34 jours de grève, bientôt 35. Les Parisiens marchent, pédalent, trottinent… assez résilients. Chaque matin les masses rament tranquillement, sans accroc – pour l’instant – sans violence. Les klaxons paraissent être en grève aussi. Cette grève est l’occasion de découvrir la ville comme un lieu de résistance, avec des mobilités nouvelles mais aussi comme un territoire en manque de politique d’aménagement.
La grève d’un.e Parisien.nne dans Paris
La grève met en tension des échelles et des paradoxes. La petite échelle se gère ; 10km à pied par jour, voire 15, c’est gérable. Fatigant mais gérable. De long aller-retour à pied, des tentatives (parfois vaines) de trouver des bus, prendre un vélib’ de temps en temps, utiliser des applications pour essayer d’économiser du temps et des efforts aussi… Pendant la grève, tout Parisien vivant et travaillant dans Paris parvient à s’organiser, certes avec plus ou moins de facilité.
La marche permet aussi de (re)découvrir la ville, et de voir que Paris est une ville faite pour la marche. L’orientation est facile avec les grands boulevards et les grandes avenues, avec les édifices ou places qui ponctuent l’espace parisien. C’est l’occasion de regarder furtivement en l’air dans les appartements bien éclairés et de découvrir l’architecture de certains intérieurs. Un de mes profs d’histoire de l’architecture avait ouvert son cours en disant qu’«il n’y avait pas plus belle manière de mourir qu’écrasé en regardant l’architecture».
En regard des embouteillages, peu de chance de finir écrasé par un camion en ce moment. Sur les grandes artères parisiennes, les derniers jours sont plus calmes qu’à l’accoutumé. L’usage intensif du klaxon a cédé la place à la résilience chez l’automobiliste, le piéton fatigué n’a d’ailleurs pas l’idée d’essayer de lever le pouce pour tenter de trouver automobiliste sympa histoire d’avancer de quelques rues. Il est vrai que maintenant tout cela se monnaye via les applications de covoiturage mises en avant par les sites de la RATP, tout comme les applications de service de voiture avec chauffeur, autres que les taxis…
La grève permet aussi de se rendre compte que les mobilités ont changé. Les voies cyclables de la capitale connaissent un trafic digne de mini-autoroutes, mêlant vélos, électriques ou non, trottinettes, et quelques gyroroues. La fréquentation des pistes cyclables a doublé en ce temps de grève, frais et souvent pluvieux. Une réussite ! Au risque de créer de nouveaux embouteillages. Anne Hidalgo, maire de Paris, devrait être remerciée par tous ces cyclistes occasionnels. Certes ceux-là ont encore besoin d’un apprentissage du code de la route mais l’évolution est en cours. Le pari d’un Paris cyclable est réussi qu’on le veuille ou non : 1 000 km de piste, et 840 000 déplacements par jour en ce moment…
Le calme est palpable durant les trajets réalisés : peu d’animosité, une bienveillance entre les gens, un serrage de coude dans une galère que chacun jugera légitime ou non… Cela ne durera probablement qu’un temps. Nous verrons quand la fatigue aura usé les corps fragiles des sédentaires épuisés.
La grève du travailleur au-delà du périph’
Par contre, vivre et travailler au-delà du périph’, c’est une autre histoire, et pas un conte de fée écolo. Le télétravail fonctionne pour les cadres, moins pour les employés. La caissière à Carrefour, si elle n’est pas là, elle n’est pas payée. Combien sont-ils en ce moment à trois heures aller et trois heures retour entre leur travail, essentiel, et leur domicile de banlieue ?
Le train de banlieue, c’est le nerf de la guerre. Regardez les vidéos des tunnels de la station Châtelet-les-Halles. Malgré le calme des usagers, claustrophobes s’abstenir. Dans toutes les gares de la capitale, la tension est la plus forte sur les quais des RER et des trains de banlieue.
Ces usagers sont d’ores et déjà organisés via les réseaux sociaux pour parler des conditions de transports, échanger sur les heures de passages, les lieux à éviter, avec une précision bien meilleure que les sites officiels. La solidarité et l’échange virtuels permettent de mieux gérer la catastrophe et de se sentir moins seul. Les agents disposant de compte twitter délivrent aussi des indications pour faciliter les trajets, même si ceux-ci seront toujours un chemin de croix. Couloirs à éviter, numéro de train à privilégier, sorties rapides pour éviter d’étouffer… L’ensemble de ces veilleurs informés met un peu de bienveillance face à l’angoisse des transports.
Deux réalités d’une métropole fracturée
La métropole parisienne rassemble 1/6ème de la population française, 12 millions d’habitants. Bien que Paris se dépeuple lentement, la banlieue ne cesse de croître, sans pour autant résorber les fractures territoriales.
Même le choix d’ouverture de telles ou telles lignes de métro témoignent d’une forme de mépris de classe. Les lignes qui relient l’ouest de Paris au centre sont ouvertes aux heures de pointe, permettant sur ces tronçons aux populations les plus aisées de rejoindre les grandes artères de la vie économique parisienne*. A l’est les usagers, plus pauvres que ceux de l’ouest cossu, sont plus désemparés.
Personne pourtant, malgré et après cette grève, ne rebondira sur cette fracture territoriale. Qui pour évoquer à cette occasion une nouvelle politique d’aménagement du territoire ?
Julie Arnault
* Par exemple jusqu’aux fêtes de fin d’année, la ligne 3 est ouverte sur de Levallois au Havre Caumartin/Opéra et la ligne 2 d’Anvers et Porte Dauphine, soit sur les arcs ouest de Paris. La ligne 9 permet aux heures de pointe aux habitants de l’ouest parisien de rejoindre les Champs-Elysées et les Grands Boulevards.