où en est HafenCity, l’objet sculpté par Christian de Portzamparc sur le port.
« Le bâtiment projeté est défini comme un des points hauts de la ville, comme une figure s’élevant directement sur l’Elbe pour marquer l’entrée du port Magdeburger Hafen. Il entre en résonance avec l’autre extrémité du quartier où se trouve l’émergence de la Philharmonie. La proposition consiste à verticaliser ce volume pour créer un objet sculpté, se détachant dans le quartier », explique Christian de Portzamparc.
Cette verticalité est obtenue par une structuration de l’immeuble en trois parties verticales, jouant entre fleuve et ciel. Ce bâtiment accueille une partie des bureaux, plus larges que programmés dans la proposition de développement de la moitié sud.
« Chacun des trois volumes est taillé en facettes de verres qui captent ainsi les reflets des lumières du fleuve et du ciel. Ceux-ci seront blanchis par la sérigraphie qui confortera leur qualité protectrice anti-UV et par le choix de leurs couches filtrantes (coating) », dit-il.
Quittant les Docks, et après un passage par le marché aux poissons dont la halle a été édifiée en 1703 pour engloutir une soupe d’anguille en prévision de la longue route, cap au sud vers Loenen, dans le centre des Pays-Bas, où les curieux trouveront le mémorial dédié à la mémoire des victimes néerlandaises de la Seconde Guerre mondiale (et des conflits internationaux plus récents), livré par l’agence néerlandaise KAAN Architecten en 2020.
Conçu à la demande de la fondation néerlandaise des cimetières militaires (Oorlogsgravenstichting), harmonieusement intégré dans la forêt environnante, le bâtiment rejoint et relie le cimetière national de guerre de Loenen existant et le nouveau cimetière national des vétérans. KAAN Architecten a choisi de dessiner le bâtiment et les arbres simultanément, ces derniers décidant de la forme de la structure, dans un objectif de fusion entre l’architecture et la nature aménagée.
Le pavillon, d’une emprise de 52 x 19 mètres, s’étire le long de l’un des cinq axes fondamentaux du site, telle une fine ligne blanche horizontale installée parmi les pins et bouleaux longilignes. Vu d’au-dessus, il se situe entre deux étendues boisées, et bordé de deux ‘forest rooms’ selon la vision des architectes paysagers Karres en Brands. Son horizontalité épouse délicatement la philosophie de Haspel : éviter les éléments verticaux qui pourraient perturber l’atmosphère naturellement apaisante. Pour cette raison, les pierres tombales du cimetière de guerre sont disposées à plat sur l’herbe.
Sur certains de ces murs, des assises dans la même pierre naturelle font face à la forêt et offrent aux visiteurs des lieux de repos et de contemplation. Le toit s’appuie sur les murs, telle une simple paroi horizontale avec des ouvertures ouvrant sur la cime des arbres et le ciel. Dirigeant d’une main de maître les perspectives vers l’intérieur, l’extérieur et à travers, KAAN Architecten a su conserver l’aura fragile de lumière et de tranquillité qui imprégnait déjà le cimetière national de guerre.
Cette journée de repos sans la contrainte d’être à l’arrivée de l’étape permet de prolonger le voyage et le suiveur privilégiera le calme environnant sur la route, d’Utrecht à La Haye, pour s’arrêter au hasard afin de déguster sur le pouce, mais les pieds dans l’eau, un sandwich au hareng salé accompagné d’un café au lait. Puis rejoindre, à quelques lieues de La Haye, Rijswijk, pour ne pas manquer le siège de l’Office Européen des Brevets (OEB), lame nouvellienne dans le ciel batave.
Au pays des villes-canaux, les bâtiments hauts ne sont pas légion. Cette petite confrérie a accueilli en son sein en 2018 un nouvel arrivant de 156 mètres de long, 107 mètres de haut et 24 de large. New Main, c’est son nom alambiqué, est donc la plus haute et fine construction des Pays-Bas et d’Europe. La double façade, construite en retrait pour ménager le grand vide dans lequel sont suspendues les jardinières, permet la ventilation naturelle et la protection acoustique.
« On est sur un polder… », prévenait Jean Nouvel. Pour assurer la stabilité de l’édifice, des centaines de pieux ont été nécessaires pour le fonder à plus de 20 mètres en sous-sol. Jean Nouvel et Diederik Dam ont pris le parti de proposer un vaisseau amiral tout de verre et d’acier qui trouve sa source dans la matérialité alentour, c’est-à-dire celle du ciel changeant, de l’eau du site et de la lumière du nord.
Le visiteur impromptu, même journaliste, ne dépassera probablement pas l’accueil mais cela tombe bien car c’est déjà le moment remettre la boussole vers la Belgique, vers Anvers, histoire de saluer une autre récipiendaire du Pritzker Price, Zaha Hadid, auteure du très spectaculaire « Havenhuis ».
Dominant le port et renforçant l’image dynamique de la ville, la Maison du Port est le lieu de travail de 500 employés et un lieu de rencontre pour les nombreux contacts internationaux de la communauté portuaire d’Anvers.
L’ancienne caserne de pompiers, classée au patrimoine, devait être rénovée. Au concours, une seule règle : que le bâtiment d’origine soit conservé. Zaha Hadid a pris le parti de garder le bâtiment existant dans son intégrité et de déposer au-dessus une structure radicalement contemporaine. Le résultat est constitué de deux volumes principaux entrelacés. Un pont externe intègre le bâtiment existant à la nouvelle extension.
La nouvelle structure de quatre niveaux, 105 m de long et 1 500 tonnes, visible de très loin, se présente comme un grand bateau de verre porté par deux immenses piliers de béton blanc. L’architecte expliquait y voir « le lien symbolique entre les deux parties du port, l’intégration d’un design moderne à l’histoire d’Anvers en tant que pionnier du commerce mondial ».
Comme quoi, en Belgique, architecture contemporaine et patrimoine ne sont pas comme en France des ennemis irréductibles.
Avant de retrouver la France, les suiveurs longeront la mer du Nord et ses interminables plages de sable à la lumière opaline. Avec un peu de chance, le coucher de soleil ne sera qu’un moment de grâce dans les dunes. Passer les stations balnéaires historiques et patrimoniales de la côte belge, Knocke-le-Zout puis Ostende, et s’arrêter quelque part pour prendre des forces avec un potjevleesch pour les carnivores ou un traditionnel waterzooï, le tout arrosé avec modération de bière Duvel ou au choix parmi les milliers d’autres bières disponibles dans ce plat pays.
Alice Delaleu (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018