Le 20 octobre 2017 a eu lieu à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), près de Paris, une «PREMIERE MONDIALE». En effet, à cette date, BNP PARIBAS IMMOBILIER a annoncé fièrement la livraison d’une «résidence composée de logements communicants et connectés, contrôlables via l’application ‘Maison’ d’Apple». «Une résidence totalement inédite», insiste le communiqué de presse.
C’est marrant mais quand l’agence Lobjoy&Bouvier&Boisseau présente ce bâtiment, elle n’évoque pas un bâtiment connecté, encore moins une première mondiale. «Le volume autorisé par la règle urbaine a orienté le dessin de ce programme de 84 logements (accession libre et locatif social pour 30%) vers un bâtiment de 6 127 m² ouvert sur la rue et composé de gradins sur les jardins de cœur d’îlot. Le jeu de volumes dynamiques et asymétriques du bâtiment contraste avec son organisation nuancée, ménageant des ouvertures et des transparences ainsi qu’un dialogue avec les immeubles voisins et la voie nouvelle. Tous les logements au-dessus du T2 sont traversants ou doublement orientés». C’est on ne peut plus sobre. Pas un mot sur la connexion exceptionnelle. Les architectes ne seraient-ils pas au courant ?
Nonobstant de serrer encore plus fort les liens qui nous attachent déjà à ce géant hégémonique du numérique, dont le nom est répété avec insistance tout au long du communiqué de presse (CP), voyons donc ce qu’il en est de cette «PREMIERE MONDIALE».
Ce «bâtiment connecté» est tellement innovant que le CP qui le présente est accompagné de dessins pour expliquer aux mal-comprenants ce dont il s’agit. Sur le premier dessin, il est développé le scénario «Arrivée» dans cet appartement connecté, quand l’occupant du logement peut «lancer plusieurs actions personnalisées (sic) en parlant à son téléphone». En voilà un qui sait marcher et mâcher du chewing-gum en même temps !
Un joyeux petit bonhomme explique à son téléphone – «Dis Siri» – qu’il est rentré chez lui et là, comme par magie, sa chanson préférée retentit dans le logement tandis que la télé s’allume sur son programme préféré, que s’allument ses lumières tamisées préférées (parce qu’il avait oublié d’allumer ses lumières sur le chemin du retour) et que son frigidaire lui envoie un premier message pour lui dire qu’il n‘a plus de lait puis un autre pour préciser que d’ailleurs ce serait pas plus mal pour sa santé qu’il se passe de lait et puis, au fait, écouter la musique trop fort est mauvais pour l’ouïe alors Siri supprime la musique et la télé et bloque le frigidaire. «Siri, allume la télé». «Non, maître, j’ai constaté que tu t’endors devant la télé alors que du travail t’attend, tu as déjà reçu trois messages depuis ton départ de l’agence, tu peux les écouter via les interrupteurs de ton bureau». «Siri, allume la télé quoi merde». « ».
Bref, vu comme ça, le numérique est sans doute l’avenir de l’humanité. De fait, la présentation des investisseurs détaille les nombreuses fonctions de cette révolution technologique. Le scénario «Départ» éteint toutes les lumières, ferme les volets et active la «simulation de présence» (dans le temps, cela s’appelait une alarme). Encore mieux, le système permet de contrôler à distance ses éclairages et appareils électriques depuis son smartphone. «Même à l’extérieur, le résident voit dans quelle pièce de la maison la lumière est restée allumée», s’extasient les promoteurs. Super ! Mais, s’il voit de l’extérieur une pièce qui est restée allumée, c’est que le résident a raté son scénario départ ? Non ? Il reçoit alors une amende dématérialisée ?
Heureusement, le résident connecté peut «commander son installation par la voix» : «Dis Siri, éteins la lumière dans la chambre des enfants» ou «Dis Siri, allume le chauffage». Du coup, il appelle du bureau : «dis Siri, pourquoi la lumière de la chambre du petit est encore allumée ?» «Parce que la chaleur dégagée par la lampe, ajoutée à celle du soleil à travers la vitre, m’a permis d’économiser 0,1° dans la chambre inoccupée du petit». «Mais Siri, merde, le chauffage c’est du fuel qui coûte pas cher, la lampe c’est de l’électricité nucléaire qui commence à coûter les yeux de la tête, quoi merde, t’es sot ou quoi ?» «Siri ? Allo Siri ?». « ».
Tout cela est sans doute très bien mais, pour une «PREMIERE MONDIALE», l’impression demeure de la resucée d’une pub à peine améliorée des années 50 pour la domotique ou une scène de film de série Z quand le bel agent américain impressionne la belle agent secrète russe en éclairant son paddock avec un claquement de doigts. On n’est pas loin de Tati et Mon oncle.
C’était déjà la même chose la première fois qu’un ‘résident’ a pu ouvrir sa porte de garage d’un clic sans sortir de sa voiture. Ca date de … heu… les années 50. Si toutes les portes de garages s’ouvrent d’un clic, c’est que presque tout le monde a une voiture et que c’est quand même plus confortable que de le faire à la main. Et comme tout le monde a un ‘IPhone’, autant c’est vrai l’utiliser pour ouvrir la porte du garage. «Ainsi, nous offrons à nos acquéreurs une palette de solutions évolutives, intuitives et utiles au quotidien», explique Olivier Bokobza, directeur Général du pôle Résidentiel de BNP Paribas Immobilier.
