Ethel Hazel, jeune et élégante psychiatre installée rue Labrouste à Paris a vu sa vie tourneboulée lorsqu’elle fut brièvement emmenée en garde à vue, la police voulant vérifier ses relations avec l’un de ses patients, un architecte de l’agence Dupont&Dubois Architectes Associés, soupçonné d’enlèvement et de tentative de meurtre.
«On dit souvent ‘qu’il faut sauver les apparences’. Moi je dis qu’il faut les assassiner car c’est le seul moyen d’être sauvé». Frédéric Beigbeder
La thérapeute se posait déjà des questions à propos de ce client particulier – mais les architectes ne le sont-ils pas tous ? – et elle ne fut qu’à moitié surprise de se retrouver au poste. Certes, cela secoue quand on n’a pas l’habitude mais, aujourd’hui que la vie normale a repris son cours, elle garde de l’expérience un mélange de honte et d’euphorie avec, toujours, la même question lancinante : d’où l’inspecteur Nut tenait-il ses infos si précises ?
Mais là, elle ressent une impatience nouvelle (une excitation, oui elle doit bien l’admettre), parce que l’architecte a renoué contact avec elle il y a peu et rendez-vous a été pris.
Ding-Dong. La sonnette «casse-noisette» retentit et Ethel Hazel jette un dernier coup d’œil à ses escarpins d’arrière-saison qu’elle vient de s’offrir et va ouvrir.
Ethel Hazel – Bonjour Monsieur Dubois (il est toujours aussi débraillé). Heureuse de vous revoir. Installez-vous, je vous en prie. Comment allez-vous ?
L’architecte – Bonjour Docteur. Je vais bien, disons. Je suis également ravi de vous retrouver, vraiment ravi en vérité.
E.H. – Merci.
L’architecte – (qui retrouve sa position préférée avec le même sentiment de satisfaction que de retrouver un chien fidèle, mais prudent quand même) Ne m’en veuillez pas d’avoir soudain disparu mais des évènements extérieurs bien éprouvants m’ont tenu éloigné ces derniers mois.
E.H. – (Ne sachant que trop bien à quoi avait été confronté son patient ces dernières semaines, mais prudente quand même) – Souhaitez-vous en parler ?
L’architecte – (avec une pointe d’amertume) Je suis là pour ça, non ? Cet inspecteur épouvantable m’a dit vous avoir consultée – non, consulter n’est pas le bon mot -, il m’a dit avoir échangé avec vous. Alors autant crever l’abcès tout de suite, je vous le dis droit dans le blanc des yeux : Docteur, je suis innocent, et ce dans toutes les langues de l’ONU, et même dans les autres. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point j’ai pu être ennuyé que vous ayez été mêlée à cette affaire.
E.H. (Et elle qui craignait qu’il ne lui en veuille… Elle en sourit d’aise, ce que l’architecte prit pour une absolution. Bien que ce petit voyage au pays des dealers et autres meurtriers en série ait revu légèrement son snobisme à la baisse, rien que ce souvenir lui rappelle à quel point elle avait détesté l’architecte ce jour d’hiver quand elle fut poliment mais fermement conduite au commissariat. Elle avait vécu l’intrusion des policiers à son cabinet comme une violation de son domicile) – Ce n’est rien (dit-elle d’un ton plus sec qu’elle ne l’aurait voulu). Poursuivez.
L’architecte (le ton de la psy avait toujours été sec mais là, même le Sahara offrirait au moins la perspective de croiser une oasis, un jour. Il se demanda alors s’il avait bien fait de revenir. Selon son ami Emmanuel P., qui va bientôt fêter ses noces de satin avec le sien, il est toujours bon de poursuivre avec un même thérapeute. De toute façon, il voulait la revoir) – Les poulagas ont déboulé un matin à l’agence, en escadrille comme dirait l’autre. Ils étaient une douzaine à fouiller mon bureau… Tout ça parce qu’un type à peine blessé leur a raconté que j’avais voulu l’écrabouiller à un feu rouge ? Puis mes collaborateurs sont arrivés… Puis Madeleine !
