Mardi 15 janvier 2019, Anne Hidalgo, maire de la capitale, présentait au Pavillon de l’Arsenal la nouvelle collection 2019 «Réinventer Paris 2», sous-titrée avec «une élégance disruptive» toute parisienne «les dessous de Paris». Sous les commandements d’Aubade, entre nouvelles tendances et renouveaux programmatiques, les élus réinventèrent surtout la séduction avec les Parisiens.
Leçon n°1 : lui donner un peu d’ivresse*
Depuis 2014, le concours lancé par la Ville de Paris a été l’occasion de nombreuses collab’ comme disent les ‘modeux’. Collaborations en bord de Seine, dans la Métropole et puis dans 40 des plus grandes villes du monde. De quoi asseoir un marketing bien rodé que n’aurait pas renié Pierre Berger à propos de sa muse. De quoi aussi exciter un peu le monde bien trop rangé de l’immobilier, à coups de prospectives et de gros sous.
Comme la mode voit se succéder tout au long de l’année des centaines de défilés tous plus majestueux les uns que les autres, le Pavillon de l’Arsenal organisera donc tous les deux ans la présentation d’une nouvelle collection de réinventions, fidèle à l’ADN de la maison parisienne. 2019 aura-t-elle été une bonne année ?
Leçon n°27 : créer une zone de turbulences
En tant que créateurs du show, Anne Hidalgo et Jean-Louis Missika dévoilaient à cette occasion le renouveau de la Maison Lobeau, avec la fierté du couturier qui rejoint la mariée à la fin du défilé. Au moins, les leçons de la première édition, dont les résultats avaient déchaîné les passions et créé un scandale que Jean-Paul Gaultier aurait adoré assumer, ont été retenues.
Après la végétalisation, la durabilité et la mixité sociale sur des sites parfois extraordinaires, les dessous de Paris, moins affriolants au premier abord, se sont offerts à des thématiques plus recherchées, sans pour autant pousser le béton de chanvre derrière les balconnets.
Leçon n°48 : éclairer son humeur ténébreuse
Cette année, restructuration oblige, il fallait en partie offrir une nouvelle garde-robe à des sites plus ou moins oubliés. Et un modèle économique ficelé comme un bustier couture. L’adjoint à l’urbanisme de la Ville le répète à tour de bras depuis des mois. «A Paris, la restructuration doit désormais être la norme, quand la démolition reconstruction fera alors figure d’exception».
Les 31 sites soumis aux imaginaires créatifs et programmatiques des équipes étaient donc tous logés à la même enseigne : faire dans le raffinement brut, mettre des clous sur ce qu’on espérait être du cachemire 10 fils. Onze sites n’ont d’ailleurs pas encore trouvé preneurs, un signe que tout n’est pas si rose et que la Maison Lobeau ne parvient pas toujours à imprimer sa marque.
Leçon n°63 : lui décrocher la lune
Les jeux olympiques approchant, la thématique sportive aura été le sujet branché du jour. D’ici quelques années, les dessous prendront de la hauteur avec plusieurs murs d’escalades dont un sous le métro de la ligne 6. Après le mur d’escalade estival du Pavillon de l’Arsenal, il semblerait que d’aucuns apprécient davantage le 7ème ciel que le 6ème dessous.
Le sport encore aura la cote pour un programme très sérieux également sur le site la Marseillaise, puisque Baumschlager Erbele aura la lourde tâche d’installer un hôtel des sports entièrement dédié aux handisports. Autrement dit, comment rendre sexy un programme entièrement réservé aux personnes en situation de handicap et rendre un îlot de ville entièrement adaptable. Comme quoi, dans ces concours, l’idée peut aussi parfois germer sans verdure mais avec humanisme.
