Le Petit Prince au service d’infrastructures monumentales ? Chacun sait des diverses tentatives d’Anne Hidalgo pour Réinventer Paris (et la Métropole, et la Seine, etc.). En guise de Réinvention, toutes ces compétitions sont basées sur un modèle unique : un concours de charge foncière. A Séoul, en Corée du sud, la ville fait le pari de l’architecture. Et ça dépote autrement qu’à Paris. Méthode !
A Paris, dans le règlement des concours Réinventer, nombre d’équipes étaient amenées à concourir sur un même site – ha, la saine émulation – sans qu’une quelconque cohérence d’ensemble à l’échelle de la ville (encore moins de la métropole) ne soit mise en œuvre à défaut d’avoir été même imaginée.
Dans ce cadre, l’innovation a vite montré ses limites, la prudence des promoteurs s’exprimant dans une recherche approfondie non des contraintes urbaines à l’œuvre mais de tous les éléments de langage et de communication qui font, avec l’apport financier du promoteur bien sûr, les équipes gagnantes. Aujourd’hui, Paris n’est toujours pas réinventé ce qui, en regard du barnum déployé, laisse à désirer.
Séoul, la capitale de la Corée du Sud, cherche elle aussi à se réinventer. Mais elle le fait autrement et, surprise, l’innovation est au rendez-vous, comme en témoigne l’exposition Seoul Super Ground Living infrastructure qui a pris fin le 31 octobre 2018.
En préambule, il convient de rappeler pourquoi soudainement nombre de villes du monde entier (voir le C40 de la maire de Paris) cherchent à se ‘réinventer’. «Le processus dramatique d’urbanisation de la période moderne est terminé dans de nombreuses villes. Le moment est venu de changer progressivement et d’améliorer le cadre de vie au sein de systèmes urbains stabilisés», explique Young Joon Kim, commissaire de l’exposition avec l’architecte catalan Manuel Gausa. Un constat sans doute partagé par Anne Hidalgo.
Sauf que, la ville de Seoul en est convaincue, les changements interviendront par «des moyens architecturaux créatifs plutôt que des modèles typiques de planification urbaine». «Les caractéristiques ‘incongrues’ issues d’une croissance rapide doivent être modifiées et affinées et c’est par la voie de l’architecture que, pour la ville, un tel objectif peut être atteint», poursuit Young Joon Kim. L’architecture donc mais pas sous forme de confettis lâchés un peu au hasard au-dessus de la capitale, comme à Paris.
Il faut se souvenir que Seoul est cette ville qui est parvenue en 2005 à faire renaître en son centre la rivière Cheonggyecheon, pourtant recouverte depuis 1968 par une route et une autoroute suspendue qu’il a fallu détruire. Les berges ont ensuite été radicalement transformées en une longue promenade paysagée de 10 kms de long qui fait l’admiration de tous les visiteurs.
Vingt-trois gratte-ciel et autant de starchitectes : telle est encore l’ambition du Yongsan International Business District, dont la livraison est prévue pour 2024 au sud du cœur historique de Séoul, le long du fleuve Han. Se souvenir enfin que, l’an dernier encore, il y a un an quasiment jour pour jour, le Seoul Metropolitan Government désignait Dominique Perrault Architecte (DPA), avec le Junglim Consortium Seoul, pour la construction du Pôle intermodal de Gangnam, sur un site de 60 000m² en plein cœur de ville.
Chacun peut aimer ou non les projets présentés mais c’est bien au travers de l’architecture et à l’échelle de la ville que Séoul entend innover. Et pour ce qui en est de la réinvention, Séoul n’a pas besoin d’éléments de langage. En revanche, elle a besoin d’architectes.
Le projet Superground a donc commencé par une invitation lancée auprès d’architectes du monde entier, dont le français Francis Soler, et de quelques agences locales. Leur objectif consistait à revisiter des infrastructures urbaines souvent gigantesques – chacun la sienne – et leur trouver de nouveaux potentiels. «Plus spécifiquement, il s’agit d’une tentative de création d’espace pour les programmes nécessaires de la ville – logements, loisirs, travail, culture, sport, etc. – tout en s’inscrivant dans le schéma urbain tel qu’il est. Bien que les sites soient à Séoul, l’idée était que des solutions générales puissent être appliquées ailleurs», indique Young Joon Kim.
Comme en témoigne l’exposition issue de leurs travaux, les 18 architectes invités ont proposé des visions audacieuses de transformation de ces imposants espaces infrastructurels en lieux de vie urbains, qu’il s’agisse par exemple de ce long serpent, ‘Serpentine Galleries’, de 5,2km de long, ou encore de ce boa qui sur 800 m avale une autoroute, ou de transformer une voie ferrée en île flottante ou de récupérer les précipitations très très haut dans le ciel avec des filtres à brouillard.