E.H. (se souvenant quand même que, le jour de son arrestation, il n’était pas seulement question d’un malheureux accident de la circulation entre deux hommes mal dégrossis mais aussi, et surtout, de la disparition inquiétante d’une vieille aristocrate des beaux quartiers, entre autres disparitions inquiétantes. De quoi parle donc l’architecte ?) – Comment votre épouse a-t-elle réagi ?
L’architecte – Ce fut un drame mais très court, le temps de me voir engouffré dans une voiture et de rejoindre toutes sirènes hurlantes la maison parapluie. Arrivé là, on m’a signifié ma mise en garde à vue, retiré ma ceinture et mes lacets. Quand j’ai appris le nom de l’inspecteur chargé de l’enquête, Nutello, oui comme Nutella, j’ai même cru une seconde que j’étais dans un film, une caméra cachée, et que tout le monde allait soudain sourire et applaudir en criant ‘Surprise’. Imaginez dans quel état j’étais. Pas fier, sacrément merdeux même.
E.H. (selon elle, l’inspecteur Nut était d’une distinction sans pareille, surtout dans l’antenne de police du 6e arrondissement. Elle avait découvert un homme de goût et de valeurs) – Vous reconnaissez avoir légèrement dépassé les bornes ?
L’architecte (haussant un peu le ton) – Au feu rouge ? Ah non ! Jusqu’à mon procès, au moins, je suis innocent ! On est en France ! J’ai la République pour moi ! Le mec va devoir prouver ses dires, après quoi, il faudra qu’il paie le bougre, enfin son assurance ! Parce qu’avec tout le merdier qu’il a mis dans ma jolie petite vie toute bien rangée… Pour vous répondre Docteur, en une matinée, j’ai perdu ma dignité, ma femme, mon agence, mon travail, ma réputation… et oui, ma vaillante épouse m’a quittée. Et c’est moi qui dépasse les bornes ?
E.H. (la psychiatre le sait, la notion de justice et d’innocence est toute relative) – Elle vous quitte alors que vous êtes encore innocent ?
L’architecte – Docteur, vous savez bien qu’une femme peut tout supporter, tout ! Mes crises de nerfs, mes insomnies, mes colères, mon ventre, même les infidélités que j’ai crus bien cacher. Mais elle ne supportera jamais l’humiliation publique… (il soupire). Vous savez, dans ma vie, j’ai pu faire preuve de beaucoup d’ambition, Mais douze policiers farfouillant dans les tiroirs à plans de l’agence et les rouleaux de calque, embarquant mon ordi perso, et le sien, c’était trop pour ma petite femme si élégante et raffinée, surtout quand ils lui ont demandé son mot de passe. (L’architecte eut un petit rire bref, ayant compris plus tard pourquoi elle tenait tant à protéger ses mails…) Comment lui en vouloir ? Elle avait signé avec un architecte, pas avec un gangster en carton plume ! Il n’en fallait pas plus pour qu’elle se fasse la malle, avec un peu trop d’empressement d’ailleurs si je puis me permettre.
E.H. – Vous ne semblez pas trop mal le prendre…
L’architecte (secouant vigoureusement la tête) – Ces derniers mois, dont quelques semaines particulièrement inconfortables, j’ai eu le temps de réfléchir, beaucoup. Et puis j’ai compris : Madeleine savait.
E.H. – Que savait-elle ?
L’architecte – Madeleine avait compris que je voyais quelqu’un.
E.H. – Géraldine ?
L’architecte – Oui même si je crois qu’elle ne connaissait pas son nom.
E.H. – Au fait, avez-vous des nouvelles de Géraldine ?
