Chacun est évidemment enchanté de savoir qu’une part du coût de l’investissement des ouvrages publics est liée à l’application de la RE2020 sur les bungalows de chantier ! Et pas qu’un peu !
À l’heure où l’Assemblée nationale court après les recherches d’économies et le gaspillage d’argent public, et où d’aucuns s’interrogent sur la raison pour laquelle le coût de construction du m² est plus cher en France que chez nos voisins, peut-être serait-il bon de croiser les mille-feuilles de nos réglementations pour trouver des filons d’économies substantielles sans rien remettre en cause de notre activité mais au contraire la soutenir et sans non plus intenter au développement durable.
Depuis le 1er juillet 2023 s’applique à toute construction temporaire la RE2020. Une construction temporaire a été définie par le législateur, toujours bien au fait de ce dont il débat, comme une construction ayant une durée de vie de moins deux ans… Autrement dit a peu prêt toute construction temporaire autre que les cabanes de fêtes foraines. Cela impacte donc directement toutes les installations de chantier et les constructions d’établissements, généralement publics, permettant de rénover, réhabiliter ou reconstruire le dit équipement.
Comme « en même temps » le même législateur, drapé de sa vision vertueuse, met en place la loi ZAN (Zéro Artificialisation Nette) ayant pour objectif de reconstruire la ville sur la ville et d’éviter l’artificialisation des terres agricoles, il incite donc directement à l’usage en masse de bâtiments provisoires.
Voilà comment en deux lois bien coordonnées, le coût de construction pour une collectivité vient d’exploser.
En effet, construire un groupe scolaire, un collège ou un lycée en moins de 24 mois est une gageure, surtout lorsque cette reconstruction doit se faire sur place pour éviter d’imperméabiliser une parcelle plus loin. En tout état de cause, l’établissement provisoire qui n’en est pas un au regard du législateur si le chantier dure plus de 24 mois doit de toute façon répondre à la RE2020. Cela n’a l’air de rien mais rentre un bungalow conforme à la RE2020, c’est multiplier son prix par deux ou trois. Et quand un établissement provisoire, scolaire par exemple, pouvait coûter 1,50 M€ avant la loi, c’est maintenant un ticket entre 4,5 et 5 M€ que doit payer le contribuable ! Et personne ne pourra croire que le delta sera amorti en deux ou trois ans de chauffage économisé !
Bien sûr, toutes les opérations n’ont pas recours à une installation provisoire, en revanche tout chantier y a lui recours pour ses cantonnements dont, là aussi, le législateur a défini la taille en fonction de l’ampleur du chantier et du nombre de compagnons, cantonnements eux aussi soumis à la RE2020.
Bien sûr, le législateur très au fait de l’économie de marché a du faire le calcul que la concurrence étant ce qu’elle est, les entreprises ne répercuteraient pas ce surcoût… Là encore, c’est bien connaître le milieu de la construction et son très haut niveau de rentabilité pour imaginer que les entreprises pourraient rogner sur leurs marges pour absorber le surcoût lié à la vertu parlementaire. Le fait est que, in fine, le surcoût de la RE2020 appliqué au bungalow de chantier se retrouve directement dans le coût de construction du m² ! Et, de la collectivité publique à l’acquéreur à prix d’or d’un m² d’appartement, chacun est enchanté de savoir qu’une part du coût de son investissement est liée à l’application de la RE2020 sur les bungalows de chantier ! M’est avis que les payeurs non-conseilleurs auraient sûrement préféré que cet argent soit investi dans la qualité de finition du bâtiment ou dans une réduction du prix du m² !
Mais la sauvegarde de la planète vaut bien un petit effort financier, n’est-ce pas ?
Seulement voilà : quel bilan carbone du surplus de matière à mettre en œuvre pour rendre un bâtiment provisoire thermiquement performant, dont une grande partie sera jetée, ou nécessitera une nouvelle charge d’énergie pour être revalorisé ou recyclé ? Il n’est pas du tout certain là encore que la nature soit la grande gagnante de nos lois vertueuses !
D’autant que pour toute personne ayant déjà fréquenté un chantier, les bungalows ne sont pas des lieux où l’on passe du temps, le personnel de chantier va et vient sans arrêt, et, hiver comme été… le plus grand inconfort reste d’être sur le chantier soumis aux intempéries… À quand la bulle de protection climatique imposée sur les chantiers pour que les compagnons travaillent dans un climat tempéré en toute saison ?
Ne serait-ce qu’au nombre d’établissement d’enseignement à réhabiliter ou reconstruire dans le pays, la manne financière destinée à être purement et simplement jetée par les fenêtres de ces locaux provisoires a de quoi laisser perplexe et, dans bien des cas, inciter des collectivités à renoncer purement et simplement à la rénovation ou à la reconstruction de leurs équipements et préférer subir annuellement le coût des consommations d’énergies de leurs équipements vétuste plutôt que d’engager un effort d’investissement important dont une bonne partie sera en pure perte.
Il est quand même légitime de s’interroger sur cette absolue volonté de nous faire vivre dans une ambiance en tous points régulée et tempérée comme si le corps humain était devenu à ce point incapable de supporter un quelconque inconfort durant une période donnée.
Rien que l’Éducation nationale compte près de 59 000 établissements dont un grand nombre doit être rénové, réhabilité ou reconstruit. Nul besoin d’être un grand économiste pour comprendre que, par la simple mise en œuvre de deux lois au nom d’une prétendue vertu écologique, l’État en réalité ne fait que simplement creuser un peu plus le déficit des collectivités, et enrichir quelques industriels qui n’en demandaient pas tant.
Alors avant d’imaginer quelques impôts ou taxes supplémentaires, ou de renoncer à des investissements qui nécessairement vont réduire l’activité du pays et générer des pertes de revenus pour l’État, peut-être serait-il bon de réviser quelques-unes des lois de ces dernières années ayant toutes apporté leur lot de visions vertueuses écologiques afin d’en évaluer la performance au regard du surcoût qu’elles entraînent dans leur application. Il y a fort à parier que quelques abrogations suffiront à elles seules à faire moult économies tout en relançant le marché de la construction.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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