«Le titre de l’exposition Superground exprime une condition complexe, mixte et multicouche de l’espace terrestre de Séoul (super comme supra, au-dessus), mais se réfère également à une nouvelle volonté politique qui veut miser sur la créativité, l’innovation et le leadership en termes de qualité urbaine», souligne Manuel Gausa, le commissaire.
«La nouvelle génération d’urbanistes est mise au défi de trouver des solutions aux problèmes complexes liés à la population, à l’énergie, à l’environnement, la nourriture, l’eau, la sécurité, le logement, la santé et le transport. Mais aussi à une nouvelle utilisation rationnelle des sols, une croissance durable et des infrastructures liées à un nouveau type de conception de l’espace public», dit-il.
«Les projets présentés dans l’exposition Seoul Superground combinent conviction et imagination, réalisme et idéalisme, créativité et opérabilité, sens et sensibilité et permettent d’extrapoler les multiples capacités de chaque site exprimées aux travers de scénarios stratégiques ouverts, souvent poussés aux limites, combinant des DATAS précis, des VECTEURS stratégiques et des VISIONS», conclut Young Joon Kim.
Alors, pour réinventer la ville, une question de méthode ?
Christophe Leray
Les projets (seuls 16 sur 18 sont ici succinctement présentés)
Séoul héliomorphique : Modèles bioproductif pour traverser le fleuve Han
Architectes : Charles Waldheim avec Office for Urbanization
La rivière Han, une source d’eau et de production agricole vitale depuis des milliers d’années, est un symbole de la civilisation coréenne. Aujourd’hui, la ville s’étend bien au-delà du fleuve, stimulée par la rapidité industrialisation et expansion économique. L’industrialisation de la rivière a entraîné des dégâts écologiques considérables et la perte de biodiversité le long de la Han.
‘Heliomorphic Seoul’ produit de nouvelles formes de bioproductivité, réinventant radicalement la croissance de la ville autour de la rivière et lui donnant une nouvelle image. Des filtres à brouillard capturent les précipitations très haut au-dessus de la ville. Séoul héliomorphe transforme Hangangcheolgyo en un quartier dynamique, productif, capable d’augmenter la biodiversité et d’établir un climat favorable autant qu’une plate-forme pour la connectivité écologique.
Urban Connector
Architecte : Yoon Gyoo Jang (Unsangdong Architects Cooperation)
Le programme vise à modifier une infrastructure urbaine existante – une friche ferroviaire qui coupait la ville – afin de créer, au travers d’évènements culturels, de nouvelles connexions avec l’organisation urbaine.
Le projet crée des zones délimitées et des extensions pour accueillir des besoins urbains flexibles plutôt que des programmations figées. L’ancienne voie ferrée et le pont qui le surplombe deviennent un parc ouvert au citoyen.
Yong, The Serpentine Galleries
Agence d’architecture : Topotek 1
Sur 5,2 km de long, ‘Young, The Serpentine Galleries’ serpente sur pilotis dans le paysage urbain. Le quartier linéaire, établi dans une ancienne ligne de métro, est imaginé pour abriter la plus grande collection mondiale de programmes culturels. Avec environ 174 000 m² de surface, la proposition est composée de 62 bâtiments distincts.
Reliée aux stations de métro existantes restructurées, chaque structure est imaginée individuellement comme unique et emblématique en fonction de son programme mais la masse et la diversité des offres culturelles (galeries, musées, salles de spectacles, etc.) permettent de former un cluster linéaire iconique qui accroche les regards.
SEOUL LAPUTA: Self-developing linear city
Architecte : Chanjoong Kim
Entre Chang-dong et la gare de Danggogae, il existe une voie ferrée surélevée qui ressemble de loin à une île flottante. Cette structure monumentale est l’une des principales raisons de la coupure entre le nord et le sud de Séoul.
SEOUL LAPUTA propose une nouvelle approche de la croissance spontanée de la ville en encourageant le secteur privé à utiliser les structures d’infrastructure existantes avec un nouveau système de redéfinition vertical de la parcelle, l’objectif étant de ramener le site entier à hauteur de la ville. Ainsi, tout en demeurant une île flottante, SEOUL LAPUTA devient un espace de médiation connectif que peuvent s’approprier les citoyens.
ENTROPYTECTURE
Agences : Eduardo Arroyo – NO.MAD
L’humanité semble s’enfoncer dans le virtuel : la technologie verte, connectivité, économie d’énergie, recyclage, écologie, durabilité ou économie circulaire guident les agendas politiques mais ne parviennent pas à créer un sentiment d’espace urbain ni un sentiment d’appartenance. L’architecture tangible doit pleinement revenir en tant qu’acteur principal structurant la ville pour véhiculer l’idée selon laquelle l’espace de vie n’est pas aménagé par des intérêts virtuels.
