Il y a des bâtiments qui ne répondent pas aux attentes des maîtres d’ouvrages, peut-être parce que les attentes ont changé entre le concours et la livraison. Il y a aussi des bâtiments qui répondent à de vraies attentes que, entre le concours et la livraison, le maître d’ouvrage et le programmiste n’avaient même pas imaginées. Voyons le cas du théâtre de Monéteau (89).
A Monéteau, Romain Viault et son agence ARCHITECTE[S] ont construit un «théâtre» même si le maître d’ouvrage, Ville de Monéteau, y voit lui un centre culturel, voire une salle polyvalente. Pourquoi une telle nuance ? Parce que, à la commande initiale d’une scène départementale pour la création et la diffusion de spectacles jeune public, l’architecte a décidé, dans le cadre de son budget – 5,7m€HT – de s’appuyer sur les plus hautes exigences d’un espace culturel : un théâtre.
Bien lui en a pris car le projet n’était pas construit que le projet évoluait en cours d’études, sa destination en étant transformée par la nouvelle équipe municipale pour devenir une salle de spectacle polyvalente. Pour l’anecdote, même si l’équipement reçoit désormais essentiellement des adultes, une main courante à portée des enfants demeure et illustre cette histoire, ainsi d’ailleurs que la tribune coffre et des sanitaires «bambin» prévus pour accueillir le jeune public.
De fait depuis son inauguration en octobre 2015, la salle a accueilli aussi bien des concerts, musique classique ou non, d’artistes de renom que des expos, des spectacles variés autant qu’un repas communal, une soirée cabaret et un salon du livre. «Personne ici ne s’attendait à une telle salle de spectacle», s’émeut Brigitte Piffoux, la directrice de l’établissement. «L’outil nous a permis d’ouvrir le champ de la programmation, de la danse sur le plateau à plat jusqu’aux acrobates qui ont besoin de hauteur ; cette totale liberté de programmation fonctionne très bien», dit-elle.
ARCHITECTE[S] avait été retenu en 2011 pour le concours avec une autre agence parisienne et une de Grenoble. L’une prit un parti radical – fuck the context – quand l’autre n’y fit même pas référence. Or Romain Viault défend par principe l’histoire d’un lieu et tente d’anticiper l’évolution sociétale en inscrivant son architecture dans le temps. Le site, situé entre la Villa Montmorency – l’actuelle bibliothèque de cette ville de 4 300 habitants – une école et un gymnase, serré entre la voie ferrée et les berges de l’Yonne, invitait pourtant à une mise en contexte. Au point d’ailleurs que, pour le coup, la conception du nouvel équipement fait écho à la villa voisine de multiples façons puisque le théâtre en reprend le volume, la teinte et l’orientation.
«Ici, la scène n’est plus considérée comme un simple volume technique, c’est l’élément fondateur du projet, autour duquel les espaces servants se déploient, tel un long châle», explique l’homme de l’art. La salle compte 350 places quand tous les gradins sont déployés, la scène peut être réglée à différente hauteurs, l’esthétique des vagues en bois des murs intérieurs non seulement permet de dissimuler divers éléments techniques mais fut conçue, au terme d’une recherche forcément empirique, dans un souci que l’acoustique de cet espace puisse s’adapter à plusieurs usages.
Surtout cette salle, qui multiplie les jauges en fonction de configurations d’une grande variété, peut devenir transparente et s’ouvrir sur l’Yonne et le soleil couchant ou retrouver tout aussi aisément selon l’usage sa fonction habituelle de boîte noire. Les équipements techniques d’une vraie scène, des loges chaleureuses, intimes et pourtant ouvertes sur la ville et le paysage, une aire de déserte discrète et pratique, une entrée des artistes, un bar et un foyer : un théâtre.
Un grand hall traversant et lumineux – toutes hauteurs puisqu’il relie l’accès bas, côté rivière, à l’accès haut, côté parking – fédère la bibliothèque et le théâtre et distribue les circulations des spectateurs. Le dénivelé est l’opportunité d’une belle réflexion sur les escaliers : le rapport intérieur – extérieur de celui menant au parking, la légèreté de celui, suspendu, qui mène au balcon. En haut des façades de cette vaste coursive, les panneaux en polycarbonate laissent entrer la lumière tout en procurant une isolation thermique tandis que le bardage extérieur pénètre à l’intérieur, accentuant son aspect de passage protégé, et souligne encore la progression du parcours entre l’extérieur et l’intimité de la salle, une entrée de théâtre non conventionnelle, sur le côté plutôt que face à la rue.