L’architecte (surpris) – Non aucune. C’est marrant que vous en parliez car l’inspecteur m’a longuement questionné à son sujet. Je lui ai dit ce que je savais, comme à vous, et j’avais d’ailleurs l’impression que Docteur Nut – c’est comme ça qu’ils l’appellent ses collègues – connaissait déjà l’histoire. Pour le coup, je m’en veux d’avoir tant rabroué Géraldine la dernière fois qu’on s’est vu, d’autant que je suis aujourd’hui quasi célibataire, que la procédure de divorce est lancée et que je ne serais pas malheureux de la revoir.
E.H. – Et cela vous fait de la peine de divorcer ?
L’architecte – Emotionnellement, nous étions au bout de l’histoire de toute façon. Non, ce qui m’inquiète c’est le divorce de Dupont&Dubois Architectes Associés. Nous ne sommes qu’aux prémices de la séparation et j’entrevois toutes les difficultés à venir. Je suis revenu à l’agence, il le fallait bien. L’ambiance est détestable, et j’ai beau affirmer être étranger à ce dont on m’accuse, ce dont je ne suis même pas sûr, je passe pour celui qui a cassé la dynamique de l’agence et bousillé sa réputation. Mais il reste des études à poursuivre, des chantiers à terminer et, à ce jour, l’agence a encore besoin de moi, mais je crains les tergiversations.
E.H. – Vous n’êtes donc pas convenus d’un accord à l’amiable, entre gens intelligents et cultivés ?
L’architecte – Si, bien sûr, c’est ce dont nous sommes convenus lors de notre dernière conversation, pour l’agence, pour les enfants, etc. J’étais confiant après tant d’années de vie commune. Puis j’ai reçu un courrier de son avocat. Certes elle demandait le divorce mais plus précisément exigeait de conserver la gérance unilatérale de l’agence et la propriété de nos œuvres communes. Je crois qu’elle rêve un peu ma mignonne ! De toute façon, c’est bien connu, les architectes se détestent entre eux hahaha (rire triste).
E.H. – Rêve-t-elle vraiment ?
L’architecte – C’est pourquoi je voulais vous revoir. J’en ai gros sur la patate pour l’agence et l’idée même de la couper en tranches me répugne. J’envisage hélas un processus long, destructeur et cruel.
E.H. (qui sursaute à ces évocations macabres mais se reprend immédiatement : je suis psychiatre, pas avocate ou procureur. Passant du coq à l’âne) – Avez-vous eu quelques nouvelles de votre voisine portée disparue ?
L’architecte – Ha oui, et il y a ça encore…
DRINNNN, DRINNNN
Le temps imparti pour la séance est arrivé à son terme
L’architecte – Je peux payer avec la carte n’est-ce pas ?
E.H. (surprise car il avait toujours payé cash ses séances) – Bien sûr !
L’architecte (qui a remarqué sa surprise) – En vous payant en cash, je croyais rester discret car je ne voulais pas que l’on sache que je voyais un psy, pour qu’on ne se fasse pas de mauvaises idées et je ne voulais pas de traces. Avec l’inspecteur Nut, j’ai compris la vacuité de ma ruse. Alors autant vous payer par carte.
E.H. – Comme vous voulez. (Puis le raccompagnant à la porte) – A bientôt Monsieur Dubois, faites attention sur la route !
L’architecte parti, Ethel Hazel se cale bien au fond de son fauteuil et soupire un grand coup. Elle sait que reprendre les séances avec l’architecte comporte des risques. Doit-elle prévenir l’inspecteur ? Ce serait l’occasion de le revoir. Nut a-t-il raison de persister à suspecter Dubois malgré le manque de preuve à son encontre ? Elle décide finalement de ne rien lui dire, pour l’instant, ne serait-ce que pour protéger ses échanges avec son patient. Ce qui n’empêche pas de le revoir, se dit-elle. Surtout, contribuer à l’enquête de son côté a quelque chose de terriblement excitant. Et si c’est elle qui découvrait le mystère ? Elle se voit bien en Emma Peel, surtout les bottes !
Dr. Nut (d’après les notes d’Ethel Hazel)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 1.