Earl, un bâtisseur, et Candide, originaire des nuits mondaines, ont pour mission de dresser les plans d’un nouvel incubateur. Appelé en interne «Etoile En Marche Project», il est censé accueillir les start-ups migrantes fuyant le Royaume-Uni. Fiers de leurs espaces de coworking branchés ET connectés, les hommes de l’art sont pourtant convoqués par Thibault Cairzergues, patron du cabinet noir.
Thibault Cairzergues nous reçoit, Earl et moi, avec sa sérénité habituelle. Face à une crise, il est comme ça, il est en marche, il est pragmatique. Tout le cabinet noir est réuni dans son salon de la place des Ternes.
Edwy, le chauffeur qui a été mis à ma disposition pour mes repérages dans la capitale, jette dans un placard son blazer The Kooples (celui qu’il enfile lorsqu’il est chauffeur) pour enfiler un kimono pour homme de chez Kenzo. Cet uniforme est mis à la disposition des autoentrepreneurs recrutés pour servir les chips végétales et les smoothies verts aux membres du cabinet (chez nous, il n’y a pas de salarié qui nous servent, il n’y a que des autoentrepreneurs qui nous louent leur disponibilité et leur bienveillance. C’est ça le progrès).
«Hidalgo freeze le permis de construire de l’Etoile En Marche, ainsi que les process de nos partners», nous annonce Thibault Cairzegues, tout de go.
«Elle nous reproche un vice de procédure et l’architecte (mon colocataire Earl donc) doit tout arrêter pour l’instant. Elle refuse mordicus de passer outre les formalités administratives et gèle tout le projet, quitte à mettre en danger l’avenir des futurs Winners From France (nous les appelons les «WFF») d’une part, et notre soutien pour sa réélection d’autre part.
Que les Insoumis félons nous ralentissent à l’Assemblée lorsque nous réformons par ordonnance passe encore. D’abord parce qu’ils sont dans leur rôle, mais également parce qu’ils justifient nos notes de frais consacrées aux déjeuners et mondanités que nous mettons en place afin de rameuter des voix chez l’ennemi. Mais que les élus censés avoir prêté allégeance au Leader Suprême se rebellent, cela est intolérable», dit-il, tapant du poing sur la table.
Brune Poirson prend le relais de Thibault Cairzegues et présente à l’ensemble du shadow cabinet, à travers un Power-Point holographique en 3D, un plan destiné à contre-attaquer les hostilités de la mairie de Paris. Me tenant à l’arrière du salon, près du radiateur (comme lorsque j’étais au collège), je contemple les expressions angéliques et charismatiques de Brune, n’ayant bien entendu que faire de ce qu’elle raconte. Soudain, Thibault Cairzegues se dirige vers moi et m’embarque dans une autre pièce, à l’abri des regards.
«Ecoute – me dit-il – drop le Power-Point de Brune, tu vas dîner avec Anne ce soir et tu fais en sorte d’arranger ça. Tu as carte blanche pour les propositions à lui faire, tant que c’est raisonnable et que Le Canard Enchaîné ne nous tombe pas dessus avant notre reconduction en 2022».
Au-delà de l’exaspération générée par ce changement de programme soudain, je me sentais tout de même emporté par une transcendance dont l’intensité m’était jusque-là inconnue. Je me sentais dans la peau de l’immortel Nicolas Flammel, agent lobbyiste secret mandaté par le Pape Fabien pour permettre à l’évêque Dyonisius de sécuriser les savoirs et les hommes nécessaires à la construction de la Cathédrale Notre-Dame, avant d’être martyrisé et décapité par les forces barbares, hostiles à l’avènement d’une ère nouvelle.
A moi, bien évidemment, de faire en sorte de demeurer dans la position de Nicolas Flammel, le négociateur secret, et de laisser le soin à Thibault Cairzergues de prendre la place du martyr Saint-Denis, décapité au Mont Mercure (Montmartre). Je ne suis pas avide d’autant de reconnaissance que mon illustre chef de cabinet.
Après l’évangélisation de la Gaule au IIIe siècle, bon nombre de têtes furent coupées avant que la rive gauche ne devienne le centre de la véritable puissance mondiale, la Cathédrale Notre-Dame ayant été l’incubateur à décisions de l’époque. Aujourd’hui, la puissance mondiale étant passée à droite (que ce soit en termes de philosophie ou en termes de rive), l’Etoile en Marche doit à tout prix connaître le même destin que son illustre et séculaire aînée.
Je tape donc sur l’épaule de Thibault, tourne les talons et siffle Edwy pour qu’il renfile son blazer de chauffeur. Mais avant de contacter Hidalgo, je dois au préalable passer par chez Bertrand Delanoë, son mentor. Lui seul peut me fournir les clés qui me permettront de convaincre la passéiste Hidalgo de nous laisser bâtir l’Etoile En Marche, comme les païens barbares furent évangélisés pour bâtir la Cathédrale Notre-Dame.
Herizo
(Re)Lire l’épisode 1 : Start-up Wars : épisode I
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