Entropytecture offre un mélange d’espaces informels et de perceptions variables dans un continuum à quatre dimensions. Le projet développe un acte de colonisation basé sur la combinaison d’hybrides architecturaux qui donnent forme à un vaste catalogue d’espaces publics. En tant que système fluctuant, cet outil projectif illustre une large gamme de réactions pour garantir l’absorption et l’intégration de la ville existante tout en l’ouvrant à toute éventualité future.
Urban Quantum
Agences : Studio Fuksas + Ramon Prat Homs
Urban Quantum est une proposition qui veut réfléchir à la manière dont les infrastructures pourraient devenir une nouvelle occasion d’appliquer des solutions complexes pour résoudre les conflits urbains actuels et récupérer des capacités à réurbaniser en utilisant de meilleures formules.
Urban Quantum tente de compenser une partie du déséquilibre environnemental généré par les infrastructures existantes, en utilisant par exemple toute l’énergie dynamique produite par les véhicules qui y circulent pour générer une nouvelle puissance ou épurer leur CO2. Par exemple, cet espace «récupéré» à partir de zéro devient un nouvel espace vert tampon dont le dessus peut être associé à différents programmes.
From Mountain to River
Architecte : Minsuk Cho
De montagne en rivière, le projet s’efforce d’aller de pair avec la régénération urbaine de la culture piétonne de Séoul sur un tronçon de 2 km avec un dénivelé de 82 m, de Hannamdaero, sur la montagne Namsan, jusqu’au front de mer et à la rivière Han, au pont de Hannam.
La topographie naturelle / artificielle surlignée dans ce quartier constitue sans aucun doute une racine essentielle du tissu urbain. L’échange simultané entre le langage des infrastructures et la production d’artefacts culturels synthétise le domaine public du projet.
Supercolonnade Seoul : Urban Colonnade vs Ground Engraving
Architecte : Eun Young Yi
Le projet consiste à créer un lien entre des espaces urbains séparés tels que le sont les World Cup Stadium, World Cup Park et Oil Tank Culture Park, un ‘sentier’ pédestre permet de rejoindre la rivière Han. Les piétons non seulement peuvent progresser dans l’espace – une fonction la plus typique d’un couloir ou d’une galerie – mais aussi s’attarder dans une caractéristique spatiale relationnelle couramment trouvée dans la structure en forme de pavillon de la tradition coréenne.
Gravure au sol. La consolidation d’espaces disparates divisés par la route de Jeungsan devient un acte de gravure dont la technique de gravure est appliquée uniformément aux unités répétitives d’espaces culturels, résidentiels et communicatifs le long de la colonnade urbaine.
Yeongdeungpo Free Ways
NL Architects
Dans le développement explosif de Séoul au cours des dernières décennies, les infrastructures ont joué un rôle crucial. Des ensembles d’autoroutes définissent une grande partie de l’espace public et enveloppent la ville comme un tissu musculaire.
Le rond-point de Yeongdeungpo est l’un des nœuds de trafic les plus fréquentés de Séoul. La myriade de voies forme un atoll impénétrable pour les piétons, une « zone morte ». Pouvons-nous réclamer le retour des rues ? Pouvons-nous trouver des moyens d’habiter cet espace perdu ?
En résumé, le projet consiste à regrouper les voies réservées aux voitures dans une «autoroute» empilée : une route à 8 voies devient un « bâtiment » de 8 étages, libérant ainsi un espace précieux au niveau du sol. L’ancien pont se transforme quant à lui en un lieu sportif animé.
Seoul Eco-Condenser
Architecte : Alejandro Haiek Coll
Le projet propose d’intervenir dans le temps plus que dans l’espace. Il se concentre sur la création d’ambiances urbaines en faisant revivre la nature latente et en rétablissant les conditions préexistantes. Ceci est réalisé en injectant une série d’infrastructures hybrides, temporaires / permanentes et flexibles afin de promouvoir des programmes culturels, sportifs et productifs.
La proposition prévoit de transformer les infrastructures existantes en tant qu’appareil écodurable afin de déclencher de nouvelles conditions environnementales et de nouvelles dynamiques sociales. Le projet propose un ensemble de stratégies sociales, technologiques et environnementales afin de dynamiser le territoire urbain en mettant en œuvre de nouvelles microéconomies communautaires, des formes alternatives de production / consommation et de nouvelles écologies.
SUPERCROSSING Seoul
Architecte : Willy Müller
L’un des plus grands défis auxquels les villes doivent faire face au cours de notre siècle est de pouvoir créer davantage d’espaces publics et d’activités urbaines au milieu de tissus aussi denses. Plus précisément, il est important de réinterpréter ces espaces qui définissent notre ordre urbain et constituent le centre de la densité de fonctions: croisement de rues, boulevards, gares intermodales et carrefours de transports en commun.
