Isabel Hérault et Yves Arnod sont adeptes de la mixité des usages mais autant avaient-ils avec l’immeuble mixte de Grenoble tenus à montrer les différentes strates du projet, autant se sont-ils attachés pour le siège social de Rossignol à unifier dans un seul mouvement et sous un même toit les éléments disparates du programme. Avec la même réussite.
Le groupe Rossignol, racheté en mars 2005 par l’Américain Quicksilver, souhaitait rassembler sur un site de six hectares à Saint Jean de Moirans (38) des entités différentes qui sont pour l’heure éclatées en plusieurs lieux mais qui toutes participent à l’identité de l’entreprise, afin de créer la Maison Rossignol, futur siège mondial de la nouvelle entité. L’idée du maître d’ouvrage était au départ de réaliser plusieurs bâtiments pour abriter un atelier de production des skis de course, vitrine technologique de la marque, les services de R&D, design et communication, et deux showrooms de présentation des produits Rossignol et Quicksilver.
L’originalité du projet impulsé par Hérault-Arnod fut non seulement de regrouper toutes les activités du groupe sous un même toit mais encore d’en concevoir l’intérieur de telle sorte que tous ces métiers puisque communiquer ensemble afin de créer par extension une image cohérente d’entreprise. Un parti pris architectural qui avait de plus le mérite d’opérer une synthèse entre deux cultures d’entreprises aussi différentes que celle de Rossignol, de tradition française et portée sur la montagne, et de Quicksilver la californienne portée sur l’outdoor ; pour simplifier il fallait réconcilier plateaux fermés et/ou plateaux ouverts ; vouvoiement et/ou tutoiement de rigueur, etc. Ce projet permettait, ce n’est pas sa moindre réussite, de mettre ainsi tout le monde d’accord.
Qui plus est, l’image Rossignol, leader historique du ski, est intimement liée à la montagne et à la neige. Aussi, Isabel Hérault et Yves Arnod surent d’emblée que ce bâtiment ne pouvait pas «ressembler aux stéréotypes des immeubles de bureaux» mais plutôt se révéler comme «un hommage à la nature et aux sommets autant qu’à la technologie, indissociable des sports de haut niveau.» «L’architecture s’inspire de la glisse, de la fluidité du mouvement, et aussi des reliefs, neige et glaciers sculptés par les éléments. Le toit, qui enveloppe l’ensemble du projet, est une topographie en osmose avec la nature et le paysage, sa forme organique habillée de bois répond au profil des montagnes qui entourent le site,» écrivent-ils. Un toit comme un paysage en somme.
Il ne s’agit pas là pourtant d’un bâtiment «nostalgique» pour ces Grenoblois amoureux des montagnes. Et si les clins d’œil à l’environnement alpin existent, comme ce restaurant «d’altitude» qui occupe seul le deuxième niveau – point culminant de l’ensemble qui fait référence aux édifices du haut des pistes – ce fut aussi pour en retenir une qualité intrinsèque : il est destiné à tous les employés, cadres et ouvriers sans distinction. «Nous ne voulions pas d’une cantine pour les ouvriers,» disent-ils. Deux grandes verrières découpent des vues panoramiques sur le ciel et les montagnes, d’un côté sur le Vercors et de l’autre sur la Chartreuse. Une grande terrasse aménagée sur le toit permet de déjeuner dehors, à l’abri du bruit de l’autoroute. Sur la terrasse ou autour d’un feu de bois, cet espace fait de la pause de midi un moment unique. Des Américains ou des montagnards français, tous y trouveront leur compte.
Le toit recouvre donc trois types d’espaces : les ateliers et locaux techniques, regroupés le long de l’autoroute; la rue, espace de convivialité, spectaculaire et lumineux, qui traverse le bâtiment de part en part ; les plateaux de bureaux. La crête de la toiture, longée par une verrière, est placée au-dessus de la rue, espace toute hauteur sur lequel ouvre le restaurant d’altitude. Deux matériaux ont été privilégiés, le bois et le verre tandis qu’un mur de béton, nécessaire d’un point de vue de la sécurité pour fermer les ateliers, les met en valeur, par contraste, sur la longueur du bâtiment.
A l’intérieur, le bâtiment fonctionne comme une «ruche» dans laquelle les différents métiers se croisent et se montrent, où les gens ont plaisir à travailler ensemble et à se rencontrer, l’objectif de ce rassemblement étant de créer une synergie qui évite les «césures entre création, tertiaire et technologie. Chacun dans sa diversité – ingénieur, designer, technicien, secrétaire, commercial, etc. – devra croiser l’autre. De quoi favoriser la communication interne et, à terme, l’émergence d’une nouvelle culture d’entreprise née de la fusion.»
«Côté autoroute, la façade crée un effet cinétique et dynamique renforcé par la répétition du logo, qui apparaît progressivement. La façade courbe devient toiture des ateliers, monte jusqu’à la crête et redescend de l’autre côté pour couvrir les bureaux. Elle est alors percée de patios plantés de bouleaux, les arbres semblant perforer le toit : la nature et le construit s’entremêlent,» expliquent Hérault-Arnod. «La découpe irrégulière de la toiture et des façades des bureaux permettra des extensions futures au gré des besoins, des ajouts pourront se construire sans que cela ne perturbe l’équilibre et l’identité du projet. Dès le départ, l’architecture porte son processus de croissance.»
Cette capacité à imaginer dès le début la possibilité d’extension du bâtiment sans qu’il en perde son caractère n’est sans doute pas pour rien dans le choix du maître d’ouvrage. Voilà donc un bâtiment réversible, démontable mais intégrant d’emblée le succès futur de l’entreprise. Pas étonnant que le maître d’ouvrage en fut «ravi». Et ce d’autant plus que des sous-traitants et partenaires de Rossignol pourraient rejoindre Centr’Alp2 (qui s’étend sur 20 hectares) pour constituer une technopole du sport.
Le bâtiment est conçu pour avoir un impact minimum sur l’environnement. Les choix techniques en feront un édifice performant et économe en énergie, bien isolé et protégé du soleil d’été par la sur-toiture bois (non traité). Les installations seront optimisées, la chaleur dégagée par les machines de l’atelier sera par exemple récupérée et réinjectée dans le circuit de chauffage. Une attention particulière est portée à la gestion de l’eau, à la récupération des eaux pluviales et à la dépollution des eaux industrielles et de voiries.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 24 janvier 2007