
On reconstruira la charpente de Notre-Dame en métal, en béton, en structure mixte, mais sûrement pas en abattant une forêt. On reconstruira la flèche, probablement à l’identique, assurément plus légère. Le chantier durera entre cinq et dix ans, il sera permanent car c’est le lot de tous les monuments que de rester en chantier.
Pour moi, la question qui subsistera est quelle trace aura laissé la catastrophe ? La consultation internationale risque d’être bien difficile à envisager si elle ne se localise pas, si son cadre n’est pas défini préalablement.
La nature d’un monument est de perpétuer le souvenir. Le monument est donc attaché à une histoire close, la vie l’a quitté pour une mémoire inerte. Il pourrait donc être fait l’hypothèse que toute transformation est sacrilège. Poser la question de la reconstruction des combles de Notre-Dame, à l’identique ou pas, c’est introduire la question de l’ouverture de l’œuvre, ou de faire d’un monument une œuvre ouverte.
Cette ambiguïté se retrouve dans ce joyau de l’occident qui n’a cessé, pendant neuf siècles, de s’enrichir des technologies les plus sophistiquées pour améliorer l’étanchéité, l’acoustique, le chauffage, la sécurité… même si celle-ci a été défaillante. Aujourd’hui, on aurait le droit d’y toucher pourvu que ça ne se voie pas. Je pense, au contraire, que la modification apportée doit se voir si elle va dans le sens du projet initial, si elle le renforce. L’histoire ne s’arrête pas à l’audace de Viollet-le-Duc. Au-delà de toutes les dimensions symboliques attachées à Notre-Dame, l’incendie soulève un débat qui ne fait que commencer et qui devient passionnant.
L’âme de Notre-Dame de Paris doit rester vivante, mais comment y parvenir ? Et pourquoi ? Pour garder cet édifice en vie, il faudrait écarter toute évolution de type programmatique ? Les idées ne manquent pas, depuis le jardin suspendu au musée de l’histoire de la cathédrale jusqu’aux belvédères… Ceci dit, il ne me semble pas opportun, à l’heure où nous donnons à la forêt une importance vitale, d’abattre de façon massive plusieurs centaines de chênes, fussent-ils ceux prévus pour le projet «aux mille arbres» de l’Ouest parisien.
«Dieu est dans les détails» disait Mies Van Der Rohe. Si Dieu existe, je partage ce point de vue. Je pense important de prolonger le génie gothique en le faisant passer de la pierre à l’acier, au titane, au bois lamellé, aux techniques composites… autant de moyens de construction qui vont alléger la superstructure de l’édifice. On ne visitera pas plus les nouveaux combles que les précédents, seul Dieu saura que la merveille de cet ouvrage, cachée au public, lui est destinée.
Pourquoi pas une structure tridimensionnelle si elle s’avère plus légère et transforme la forêt en nuage, c’est le rêve de tant d’architectes : pas de transparence, juste un volume vaporeux, un nuage qui porte la couverture.
Quoi faire ? Un concours international est annoncé, il faut s’attendre à plusieurs milliers de réponses. Avant de déclarer le concours ouvert, il semble indispensable de mentionner ce qui est escompté. Si c’est une reproduction à l’identique, on ne va pas comprendre le sens de la consultation. Quant aux réponses ironiques, elles se bousculent déjà. Une réponse religieuse ? Si l’on veut garder à la cathédrale sa destination première, c’est à l’église d’établir le programme : un cahier des charges pour une flèche qui sera le symbole d’une communication directe et sécurisée entre notre planète et l’au-delà ? Dans ce cas, à part le remplacement du plomb par des métaux légers, Viollet-le-Duc n’était pas loin d’une réponse idéale.
Le pire serait une consultation ouverte, Urbi et Orbi, et l’impossibilité de prendre une décision si la commande n’est pas claire. Notre-Dame de Paris de Victor Hugo n’avait pas de parvis, elle n’en était que plus monumentale. On a peut-être là l’objet d’une consultation, pour une architecture visible.
Une flèche, fût-elle en cristal de roche, ne changera rien au symbole qu’est notre cathédrale. Récemment installées, les fontaines du Rond-Point des Champs-Elysées, façon douche, auraient mérité elles aussi d’être évaluées. Les précédentes étaient moins prétentieuses !
Les idées sont certainement ailleurs. Devant la voûte effondrée, certains prennent le parti de sa reconstruction à l’identique. Pour moi, une catastrophe ne doit pas être complètement effacée. Son souvenir pourrait se retrouver dans les claveaux transparents du transept qui laisseraient entrer la lumière si chère aux maîtres d’œuvre de l’époque gothique. Une œuvre d’art serait possible si, une fois n’est pas coutume, elle était porteuse de sens.
Si pour Auguste Perret «la bonne architecture est celle qui fait de belles ruines», pour moi la bonne architecture est celle qui peut s’enrichir, se prolonger, émouvoir éternellement. Dans la tradition des châteaux de France, il fallait toujours qu’un échafaudage, une brouette ou un tas de sable soit là pour signifier que les projets à venir allaient compléter le chef-d’œuvre existant.
Seule l’époque moderne transforme les lieux de vie en monuments définitifs, les rend inaptes à recevoir la vie. La catastrophe de Notre-Dame de Paris devrait nous conduire à réviser notre point de vue sur ce que nous appelons un monument. Nous oublions trop vite que les monuments sont le résultat de plusieurs dizaines d’années de construction, parfois plusieurs siècles, et surtout de très nombreuses interventions architecturales successives.
La plus belle place du monde, la place de la Concorde, a fait l’objet de plusieurs dizaines de projets. Sa beauté résulte de cette richesse, de cette diversité de provenances et d’époques. Une force, une élégance et une tension qui viennent de loin, grâce peut être à l’obélisque de Louqsor. Un ensemble éclectique, hétéroclite et magnifique, sous tendu par l’importance du bien commun.
Si nous devions rendre l’obélisque à l’Egypte, il faudrait lancer un concours international pour le remplacer. On peut déjà y penser. En attendant, la grande roue rappelle que les Champs-Elysées étaient un lieu de loisirs. Notre Dame, elle, est un lieu de culte, un autre bien commun, ce dont la démocratie a le plus grand besoin.
Alain Sarfati
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