Nous proposons une étude de «typologique adaptative» que nous nommons «SUPERCROSSING Seoul». Ces modèles typologiques appliqués à des carrefours spécifiques de la ville pourraient être suffisamment puissants pour multiplier les espaces publics, les espaces verts et les activités urbaines. Parallèlement, à moyen et long terme, ils pourraient créer et proposer de nouveaux espaces d’affaires et représenter des agents de transformation de la ville.
Yongsan Body Culture Club
Agences : Yoshiharu Tsukamoto – Atelier Bow-Wow + Tokyo Tech.Tsukamoto Lab
En raison de sa proximité avec la ville et le front de mer, la liaison Palais-Yongsan-Hangang est devenue un axe important de Séoul. Cependant, avec la modernisation de la ville, cette zone symbolique était divisée par des infrastructures de transport.
L’objectif de cette conception est de revitaliser la connexion entre le parc Yongsan et le front de mer de Hangang en dégageant le niveau du sol pour les piétons en soutenant l’infrastructure de circulation et en améliorant l’accessibilité tant au parc qu’au front de mer.
Mapo Stackedscape Machine
Architectes : Federico Soriano and Dolores Palacios
Cette proposition construit un ensemble d’écosystèmes productifs et programmatiques, étayés par les diagrammes de travail et de production des écomachines et par le réseau de systèmes de traitement de l’eau. Ce complexe constitue le lien urbain et naturel entre le fleuve Han, la promenade le long du fleuve et le centre de Séoul.
Mapo Stackedscape Machine est une machine programmatique civique. C’est un paysage urbain productif ; c’est un appareil quelque part entre un jardin, une infrastructure et une architecture ; c’est un Eden mécanique qui définit notre mode de vie actuel ; c’est une utopie architecturale concrète ; il s’agit d’une extension piétonne de la promenade du fleuve Han avec la géométrie d’une autoroute ; c’est une structure vivante.
Urban Mountain Park : a Walkable Skin
Agence : Go-Up architects
Le projet, en plus d’être une infrastructure de protection de l’eau, est conçu pour amener le parc riverain dans la zone de planification avec l’objectif de créer un espace public urbain toujours accessible et connecté aux utilisateurs.
Le vaste parc, ouvert et recouvert d’une peau claire, sera un lieu où pratiquer de nombreux sports en extérieur et en intérieur mais il s’agira principalement d’un espace reliant l’ensemble du quartier au bord de la rivière. La peau qui fait le toit du parc, qui entoure la tour, les allées et les bâtiments constitue l’élément vibrant du projet. Il rappelle la silhouette d’une montagne et, comme elle, est une structure praticable pouvant être escaladée.
High Intensity Park Jungnang
Agence : AZPML
Le parc Jungnang est proposé comme un nouveau type de parc urbain à haute intensité, dans lequel les conditions naturelles sont artificiellement intensifiées afin de créer un milieu amélioré capable de transmettre la nature à une population urbaine nombreuse et dense.
Cette proposition est un parc programmé à usage intensif où la maintenance est gérée numériquement, où la floraison de différentes cultures, traitées comme des événements urbains, réagira aux rythmes de la ville en intensifiant la richesse des systèmes naturels dans le cadre d’une écologie urbaine de plus en plus complexe.
Shoemakers’ Island (l’île des Cordonniers)
Architecte : Francis Soler
L’histoire de la transformation du quartier de SEONGSU-DONG ressemble un peu à celle du Petit Prince de Saint-Exupéry, lorsque l’aviateur montre un boa en train de digérer un éléphant comme base cachée de son tableau. Ici, sur les rives du fleuve, entre les ponts de SEONGDONG-GYO et de JANGAN-GYO, le projet absorbe l’impressionnante autoroute qui longe la rive du fleuve en dessinant un nouveau boa engloutissant le tissu urbain et social de l’île des Cordonniers.
L’autoroute aussi immuable qu’un éléphant, nous l’avons isolée de dessous et des espaces environnants en posant une dalle sur toute sa longueur, la transformant en une île d’environ 800 m de long et de la largeur des voies. La silhouette Shoemakers’ Island est complétée par une tour élancée de 200 m de hauteur, marquant dans la skyline de Séoul la présence de ce nouveau quartier.
La dalle est construite comme un système ouvert à l’extension territoriale sans pour autant laisser la ville incomplète. Le projet peut s’étendre indéfiniment, à l’est comme à l’ouest, sur les terres voisines de même nature que ceux de SEONGSU-DONG, subissant la même contrainte d’autoroutes le long du fleuve. C’est potentiellement ce premier fragment d’une nouvelle ville qui peut reformater utilement les limites intérieures de Séoul.