Depuis une dizaine d’années, les agences d’architecture commencent à se familiariser avec la maquette virtuelle et le BIM. Mais voici qu’arrive maintenant le métaverse… La tentation de l’architecture virtuelle peut-elle permettre de retrouver un espace de liberté créative ?
Qu’est-ce que le métaverse ?* Il nous est présenté comme l’aboutissement ultime d’Internet, le développement d’un univers parallèle au monde réel où chacun peut se déplacer, acquérir des biens, vivre des expériences quotidiennes… virtuellement s’entend. Muni d’un casque de réalité virtuelle, une fois franchi la barrière du métaverse, vous aller pouvoir créer votre propre vie.
Ainsi pourrez-vous vous choisir un destin de multimilliardaire avec propriété luxueuse, personnel à disposition, depuis le fond du canapé de votre HLM de 35 m²… Au moment de retirer le casque, le choc peut être assez violent !
Si à première vue, ce sont tous les travers de ce nouvel univers qui sautent aux yeux, avec les atteintes à l’intégrité psychologique des utilisateurs qui vont découler de ce miroir aux alouettes, il n’en demeure pas moins que ce nouvel espace tridimensionnel est un espace architecturé et, en tant que tel, les architectes ne devraient-ils pas s’emparer de ce sujet ?
J’ai toujours considéré que l’avènement du BIM était pour les architectes le début de la disparition de l’idée que « chaque bâtiment est un prototype », célèbre maxime propre à justifier tous les dysfonctionnements et malfaçons d’un bâtiment lors de sa livraison. Le BIM est un dérivé des outils mis au point par l’industrie afin de réduire les coûts de prototypage avant la mise en production. Les industriels, habitués à faire des prototypes de leurs créations afin de réduire les risques de malfaçon lors de la mise en production en série, ont assez vite compris l’intérêt de faire un prototype virtuel, beaucoup moins onéreux et plus rapide d’usage qu’un prototype réel.
A ce jour il faut bien reconnaître que, arrivé au niveau de complexité de nos bâtiments, rares sont les cas où le prototypage intégral s’avère rentable avant la construction car le bâtiment ne réfléchit pas en coût global. Or le temps de réalisation d’un prototype virtuel est très proche du temps de construction que nécessitera le bâtiment.
Donc l’intérêt ne se trouve pas comme pour l’industriel en amont mais en aval, dans l’exploitation du bâtiment, l’exploitant duquel devant subir durant de nombreuses années des dysfonctionnements plus ou moins gênants. Mais, ces derniers temps, les maîtres d’ouvrage repoussent à la dernière minute le fait de lancer la construction de leurs nouveaux projets : ils serrent les délais d’études, les délais construction… Comme, la plupart du temps, ils n’en sont pas les exploitants futurs, si les espaces ne sont pas parfaitement adaptés à l’usage…
Nos maquettes numériques n’ont pas encore révélé tout leur potentiel : là encore, il est très rare de faire arpenter aux futurs utilisateurs le bâtiment virtuellement. En théorie, il serait pourtant assez simple de verser la maquette dans le métaverse, en donner l’adresse aux utilisateurs qui, chaussés de leurs casques de réalité virtuelle pourraient arpenter les couloirs et les salles de leur futur univers.
Bien sûr, un architecte peut imaginer le pire, avec le risque que la maîtrise d’ouvrage ou l’entreprise ne s’immisce dans tous les détails du projet. Mais cet outil pourrait aussi permettre de « vendre » des dispositifs architecturaux qui peuvent paraître abscons sur un plan : un atrium en triple hauteur est plus facile en vendre quand il est vécu que dessiné sur un plan ! Il est aussi possible d’imaginer que le métaverse puisse permettre de tester ces dispositifs et d’en analyser la façon dont ils sont perçus par les utilisateurs. Une sorte de lieu de recherche et d’expérimentation où les architectes modéliseraient des espaces pour les faire tester par tout un chacun et ainsi recueillir le ressenti d’une population importante. Il pourrait être ainsi plus facile de proposer par exemple des habitats plus proches de ce que la population en attend et plus intelligent sans doute que la simple application normative qui en est faite aujourd’hui.
Il est permis aussi d’imaginer des lieux d’expérimentation sensorielle en lien avec des recherches, notamment médicales, permettant d’analyser comment les espaces architecturaux influx sur notre état psychique, et ainsi pouvoir par la suite les mettre en œuvre dans des bâtiments physiques.
L’objet de l’architecture restera de réaliser des espaces réels et concrets et, malgré la pression sans cesse croissante des contraintes sur l’acte de construire – justification du moindre gramme de matériau mis en œuvre, son impact environnemental, son bilan carbone, le bilan énergétique de chaque m² produit, l’absolue maîtrise des apports lumineux non par rapport à une qualité d’espace mais par rapport à une norme moyenne, la volonté inclusive qui tend à la production d’une architecture lisse et sans aspérité, etc. – la tentation de la virtualité peut permettre de retrouver enfin un espace de liberté créative ! De plus sans limite financière !
Il serait alors possible d’envisager des lieux poétiques et lyriques sans risque de se voir sanctionner par une coupe budgétaire ou un dogme normatif quelconque.
Alors, l’avenir de l’architecture est-il dans le métaverse ? En tous cas, il va falloir que des architectes s’y attèle, à commencer peut-être par les écoles d’architecture ! Si cet univers parallèle doit être réalisé par des informaticiens, il n’est pas sûr qu’assez rapidement il ne devienne pas un enfer. Mais peut-être est-ce là sa vocation finale ?
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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*Lire également notre chronique Enfer ou paradis ? Dans le métaverse, rien de réel, sauf les clones de F.L. Wright