
La recherche de mixité fonctionnelle et programmatique a désormais le vent en poupe, qu’il s’agisse d’organiser l’autonomie des programmes, sans croisement ni rencontre, ou de les faire cohabiter. L’agence Badia-Berger, dans le cadre de l’îlot mixte de l’éco-quartier des Bords de Seine livré en 2015 à Issy-les-Moulineaux (92), propose une organisation qui offre à chaque programme une indépendance formelle tout en inscrivant l’ensemble du projet dans une démarche foncièrement urbaine. Visite.
En préambule, un mot de la parcelle. Entre les coteaux plantés isséens et la Seine, ce macro-lot est situé sur le site d’une ancienne usine d’incinération d’ordure, la déconstruction et dépollution du site ayant fait place nette. Savoir encore que, si près de la Seine, il a fallu plonger une paroi moulée jusqu’à 32 mètres de profondeur pour l’étanchéité du parking.
«On revendique une réponse nouvelle à chaque nouveau projet», indiquaient Marie-Hélène Badia et Didier Berger en 2007. La proposition demeure vraie. Pourtant, au travers de l’îlot mixte livré à l’automne 2015, il est permis de reconnaître des constantes. Ainsi en est-il par exemple d’une capacité à faire cohabiter sans heurts différents programmes, qu’il s’agisse de les faire vivre ensemble comme pour Visages du Monde à Cergy-le-Haut, ou ici de les faire élégamment s’éviter. Autre constante, la réaffirmation de «l’utilité sociale» de l’espace public. Enfin, notons encore le goût de ces architectes pour les cours de récréation. Au lycée Louise-Michel à Paris, elle était tout en haut de l’immeuble, ici, au rez-de-chaussée d’une maternelle, elle est ouverte sur la ville.

De fait, à Issy, tous les programmes semblent s’enrouler autour de cette cour : les circulations de l’école bien sûr mais également celles de tout le projet. En 2009, le défi du concours était intéressant, voire intriguant : un macro-lot, 169 logements sociaux, une école de 8 classes, des commerces, dont un supermarché de 1.000m², et un parking public et privé de 249 places.
Deux maîtres d’ouvrage – Seine Ouest Habitat et SEM 92 – ainsi que des partenaires liés par des VEFA (vente en état futur d’achèvement). Lors de tels projets, il n’est jamais acquis que les différents intervenants s’entendent toujours parfaitement bien pour ce qui est d’architecture et de rentabilité. En l’occurrence, Didier Berger, qui fait visiter l’opération un jour ensoleillé de décembre 2015, explique que les architectes ont pu maîtrisé la globalité du projet, le principal maître d’ouvrage, Seine Ouest Habitat ayant beaucoup œuvré pour facilité la cohésion de tous, aidé par la SEM 92. «André Santini [le maire d’Issy-les-Moulineaux depuis 1980] aime l’architecture et il dispose d’un service compétent», remarque-t-il.
Il est vrai que Santini a commencé, il y a plus de trente ans, par ‘haussmanniser’ son centre-ville quand Haussmann n’y avait jamais mis les pieds. N’empêche, la ville n’a cessé de se développer vers la Seine, le style architectural inhérent à chaque décade visible au fil de la descente du centre vers le fleuve aux berges aujourd’hui presque reconquises. De fait, après la livraison par Badia-Berger du dernier lot, le long du tramway, «l’éco-quartier des Bords de Seine» est aujourd’hui peu ou prou bouclé. André Santini, au-delà de ses engagements politiques, au-delà de ses participations à divers gouvernements, au-delà de quelques casseroles, a toujours porté un attachement marqué pour la ville, et pas seulement la sienne.* Pour le coup, Didier Berger souligne «la démarche foncièrement urbaine» du projet.

