Naud & Poux, parce que c’est plus simple. L’honnêteté voudrait d’écrire à chaque fois Elizabeth Naud et Luc Poux, Elizabeth en premier parce que c’est une femme, à moins que l’ordre alphabétique… En tous cas, souligne Luc, «elle est la plus diplômée». Plus de 20 ans qu’ils sont ensemble, il est encore admiratif, elle aussi. L’esperluette chic et design, Elizabeth Naud & Luc Poux Architectes. Portrait.
Couple d’architecte au travail, non à la ville, Elizabeth remarque que dans cette amitié complémentaire, «il n’est pas anodin d’être un homme et une femme, deux sensibilités qui se parlent bien». Il ne s’agit donc pas dans leur pratique d’une même façon fusionnelle de penser. Pourtant la notion du genre et du prénom s’estompe rapidement tant ils sont en phase l’un avec l’autre. Ils partagent le même bureau, font ensemble toutes les phases de conception, sont capables de se remplacer l’un l’autre au pied levé, de faire exactement la même chose ou prendre la même décision que l’autre, sur un chantier par exemple.
Puisque chacun finit les phrases de l’autre et peut s’exprimer en son nom, la dizaine de collaborateurs doit apprendre à travailler sans crier gare avec l’un ou l’autre. Une seule signature donc, Naud et Poux pour faire court. Prononcer Pou[ks].
L’agence ne signe pas ses bâtiments et ses associés évitent les dîners en ville. Une discrétion qui leur permet(tait) de vivre heureux mais, pour des architectes qui se sont toujours défiés de la communication, force leur est de constater eux-mêmes les évolutions du métier. De fait, même si c’est Chroniques qui a sollicité l’entretien, la communication est devenue un poste de l’agence.
La défiance demeure cependant. En 1997, leur premier projet, une restructuration lourde rue de Surène à Paris VIIIe leur valut une petite notoriété. Depuis, leur travail rigoureux, parfois sévère, s’il était remarqué par les professionnels et les confrères, ne faisait pas la Une des gazettes. «Aujourd’hui il faut faire des visites de presse», peste Luc Poux.
Pourquoi pester ? «Auparavant, nos clients n’avaient pas le même besoin de communication», dit-il. «Aujourd’hui, plus l’architecte communique, plus ses clients l’aiment. Les belles images, le ‘story telling’ obligatoire, il n’y a plus que des projets communicants. Les panneaux de concours sont devenus des B.D. et nous sommes passés du projet au concept. Y compris sur le logement social, il faut raconter des histoires, raconter le projet ne suffit plus», souligne-t-il.
L’architecture a pourtant toujours été liée aux décisions du pouvoir, public ou privé, qui ne s’est jamais privé de communiquer à des fins politiques. «Certes», conviennent Naud & Poux, «mais le politique n’était pas forcément capable de lire les plans et cela importait peu car c’est le maître d’œuvre qui portait les projets. Mais depuis la révolution de l’image, disons depuis le début des années 2000, les politiques savent de mieux en mieux lire des plans, et ce sont eux qui désormais portent les projets. Pensez aux stades par exemple qui sont devenus des supports de choix de la communication politique».
De fait, quand il n’y avait pas d’images, les politiques n’avaient sans doute pas d’autre choix que de s’en remettre aux professionnels. C’est avec l’image que, selon Naud et Poux, apparaissent des bâtiments transparents. «Pourquoi les politiques ont-ils aimé les bâtiments transparents ? Pour montrer que toute leur action était limpide et claire, même si ces opérations se révèlent souvent bien opaques. Les architectes sont toujours aussi professionnels mais ne travaillent pas dans la même logique productive puisque le but à atteindre n’est plus le même».
Et Naud et Poux de relever encore que «quand un bâtiment se doit aujourd’hui d’être un marqueur, environnemental et/ou social, etc. cela brouille l’objet même du travail de l’architecte». De l’effet Whaou !!!!!! de l’architecture. «Le projet doit créer l’effet de surprise ou l’effet objet de mode, lesquels sont forcément sortis du contexte. Nos clients ont besoin de vendre et il faut aux architectes se plier au ‘merchandising’. Ils nous demandent de refaire les images et on se demande ce qu’ils voient… L’impact est tel que les studios d’images sont devenus des incontournables des agences d’architecture. Mies van der Rohe aujourd’hui ne gagnerait pas un concours».
Cette rectitude se retrouve évidemment dans leur architecture. «Nous savions ce que nous ne voulions pas», disent-ils. Que reste-il ? Des bâtiments peu bavards, concis, sobres, bien construits, «quelque chose qui est posé, inscrit quelque part, calme».
