Du Palais de la Bourse à Sea One, en passant par la poste Colbert et la Porte bleue, de la Canebière au Catalans, Marseille résonne de chantiers en cours menés par des architectes locaux. Visite guidée par le philosophe.
Le Palais de la Bourse (9, La Canebière)
En 1860 Napoléon III vint à Marseille pour inaugurer le joyau de l’architecte Pascal Coste ; le Palais de la Bourse, encore reconnu aujourd’hui comme étant le vaisseau-amiral du Second Empire dans la cité phocéenne ! Cette année, l’agence Città a livré une réhabilitation de l’édifice en œuvrant sur 2 500m² de surface intérieure ; le résultat me plaît !
La maîtrise d’œuvre devait, entre autres, repenser les différents niveaux d’un bâtiment érigé au XIXe siècle afin que ceux-ci soient adaptés aux façons contemporaines de travailler, nécessitant l’installation de plateaux modulables propices à l’utilisation d’outils numériques ainsi qu’au cotravail.
Le risque ? Dénaturer l’endroit ; en souiller son envers, en brûler son essence !
De mauvais architectes auraient ici cédé à la tentation du choix d’une option consensuelle – donc atone et paresseuse – consistant à employer des matériaux évoquant médiocrement la tonalité d’une époque inimitable. Cependant, l’équipe de Città a témoigné d’une subtile faculté à déployer une méthodologie sur-mesure ; démolir sans regrets les équipements actuels datant des précédentes rénovations vieilles de quarante années pour laisser resurgir moulures, gypseries, marbres et pierres originels.
Naturellement, la renaissance d’un second empire, qui n’était pas mort mais somnolait recouvert de l’épaisse couverture des années 1980, a sonné comme un blanc-seing signé à des architectes pouvant désormais entreprendre toutes les innovations, même les plus high-tech !
« Nous nous sommes attachés à remettre en valeur cette architecture du Second Empire et à valoriser les matériaux d’époque, tout en aménageant des espaces confortables, adaptés aux usages d’aujourd’hui. Les nouvelles façons de travailler et de collaborer nous ont amené à créer à la fois des lieux ouverts, lumineux, connectés mais aussi des endroits plus intimes et insonorisés. Ces nouveaux aménagements viennent sublimer l’existant, ses incroyables éléments architecturaux et ses matériaux tels que le marbre, le bois massif et la pierre de taille », explique au philosophe le chef de projet chez Città, Guillaume Guilbert.
Ce qui représente le témoignage d’une réussite est qu’il ne me semble pas qu’il s’agisse là d’une réhabilitation, mais plutôt d’une pierre venant se joindre à un édifice dont il ne convenait pas d’écrire un court chapitre ni même l’épilogue, mais bien la continuité de l’histoire !
La Porte Bleue (Arenc)
Nichée entre la Tour CMA/CGM – dont je déplore la faible expression de matérialité, malgré un charisme indéniable – signée par Zaha Hadid, et la nec plus ultra Tour la Marseillaise plus récemment inaugurée par Jean Nouvel, La Porte Bleue qui, contrairement à ses deux consœurs précédemment citées n’accueillera pas des entrepreneurs et des salariés mais bien des habitants, apparaît comme revêtue du charme d’une promesse ; celle d’apporter de l’identité à un quartier n’en détenant pas une once !
Sur plans, les reflets latins m’ont naturellement intrigué ; pour le moment, en ayant observé les quelques voûtes déjà sorties de terre, je ne suis pas déçu – j’attends de voir !
Avec ce projet, Jean-Baptiste Pietri respecte les codes tacitement dictés par la météo politique actuelle. Aussi, les 414 voûtes de béton constituant la tour sont fabriquées à Aubagne (Bouches-du-Rhône), et occupent de facto de la main-d’œuvre locale.
Une fois le 17ème niveau achevé, le verdict pourra alors être tranchant, et si cette Porte Bleue parvient à exister sans nécessairement devoir évoquer, l’heure sera alors à saluer sans condition l’audace ayant fait naître un bâtiment de luxe disposant d’une architecture populaire – c’est-à-dire, d’une architecture certes chargée d’égo, mais ne retranscrivant pas la mégalomanie d’un architecte.
La poste Colbert (25, rue Colbert 13001)
A Marseille, Carta associés avait déjà brillé en s’attelant à de la réhabilitation de grande ampleur lorsque l’agence transforma le Silo en salle de spectacle ou encore lorsqu’elle adapta le Fort Saint-Jean à la révolutionnaire arrivée du Mucem.
Avec La Poste Colbert – intégralement rénovée – le cabinet marseillais paraît avoir atteint une maîtrise de la réhabilitation digne de l’horlogerie suisse. Plutôt que d’intégrer de la contemporanéité à une architecture édifiée en 1889, Roland Carta et ses équipes semblent avoir fait un voyage temporel pour penser notre modernité comme l’auraient fait les architectes de la fin du XIXe siècle.
« Il s’agit d’un projet dont notre travail a consisté à remettre au goût du jour l’intelligence d’un plan, d’un patrimoine exceptionnel du XIXe de l’architecte Huot en centre-ville et une conviction : restaurer avec une touche de modernité toute en retenue juste pour sublimer l’existant », explique à Chroniques Stephan Bernard, directeur général de Carta associés.
J’apprécie notamment que les poutres en béton construites dans les années 30 aient été conservées pour soutenir la nouvelle verrière ; effectivement, lorsque les précédentes rénovations ont encore de la grâce à offrir, pourquoi – comme par réflexe – leur couper les ailes ?
Sea one (1, rue des catalans)
Entre l’horizon névrotique de la méditerranée, le très chic Cercle des Nageurs, La Corniche et le Vieux-Port, le projet Sea One présenté comme un « navire terrestre » de 29 logements de grand standing commence à dévoiler sa structure.
Le premier point que je constate en observant ce bâtiment est qu’il représente parfaitement la singulière maîtrise des espaces de Rudy Ricciotti ; vu sous un angle, il semble que le résultat sera imposant et massif et, observé d’un autre point de vue, le projet promet de s’armer de l’élégance de la discrétion.
Le tempérament du projet semble osciller comme un balancier frôlant tantôt le paroxysme de la vitalité en arborant une structure teintée d’un orientalisme latent, et tantôt le sommet du calme, en appariant la mer aux terrasses des appartements en employant la subtilité d’un matériau suave par nature ; le verre, encore adouci par des formes évoquant subliminalement les vagues qui reflètent dedans.
Les programmes de luxe, par usage, sont initialement mal perçus, décriés, accueillis avec méfiance ! En investissant de considérables efforts pour constituer une façade qui apportera bien plus de douceur à la voie publique que celle de la Maison de sucre Giraudon anciennement présente ici, le faste du projet n’évoque plus rien de pédant, mais plutôt l’aspect social d’un bâtiment venant embellir un espace collectif.
Tom Benoit
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« Cette chronique est dédiée à Jacques Bajolle, architecte marseillais, disparu ce mercredi à l’âge de 85 ans — avec une pensée émue pour ses proches, notamment son fils Romain également architecte à Marseille (Bajolle et Gianni). » Tom Benoit