Leçon n°62 : éveiller son 6ème sens
Les programmes tournaient pour beaucoup autour de la bonne chair, halles de marché alimentaires (il est vrai que Paris, et ses plus de 80 marchés alimentaires hebdomadaires dont huit pour le seul XVIe arrondissement, était en manque), cave de vinification aquatique (réservoirs de Passy). Là aussi, un des lauréats mérite d’être cité. Rue Saint-Blaise, l’effort s’est tourné sur un hôtel à insectes, avec cours de cuisine en prime. Ces petites bêtes sont, dit-on, l’avenir de l’humanité : bourrées de protéines, elles font moins grossir qu’une pomme !
D’aucuns noteront donc que la programmation proposée ne révolutionnera pas l’art délicat de la séduction en période de troubles politiques
Leçon n°49 : Prolonger la magie du premier regard
Assister à un défilé de mode, c’est être assis inconfortablement en ‘front-row’ et observer attentivement toutes les têtes devant et derrière soi. Au Pavillon de l’Arsenal ce soir-là, il y avait sur le podium les éternels habitués des bonnes places – Emerige, la Compagnie de Phalsbourg, Quartus, etc. comme porteurs de projet – challengés pourtant, et là est la nouveauté, par un collectif de quartier sur le site de l’usine des sens (usine d’Auteuil).
Pour que la robe sirène de Kate Moss ne devienne pas la robe baleine, il vaut mieux la faire soi-même ? Pas de quoi faire peur néanmoins à ces majors habitués des concours d’idées et qui repartent toujours avec un des gros oursons de la tombola.
Leçon n°5 : jouer l’indifférence
Dior et Saint-Laurent ont, depuis des décennies, la génération des super-tops dans leur escarcelle, et, chaque année, toujours de nouveaux minois.
A croire que la haute couture inspire l’architecture puisque le show verra se côtoyer Dominique Perrault sur le site des Invalides et Philippe Prost à l’Hôtel de Fourcy, quelques habitués des lieux dont NP2F et Atelier Georges et des architectes un peu moins vus comme le collectif Neck. De cette façon, aucune sensibilité ne pouvait aussi être froissée. C’est aussi cela l’art du politiquement correct à la sauce rive droite.
Leçon n°47 : jouer sur la corde sensible
Côté ‘street-style’, le vert, toutes teintes Pantone confondues, avait inondé les visuels de la saison 2014/16, 2017/19 signe le grand retour du gris. Avec un peu d’élégance, les perspectivistes auront évité l’écueil du vert-de-gris, tendance blanc passé à la machine. De là à se dire que le blanc ‘nude’ est le nouveau vert… Ou que l’architecture cède une nouvelle fois à une autorité monochrome venue d’en haut ?
La végétalisation n’est plus le selfie facile de l’architecture durable. Pour séduire la Ville de Paris, les équipes auraient-elles fait preuve de plus de subtilité ? Possible car la frugalité, verbiage ‘so 2018’, rime désormais avec empreinte carbone maîtrisée. Stella Maccartney fait bien du prêt-à-porter de luxe vegan, alors les structures du Grenier Saint-Lazare transformé en silo de logistique urbaine seront sans doute renforcées en bambous !
Leçon n°52 : resserrer les liens
La première collection de la Maison Lobeau était plus un concours de concepteurs. Sans doute échaudés par le premier opus et sans doute moins inspirés par des sujets qui nécessitaient un savoir-faire plus particulier de restructuration, les architectes ont laissé la main pour le show final. Un peu longue sur la fin, la présentation n’était en réalité que le déroulé d’un énième concours programmatique mettant l’architecture au second plan.
Réinventer les sous-sols se doit surtout, avec les élections municipales en vue, de raviver la flamme vacillante entre les édiles parisiens et leurs administrés en manque de zones de loisirs et de marchés intra-muros. Visuels publicitaires, les images illustrent plus une ‘street-life’ parisienne fantasmée que des projets de restructurations d’architectures enterrées. Le défilé serait peut-être mieux adapté sur un podium installé à la Station F !
Alice Delaleu
* Leçon de Séduction n°100, Aubade, Édition du Chêne