En premier lieu, les architectes ont donc situé l’école qui, en R+1, le long d’une nouvelle voie piétonne et orientée sud-ouest, laisse ainsi abondamment entrer la lumière vers le cœur de l’îlot. Et, en effet, en cet après-midi de décembre, la lumière envahit encore tous les lieux de l’école tandis que le soleil illumine toutes les façades des logements dont toutes les pièces de vie, reliées par des balcons filants, sont tournées vers ce cœur d’îlot chaleureux, les toits de l’école elle-même, au niveau de la dalle, devenant la cour verdoyante du projet.
En son cœur, la cour de la maternelle donc, autour de laquelle sont organisées les circulations différenciées des enfants selon leur âge. Les petits au rez-de-chaussée ont dans la cour et leur salle d’activité une vue sur la ville et la perspective du grand ouest et, de fait, de la rue d’aucuns voient les gamins. Les architectes se félicitent d’ailleurs qu’il ne lui fut pas imposé d’écran opaque, «un miracle». Les grands quant à eux, dans leur centre de documentation savamment imbriqué du côté Est entre commerces et logements– la lumière naturelle est parfaite pour cette salle -, ont pour vue la ville foisonnante, le quartier, le tramway, les commerces, les piétons, les immeubles. «Le rapport dedans-dehors est très souple, les enfants adorent ça», remarque l’architecte. Dès que le maître d’ouvrage et l’homme de l’art ne cèdent pas à la paranoïa, il est donc possible d’inscrire une maternelle dans un cadre urbain sans en faire un camp retranché.

C’est le même parti d’habiter en même temps la ville et le grand paysage qui a prévalu à la conception des logements. Une peau d’aluminium unifie l’extérieur de l’ensemble, semblant le protéger des agressions urbaines, et contraste avec l’intériorité verdoyante de l’îlot et la diversité étonnante des différents bâtiments. «La matière unitaire de la façade se découpe et s’ouvre pour découvrir des failles qui mettent en communication le monde intérieur de l’îlot, domestique, végétal et coloré avec celui plus retenu des espaces publics», écrivent Marie-Hélène Badia et Didier Berger. «La gradation des hauteurs des bâtiments offre des variations et des transparences propices à la fabrication d’un paysage urbain à la fois dynamique, ouvert et structuré», expliquent-ils.
Le budget, 37 M€HT pour le macro-lot, est un tout indissociable selon Didier Berger, qui veut dire par là que les budgets sont habituellement scindés par bâtiment. Là, les architectes ont pu en fait composer les différentes expressions bâties, visibles seulement de l’intérieur de la parcelle, de l’entrée de l’école et du tramway, en fonction du programme et non d’une affectation arbitraire des financements. C’est cette souplesse qui a permis la conception, sur la dalle à R+2, d’un espace animé et végétalisé que les habitants se sont vite appropriés.

Encore faut-il souligner que la visite a eu lieu en décembre et que, lorsque les plantes auront poussé tant sur les jardins des toits de l’école que sur la terrasse et les façades des bâtiments périphériques, que les températures se seront réchauffées pour apprécier l’extérieur, le ‘desk’ sera devenue bien plus qu’un lieu de croisement et de rencontre : un espace autrement plus sociable qu’une quelconque cage d’escalier dont les architectes, ayant réglé les difficultés d’imbrication issue de leur volonté de créer du lien entre tous les habitants, sont parvenus à se passer. «Ici l’idée du parcours prédomine. Il s’agissait de faire entrer les gens dans la parcelle avant qu’ils ne rejoignent leur logement», expliquent les architectes. L’intériorité de cet espace extérieur est en effet un sas bienvenu entre le brouhaha de la ville et l’intimité du logement.
Quelques logements ont des accès en coursives tandis que des maisons de villes, absolument indétectables de l’extérieur, viennent renforcer encore l’aspect de place commune et annoncer les futurs rapports de voisinage. Il a pourtant fallu pour cela défier les logiciels de calcul – le BET, pour la notation BBC, considérant l’ensemble comme un seul bâtiment – et convaincre les pompiers dont les exigences font parfois peu de cas des exigences du projet, comme ces escaliers qui doivent impérativement descendre jusqu’à la rue.

Au final, la quasi-totalité des logements sont traversants et bénéficient d’au moins deux orientations.
«Le logement est le reflet d’une société et dans la nôtre, il est perçu au travers d’une peau de chagrin. Nous essayons, au travers des contraintes, que ça respire encore», affirmait Didier Berger en 2007. D’évidence, l’intention demeure.
Christophe Leray
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*André Santini fut notamment président-fondateur puis président honoraire du Forum pour la gestion des villes et collectivités territoriales, il est coprésident puis président du Mouvement national des élus locaux (MNEL) depuis 2000, du réseau des villes internationales Global Cities Dialogue en 2001-2002. En 1988, il est vice-président, puis président délégué en 1996, de l’Association française du conseil des communes et régions d’Europe. (Wiki),