New York ne change pas mais elle prend de la hauteur et évolue dans le temps alors que d’autres métropoles sont immuables, nous pensons à Paris… Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
La vie trépidante, le bruit, les sirènes de police, la construction, les sites de démolition, les grues, les bennes de déchargement ; la fumée dans les rues, les camions de ramassage des poubelles. Le vacarme du métro, le trafic automobile… La hauteur toujours plus haute et plus haute…
Je travaille, j’ai construit, j’ai rénové, exposé, fait des conférences à New York, je connais la ville en détails, les restaurants, les musées, les clubs… L’énergie de New York semble immuable, la vie bouillonnante et l’architecture, brillante.
J’ai eu le privilège de connaître les plus grands architectes et de fréquenter les plus grands artistes, de sortir dans les endroits à la mode et de rencontrer et de fréquenter comme tout un chacun des gens aux nationalités les plus diverses et de parler chaque jour plusieurs langues.
Cet éclectisme, c’est New York. Nulle part ailleurs verrez-vous comme elle une ville en jachère : on rénove, on démolit, on construit et c’est par dizaines par mois que sont abattus de vieux immeubles avant que des nouveaux ne soient édifiés plus haut, encore plus haut.
“The sky is no limit”
Quelques immeubles sont construits directement sur le granit de la géologie naturelle et n’ont pas de fondations. Je me souviens, dans la cuisine d’un chef étoilé, au sous-sol d’un hôtel 5*, les rochers naturels de Central Park apparaissaient comme sortis de la terre.
La silhouette de New York, ‘THE SKY LINE’, est en partie née de cette géologie, les immeubles de grandes hauteurs de Mid Town, certains de 40 étages, ont pu être construits sans fondation.
La ville a poussé à partir d’un premier plan d’urbanisme très organisé, dessiné par John Rande en 1811 et l’architecte Robert Moses autour d’un parc conçu par Olmsted et Vaux. Un urbanisme du futur, une ville numérologique et alphabétique alors unique au monde. Qui pouvait penser qu’il faille calculer en ‘Blocks’ ou en numéro de rue pour s’orienter ? Cet urbanisme et cette architecture sont à la fois évolutives et conservationnistes.
Il y a bien sûr des lois d’urbanisme et de protection de monuments historiques, des lois sévères. Particularité de la législation de New York, les ‘’Air Rights’’ permettent d’acheter les droits aériens du voisin afin de pouvoir construire… plus haut. Ces droits aériens ont façonné le développement de la ville depuis 50 ans, un système de transfert de ces droits permettant d’atteindre des objectifs de planification urbaine spécifiques. Les promoteurs immobiliers sont motivés à construire en hauteur parce que les acheteurs sont prêts à payer très cher pour avoir des vues et la lumière.
Mais les promoteurs, entravés par les réglementations de zoning, ne peuvent pas construire aussi haut qu’ils le souhaitent. En effet, pour éviter la saturation excessive de la ville avec de grands gratte-ciel collés les uns à côté des autres, la ville a créé en 1961 un code de ‘zoning’ et imposé certaines restrictions aux développeurs.
‘Travelling is an Art’ est mon slogan parce que je dessine toujours l’étymologie du paysage et de l’architecture pour m’imprégner du site et mémoriser les détails d’un lieu. Le fait de le dessiner me permet de le mémoriser et c’est par cette mémoire vivante que je dessine ensuite mon architecture et mes projets.
Au cours d’un voyage d’étude pour la fondation Delano Aldrich Emerson, où j’avais reçu un prix de l’American Institute of Architect, j’ai pu voyager et rencontrer les plus grands architectes américains notamment, à New York, IM Pei, Philip Johnson, Paul Rudolph, Kevin Roch et tant d’autres.
Habiter à New York, où je travaille encore, offre l’énorme privilège de constater le changement évolutif inextinguible de la ville… La silhouette change de mois en mois, les quartiers aussi. De nouvelles villes du futur – telle Hudson yard, planifiée depuis vingt ans – ont vu le jour. Et c’est dans un ensemble futuriste que Chelsea et Hell’s kichen ont évolué, quartier de halles devenu un quartier parmi les plus huppés, apprécié pour ses restaurants, ses commerces de luxe et son offre culturelle.
La 57ème rue est devenue une parade de gratte-ciel dont les plus hauts sont les tours résidentielles les plus hautes du monde, les appartements atteignant des records de ventes avoisinants les cent millions de dollars. Je me rappelle avoir avec un client visité un penthouse au 80ème étage d’un immeuble en construction qui vacillait avec le vent.
Les lois architecturales de la ville du futur sont devenues telles que les agences sont désormais obligées de faire appel à des ‘’Filors expeditors’’, des ingénieurs dont le rôle est de décortiquer les lois et les contraintes d’un projet avant même le premier coup de crayon. Désormais, construire à New York devient un challenge réservé aux élites de bureaux d’architecte comme Genstler ou SOM, dont le nombre de designers, d’architectes et d’ingénieurs peut avoisiner plusieurs milliers dans le monde.
Dessiner New York est un privilège, une sorte de moment volé dans un tohu-bohu de turbulences urbaines. Capturer des détails entre deux rendez-vous est comme un instant de méditation.
Le crayon et le stylo redeviennent des outils de base et le papier blanc qui s’anime avec votre imagination est un autre privilège qui sépare le monde virtuel de l’ordinateur de la véritable origine du dessin à la main.
Ces dessins datent du siècle dernier. J’ai pu dessiner le New York des gratte-ciel de pierres, l’empreinte du World Trade Center dont j’ai assisté, en 2001 le 11 septembre, à l’effondrement alors que je me trouvais ‘Avenue of the Americas’ au retour d’un jogging à Central Park. Cet évènement m’a marqué pour la vie. J’ai voulu marquer cet instant et j’ai dessiné un projet de quatre tours de 80 étages avec sur la terrasse un jardin suspendu urbain.
Toujours à New York, pour commémorer le 70ème anniversaire du 6 juin 1944, le comité ‘The French Will Never Forget’,* dont je suis co-fondateur, a organisé le lancement d’un million de pétales de roses sur la statue de la Liberté.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Janvier 2023
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*Pour en savoir plus : TheFrenchWillNeverForget.org