«Les sceptiques ont été convaincus de la démarche des architectes», poursuit la directrice. Ainsi a-t-elle pu constater que, dans le cadre pourtant d’une concurrence compliquée avec Auxerre, la grande ville si proche et qui dispose de sa propre offre culturelle, ses spectateurs viennent de toute la communauté d’agglomération. «Il faut croire que cette salle répondait à un besoin», dit-elle. L’ancienne équipe et le programmiste n’y avaient pas pensé, l’homme de l’art si. «Il faut élever l’architecture au rang de métier d’art. Dans le cas contraire, les ingénieurs pourraient suffire», souligne Romain Viault.
L’art, et plus largement la culture, est partout dans le bâtiment. Dans la signalétique tout d’abord. Au premier coup d’œil rien de spécial dans la police utilisée pour ces grandes lettres indiquant l’accueil, ou les salles. C’est en s’approchant que d’aucuns s’aperçoivent que le dispositif est constitué de boutons de métal, tous différents, par centaines…. «Nous avons organisé une collecte des boutons en métal auprès des habitants, l’idée a pris, nous en avons récolté plus de 3.000. Tout le monde a participé. Notamment, de vieilles dames décousaient les boutons des anciennes vareuses de leur mari», s’amuse l’architecte. Un habile processus parfaitement invisible fut prévu par les graphistes de l’agence WIP pour installer ces boutons et assurer la maintenance du dispositif. Et voilà en guise de 1% artistique et d’appropriation d’un nouvel espace contemporain.
Ces boutons, à l’intérieur, font par ailleurs référence aux 9.000 catadioptres – une myriade – de la façade extérieure donnant sur la rue et l’Yonne. Quand vient le soir, ces catadioptres réfléchissent les lumières de la ville, les halos des lampadaires, les phares des voitures, la flamme d’un briquet et naît ainsi la subtile évocation de danseuses en mouvement, un tableau inspiré de la farandole de Léo Lelée et de l’arlésienne de Georges Bizet, la pixellisation de l’effet donnant à l’image un aspect éphémère et sans cesse renouvelé. Ainsi d’aucuns y verront aussi sans doute une voie lactée ou un nuage de lucioles. «Sous un autre angle, l’édifice apparaît comme une lanterne de papier chinoise évanescente», relève l’architecte. Quelle image pour quelle identité ? se demandait-il lors du concours. Maintenance du catadioptre = 0€. Un système simple et sensible. Bravo l’artiste !
L’aménagement extérieur faisait partie de la mission tandis que n’existait alors qu’un parc famélique entouré de grilles. Romain Viault souhaitait inventer un parcours menant à l’intimité d’une salle noire et chaleureuse. Aujourd’hui un espace paysager, qui évoque les gradins du théâtre, a redistribué les circulations piétonnes et motorisées entre la bibliothèque, l’école au-dessus, le théâtre et le gymnase, donnant une vraie cohérence à une addition de lieux épars. Ce ne sont plus un mais des parcours que l’aménagement propose. Une réserve foncière, en lien avec les loges, anticipe la construction, peut-être, d’une future salle de création et de répétition. «Les gens, d’abord dubitatifs, se sont très vite habitués à ce nouveau paysage», indique Brigitte Piffoux.
C’est peut-être d’ailleurs dans ces aménagements extérieurs que se situe au final l’enjeu de ce projet. Dans ces zones péri-urbaines qui vieillissent mal, il s’avère le plus souvent impossible de construire de la ville. Ici pourtant, sur les bords de l’Yonne, juste après le ‘pont Eiffel’ (qui n’est pas un pont d’Eiffel), la nouvelle continuité de l’espace autour de cet équipement public et culturel rend toute son urbanité à un lieu auparavant sans identité. Désormais animé de l’ouverture des classes le matin jusqu’au soir à la fermeture du foyer, sept jours sur sept, il s’agit bien désormais d’un lieu de vie polyvalent. Un théâtre en somme.
Christophe Leray