Que dit-on de nos projets ? Au-delà de la spatialité photographiée sur papier glacé, qu’y a-t-il d’intéressant dans les récits de projets « ordinaires » ? Je vais raconter aujourd’hui ce que ne dit pas le ‘presskit’. Soit le portrait et l’histoire d’un projet nommé Adriana, une des réalisations de Constellations Studio et de la jeune architecte : la rénovation d’un petit appartement parisien.
Je suis dans le métro parisien, mon téléphone sonne. À l’autre bout du fil, un accent un peu hésitant me dit avoir eu mon contact par une connaissance commune. Je comprends tant bien que mal que cette voix féminine m’appelle pour la rénovation d’un bien. Ce n’est pas le lieu d’en discuter, d’ailleurs nous parvenons juste à nous comprendre assez pour convenir de nous rappeler dans de meilleures conditions. C’est mon tout premier contact avec Adriana.
Adriana est Espagnole, ce qui tombe bien puisque je parle la langue. Elle m’explique posséder un appartement parisien, hérité de sa famille et inhabité depuis un moment. Elle souhaite le réhabiliter pour disposer d’un pied-à-terre dans la capitale qui fasse œuvre de logement et de showroom pour sa marque de prêt-à-porter, CUS. Il s’agit de beaux produits. Couleurs, matières, formes… Un projet inspirant.
Nous ne prenons quasiment plus de projets d’appartement à l’agence car la vocation de Constellations Studio n’est pas d’enchaîner les « petits » projets mais le ‘feeling’ passe très bien, Adriana semble désirer faire les choses élégamment et de façon originale : un pied-à-terre pour l’accueillir avec ses fils qui puisse se transformer en showroom durant la fashion-week.
Nous convenons que je me déplace sur place, pour découvrir le lieu, mais sans elle ! « Je ne veux pas venir si ce n’est pas nécessaire », explique-t-elle. « Tout ce qu’il y a dans l’appartement, je ne veux rien revoir, vous direz à l’entreprise de tout vider ». C’est une initiative rare mais nous l’avons assurée que tout serait fait selon ses vœux.
C’est impressionnant de découvrir cet appartement rempli d’affaires en tout genre : tableaux, lit, sacs, lampes, couverts, assiettes, etc. dont de belles choses. Nous ferons venir des associations pour récupérer les objets ayant de la valeur. Nous comprenons alors le besoin personnel et profond pour Adriana de faire table rase. C’était pour elle le meilleur moyen de s’approprier ce lieu, qu’il se transforme totalement et radicalement pour devenir sien.
C’est ce qui a emporté notre conviction d’accepter cette collaboration et d’accompagner Adriana dans son projet, qu’il n’appartienne qu’à elle.
Le lieu est intéressant, situé rue Saint-Honoré avec une sublime vue sur l’enceinte du musée du Louvre. Pour autant il est sombre et étriqué, écrasant sous le poids de ses poutres en bois au vernis noirci et craquelé. Les murs pas droits déséquilibrent la vision de l’ensemble. In fine donc, un petit joyau plein de charme mais enseveli sous l’histoire.
Le contrat signé, commence le projet : un programme long comme le bras à faire rentrer dans un espace de 32 m². Deux chambres, une salle de bains, une cuisine, un dressing, un showroom, une belle pièce à vivre, etc. Notre parti pris : libérer la partie proche des fenêtres pour apporter de la lumière, minimiser les angles, accompagner le regard vers l’extérieur et à partir de là moduler l’espace pour qu’il demeure fluide pour ses multiples usages.
Notre processus sur tous les projets à l’agence est de débuter en faisant trois ou quatre propositions en APS, toutes toujours très différentes. Le but de cette méthodologie : tester, faire parler, confronter le client à ce qu’il ne sait pas encore qu’il aime ou n’aime pas.
Nous proposons plein de choses : des boîtes sur roulettes, des rideaux qui se déplient, d’autres options plus sages. Puis en APD, nous finissons par dessiner une grande diagonale qui restera le projet final. Une ligne habitée drastique et forte, représentant la plus grande longueur du petit appartement et guidant le regard depuis la porte d’entrée jusqu’au Louvre de l’autre côté de la rue.*
Le projet et sa réalisation se passent très bien, avec son lot d’aventures. Adriana et nous étions convenus par exemple de faire chacune des pièces de l’appartement intégralement monochrome, ce qui semblait une très belle idée mais cela uniquement jusqu’à… la salle de bains ! Je mets quiconque au défi de trouver une plaque de déclenchement pour les toilettes de couleur taupe…
Par ailleurs nous voulions valoriser les matières naturelles et vivantes dans tout l’appartement et avions notamment proposé un sol à base d’argile avec un effet béton ciré. De fil en aiguille, j’ai compris que l’entreprise préférait mettre en œuvre un vrai béton ciré, puis celle-ci nous a dit d’aller choisir les couleurs type chez Mercadier (marque de béton ciré classique) « uniquement pour le RAL », et puis HOP un jour le sol était coulé en avance et aucun pot ne traînait sur le chantier. Je suis donc persuadée que l’entreprise nous fait croire que nous avons mis en œuvre un sol en argile et chaux, mais qu’elle a tout simplement coulé un beau béton ciré en réussissant à nous le cacher ! Bon on ne peut pas y faire grand-chose…
Pendant trois mois nous avons Adriana, l’entreprise et nous enchaîné les réunions dans un petit café en bas de l’immeuble puis nous montions. C’est l’un de ces chantiers qui se passent bien, tous les problèmes rencontrés trouvent leur solution : les trois parties nécessaires à la réalisation du projet travaillaient ici réellement ensemble. Une photo d’équipe prise les derniers jours témoigne de ce collectif complémentaire.
Même si ce n’est pas le cas ici, les projets particuliers sont rarement parfaits et le plus souvent peu rémunérateurs et chronophages. Mais Adriana nous dira un jour un peu émue : « merci vous êtes des magiciens ». Non juste architectes et entrepreneur. Mais cela n’enlève rien au bonheur de faire de jolies choses.
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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* Lire la présentation À Paris, Projet Adriana par Contellations Studio