Parisiens (presque) pur jus l’un et l’autre, leur travail s’inscrit sans tapage dans l’espace urbain sans en nier la diversité souvent brutale. Parlant de l’opération Cugnot, un immeuble de logements implanté le long d’une voie ferrée, Naud et Poux estiment ainsi «qu’il reste partout sur le territoire à réorganiser les mitoyennetés, à gérer les promiscuités, à prendre de nouvelles opportunités».
S’il faut en architecture une part de créativité, Naud et Poux font la part belle à la rationalité, la marque de ceux qui aiment fabriquer et construire. La restructuration lourde fut leur ticket d’entrée, à une époque où en effet, ce type de programme n’intéressait pas grand monde. «On peut faire de l’architecture contemporaine dans un bâtiment haussmannien et qui fonctionne», soutiennent-ils.
En témoigne peut-être l’immeuble du 55 rue d’Amsterdam dans le VIIIe à Paris. Il s’agit d’un bâtiment de 1929 qui connaît avec Naud et Poux sa deuxième restructuration lourde. «C’est la quintessence de ce que l’on sait faire dans ce domaine», disent-ils. Livré fin janvier 2017, l’ouvrage est tellement certifié qu’il indique ainsi la capacité de l’agence à se plier aux contraintes actuelles sans pour autant que Naud et Poux ne le cèdent en rien sur un projet selon eux «emblème de la résilience, de la mutation, du réemploi, d’une empreinte carbone maîtrisée».
Encore aujourd’hui, pour un porte-à-faux pertinent ou des réseaux «bien rangés», ils se décrivent presque sans rire comme des «techniciens de surface». Depuis ce projet rue de Surène, les projets, variés, se sont succédés. Succéder est le mot ici car ils tiennent à mener leurs projets jusqu’au bout et possèdent cette capacité rare à refuser des projets dont l’objectif même va à l’encontre de leurs valeurs. Ce n’est pas pour rien qu’ils citent Mies van der Rohe.
Mentionnons donc par exemple parmi leurs réalisations récentes la restructuration du 9 place Vendôme ou la construction neuve d’un EHPAD à Caen ou les logements de la rue Cugnot. Parlant du logement, «notre devoir est de faire habiter des gens dans un endroit agréable pour longtemps». Alors foin des canons de l’air du temps ?
Pas tout à fait évidemment et ici et là dans leurs projets d’aucuns peuvent discerner des notes contemporaines, des toits à deux pentes sur un bâtiment collectif, des décrochés de façade pour un autre. Mais il s’agit plus ici pour les bâtiments de Naud et Poux d’une capacité à se fondre dans le paysage qu’une mise sous influence, surtout si cette discrétion est au service de la qualité et du fonctionnement du projet. «Que les gens aient de vraies fenêtres ne justifie pas des gesticulations», disent-ils.
Ils ont démarré avec la maîtrise d’ouvrage privée avant d’accéder à la commande publique, aujourd’hui l’agence travaille à égalité avec l’une ou l’autre. Mais Naud et Poux de remarquer que, entre la construction d’une maison de retraite neuve à 9M€ et un projet d’architecture intérieure à 9M€, les temps de réalisation ne sont pas les mêmes, de loin.
Que faire encore pour que ce bâtiment ne soit pas démoli dans 60 ans au motif de désuétude ou de non efficience ? D’où leur projet Pari(s) 2072. Naud et Poux assument qu’en 2016, les recherches sur l’amélioration de l’enveloppe et les productions d’énergies renouvelables proposent désormais pour l’avenir des solutions intéressantes et suffisamment fiables. Et eux aussi comme d’autres, dans un souci d’évolutivité, optent quand ils le peuvent pour un système de poteau-poutre.
Puis anticiper qu’en 2030 les niveaux de parking ne seront peut-être plus utilisés en tant que tels. Prévoir alors la lumière et une bonne hauteur sous-plafond pour de futurs équipements polyvalents, supérette ou salle de gym par exemple. A terme, en 2072, un bâtiment conquis par la végétation. Pourquoi pas. Le projet Davout, livré en mars 2017 rue Davout à Paris se veut l’illustration de cette recherche.
L’agence, étonnamment coupée en trois, est blanche, sans rien sur les murs, ni projets, ni maquettes, ni photos. Preuve sans doute de leur approche extrêmement rigoureuse et de leur esprit critique. «Rares sont les projets qui trouvent grâce à mes yeux», explique Elisabeth, parlant des leurs. «C’est une douleur», dit-elle. La rigueur est le privilège des âmes sensibles. Luc est plus détaché et refuse plutôt, au travers des photos, la «mise en scène» des bâtiments.
Bref, on l’aura compris, leurs œuvres sont censées se suffirent à elles-mêmes. «La responsabilité de l’architecte est de réaliser ce qu’il a imaginé», disent-ils. Dont acte.
Christophe Leray