Sauf que si cette «PREMIERE MONDIALE» ne sert qu’à permettre d’allumer la télé et la lumière, ou à peine plus, quel intérêt vraiment ? Ha si, l’immeuble connecté permet d’être «alerté en cas de fonctionnement anormal de ses appareils électriques par des notifications déjà paramétrées. Le résident est notifié si son congélateur ne consomme plus d’électricité», indique doctement le CP. C’est vrai qu’il y a urgence. «Siri, quoi merde, je t’ai déjà dit de ne pas faire d’économie d’électricité sur le congélateur en mon absence !»
Je me moque mais admettons qu’une gestion plus fine des consommations d’énergie permette des économies. Le CP indique 300 € par ménage et par an. A l’échelle de la France, ce ne serait pas rien, les petits ruisseaux qui font les grandes rivières, etc. Pourquoi pas ! Admettons mais nous en reparlerons dans dix ans.
Certes le risque ne peut être exclu que le système se fasse hacker. Nul ne voit qui pourrait bien vouloir hacker monsieur et madame Michu dans leur appartement 48C du quatrième étage mais il ne faut pas sous-estimer la malveillance d’un voisin, d’un propriétaire, d’un locataire, d’un parent. C’est un fait, même les voitures autonomes ont été hackées, alors un logement connecté pas autonome… «Siri, ouvre la porte de chez moi». « ». «Siri, quoi merde, ouvre cette foutue porte». « ».
«Allo le serrurier, je ne peux pas rentrer chez moi, Siri ne répond plus». «Désolé, je n’y peux rien. Appelez le service support d’Apple». «Allo Apple (numéro surtaxé au Bloomberghistan)?» «bip… bip… Please be patient, we’ll take care of you, one day».
Plus sérieusement, il y a de vraies questions de sécurité quant à l’usage de ces mega-données dont raffolent les industriels et dont il paraît qu’elles seront ‘a.no.ny.mi.sées’. Voyez l’insistance avec laquelle le gouvernement et EDF imposent le fameux Linky. Et si Monsieur et Madame Michu préfèrent leur maison à 22° en plein hiver pour y marcher pieds nus, Siri envoie la police ? Un retard de paiement et hop, plus rien ne fonctionne ?
Surtout, à communiquer de cette façon, cela démontre à quel point ces investisseurs et industriels passent à côté des enjeux d’un bâtiment connecté. Au fond c’est ça qui est le plus effrayant.
Lors du symposium de La Fabrique de la Cité* à Lyon en juillet 2017, l’architecte Eric Cassar (Arkhenspaces) avait donné une conférence sur le thème ‘Ce que le numérique dit de la complexité de la ville’. Il avait expliqué comment le numérique pouvait donner le sentiment de vivre dans un grand espace. Partant du principe que la surface privée et la surface d’usage ne sont pas les mêmes, il proposait de réduire la sphère intime permanente tout en déployant des espaces partagés : six logements en deviennent sept avec 120m² d’espace de partage. Dit autrement, une douche pour chacun, un spa pour tout le monde. «Au-delà de la dimension de la sphère d’intimité, la gestion numérique permet de savoir, quand on accepte de le communiquer, qui fait quoi à quel moment dans la sphère partagée et aide à organiser efficacement le partage tous ensemble ou les uns après les autres», dit-il. Qui plus est, mieux partager les espaces, c’est déjà de la régulation énergétique.
«Si cette transformation ouvre des possibles, elle demande aussi de modifier notre appréhension des espaces. Elle entraînera le passage d’une conception architecturale uniformisée de type monofonctionnelle, avec souvent la multiplication de modules aux propriétés identiques (par exemple les logements), à une conception beaucoup plus diversifiée», précisait-il dans une tribune publiée par Le Monde en octobre 2017.
L’homme de l’art décrit des espaces partagés les plus ouverts possible, parle de la mise en relation de voisins avec des intérêts communs, explique vouloir mettre l’énergie au bon endroit au bon moment pour le bon usage – «dans un bâtiment passif, il fait 21° partout, le numérique permet de faire des bâtiments actifs qui s’adaptent aux besoins et améliorent une gestion dynamique des flux et des ressources, notamment l’énergie» – et s’il souligne la densité nécessaire, il envisage d’offrir «le sentiment de vivre dans 1 000m²».
Surtout, plutôt que la séparation sociale et le chacun chez soi suggéré par les investisseurs de cette «PREMIERE MONDIALE», Eric Cassar propose une nouvelle vision de l’espace et du confort rendue possible par le numérique. «Si cinq personnes ont chacune une voiture, ils auront chacun une voiture similaire ; en revanche, ils pourraient ensemble avoir quatre voitures : une petite, une moyenne, une très grande et une voiture de sport. Idem pour le logement», souligne-t-il.
«L’humain doit demeurer au cœur du numérique», confie Eric Cassar, pas dupe cependant en ce qu’il entrevoit parfaitement la complexité juridique de l’économie du partage ainsi que les problèmes de gestion et d’entretien des espaces partagés. Autorégulation ? Contrôle systématique ? Anonymat ou contrôle social ? «Il ne faut pas sous-estimer les aspects politiques de ces logiques d’optimisation», conclut-il. Au moins il y réfléchit.
C’est de ces enjeux dont nous aurions souhaité que ces gros investisseurs de ‘bâtiments connectés’ se saisissent pour leur «PREMIERE MONDIALE».
«Dis Siri, l’ascenseur est encore bloqué». «Prends l’escalier».
Christophe Leray
* La Fabrique de la Cité est un ‘think tank’ dédié à la prospective et aux innovations urbaines. Créée par le groupe VINCI, son mécène, en 2010, La Fabrique de la Cité est un fonds de dotation, dédié de ce fait à la réalisation d’une mission d’intérêt général. L’ensemble de ses travaux est public et disponible sur son site.