La Tour Insee est à terre. Blastée. 32 500m² de béton réduit en gravois, des milliers d’heures d’études pour la conception d’un nouveau projet pour… rien. Tribune.
La commission d’enquête a en effet remis en mars 2024 son avis sur l’opération :100% défavorable. Un « burst ! » comme le disent les joueurs de jeux vidéo. En termes d’écologie,* force est de constater que l’État est encore loin d’être un « Hardcore Gamer ».
L’histoire aurait pourtant pu être toute autre. Un ministère à la recherche de 32 500m² pour y regrouper ses services constate qu’il dispose d’un édifice idoine. C’est la Tour Insee, conçue par les architectes Denis Honegger et Serge Lana. Depuis sa construction, en 1974, le monde a changé : rapport de Brundtland, COP sur le climat, Accords de Paris, rapports du GIEC : il est désormais scientifiquement prouvé que nous devons renouveler de fond en comble nos manières de faire pour préserver l’avenir de l’espèce humaine. Alors, pas question de la dynamiter cette tour ! Finie la ville Kleenex !
La rénovation n’est plus une option ! Le ministère organise un concours d’architecture en coordination avec ses homologues de la culture. Les propositions fleurissent du monde entier. Chacune « prend le monument où il le trouve, s’y incruste, se l’assimile, le développe » comme l’écrit Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris. Ce concours dessine les contours de l’architecture du XXIe siècle ; il est décisif pour la gestion de l’immobilier de l’État, il est crucial pour le débat sur l’architecture, il est capital pour le climat.
Malheureusement, en ce mois de mars 2024, la réalité n’a pas rattrapé la fiction.
Il y a presque cinquante ans, cinq années après l’inauguration de la Tour, le philosophe Hans Jonas mettait en évidence notre responsabilité morale à préserver la nature car d’elle dépend le destin de l’homme. Et de souligner que chaque petite action, aussi infime soit-elle, a une responsabilité dans l’enchaînement cumulatif, temporel et spatial des choses. On pourrait en effet objecter que la perte de 32 500m² de béton représente bien peu de choses comparées à ce qui se passe à l’échelle mondiale. Mais ce petit rien contient en lui-même le tout du monde nous dit le philosophe ; ne pas le considérer, c’est rompre avec l’éthique.
Il est plus que temps de rebooter le système. Certes les vieux réflexes ne sont pas des « mobs », ces ennemis souvent faciles à éliminer dans les jeux vidéo. Bien au contraire, la partie que nous jouons pour la réparation du monde nécessite une stratégie en temps réel. Et l’État y a une place centrale à jouer.
« Play again ? »
Fabien Gantois
Président de l’Ordre des architectes Île-de-France.
* Lire notre article Malakoff, dissolution du Tripode de l’Insee : bilan carbone, la stat qui fait peur