Bart Akkerhuis est peut-être le plus latin des architectes «hollandais». La preuve, c’est à Paris, dans le Marais, qu’il a décidé en septembre 2014 d’installer son agence, Studio Akkerhuis. Pourquoi diable s’établir dans un pays où l’architecture semble si dévalorisée, les architectes si peu respectés et la fiscalité si peu avantageuse ? Portrait d’un aventurier.
Bart Akkerhuis, né en 1971 à Rotterdam, souhaitait devenir pilote de chasse puis ingénieur aérospatial mais la vie en avait décidé autrement. Du coup, il avait déjà 25 ans quand sa femme lui a demandé ce qu’il voulait en faire, de sa vie. «Dessiner le prochain modèle Citroën ou construire le Centre Beaubourg», lui répondit-il, sous forme de boutade. «Ha, tu veux être architecte !», lui dit-elle. Ce fut une révélation. Il est donc allé à la bibliothèque et le premier livre qu’il en a retiré est ‘The making of Beaubourg’ (MIT Press) qui relate la construction du centre Pompidou, du concours à la livraison, écrit par Nathan Silver dont le père travaillait chez Renzo Piano Building Workshop (RPBW). Ses planètes étaient soudain alignées.
Ce livre, qu’il connaît aujourd’hui quasiment par cœur, «parle de tout sauf d’architecture», dit-il. Sa décision est prise : il sera architecte et travaillera pour Piano. Il est en troisième année à l’Université de technologie de Delft aux Pays-Bas quand il apprend que Renzo Piano Building Workshop (RPBW) cherche un stagiaire parlant le néerlandais pour un projet aux Pays-Bas. Sans book, sans portefolio, il prend la plume et envoie par fax un vendredi soir un courrier expliquant toute sa motivation et indiquant qu’il peut être à Paris dès lundi matin pour travailler. La réponse est arrivée par fax ce même vendredi à minuit : «ok, je te vois lundi à Paris». Les trois mois de son premier contrat chez Piano sont devenus deux ans, dont un passé à Chicago pour le Art Institute. «Après, vu mon âge, j’ai dû revenir terminer mes études», explique-t-il.
En avril 2016, Bart Akkerhuis reçoit dans son agence du IIIe arrondissement de Paris, un ancien atelier de confection d’abats-jours, d’où ces pièces en enfilade et très hautes de plafond, lumière naturelle. Le premier de ces espaces, hors la salle de réunion/cuisine, est un vaste atelier de maquettes : «on peut beaucoup mentir à l’écran, pas avec la maquette. Si tu as un problème pour construire la maquette, Il y aura le même sur le chantier». Construire donc comme seul leitmotiv ! Derrière l’atelier de maquettes, deux autres pièces, blanches et lumineuse, des projets punaisés aux murs, des architectes à leur ouvrage. Au mur du fond une impressionnante sculpture (les œuvres d’art changent régulièrement) rappelle à tous qu’ils ne sont pas à l’usine mais dans un lieu de culture.
«Quand tu as fini tes études, tu reviens», lui avait dit l’agence Piano. Promesse tenue, pendant plus d’une dizaine d’années. La tour KPN à Rotterdam, Hong Kong, Chicago, jusqu’à ce que l’agence le rappelle à Londres pour travailler sur le Shard. Pendant six ans, de 2006 à 2012, c’est lui le responsable de l’enveloppe extérieure. «Si on rate la façade, on rate le bâtiment», relève-t-il, non sans un brin de fierté. En 2012, comme il s’apprêtait à prendre le large et ouvrir son agence, les mêmes lui proposent d’être le chef de projet de la Yongsan Landmark Tower à Séoul, haute de 620 mètres, une chance unique qu’il ne peut refuser. Il devient associé.
La tour à Séoul finalement ne se fera pas. Un concours pour un musée d’art contemporain – «de la même taille que le MOMA» – à Hong Kong, l’opportunité de retourner aux USA pour travailler sur le master plan de San Ramon, une ville typique de lotissements près de San Francisco, afin d’y construire un centre-ville. La question urbaine reviendra d’ailleurs s’imposer à lui. N’empêche, en 2014, il se retrouve en stand-by : Renzo Piano a 78 ans et la question se pose : «Quel futur pour lui à RPBW ?».
Bart Akkerhuis est de Noordwijk, une petite ville de… Hollande, située sur la côte entre La Hague et Amsterdam. Quelques années auparavant, il a conçu et construit sur la plage pour un ami d’enfance un restaurant qui devait pouvoir être démonté chaque année.
En 2014, cet ami achète un hôtel et lui en confie naturellement l’aménagement l’intérieur. Ce qui tombe bien puisque c’est à cette époque que l’architecte a finalement décidé de quitter RPBW. Or l’un des partenaires de l’hôtel, Ab van der Wiel, avait commencé à travailler sur la réhabilitation du site industriel de la Meelfabriek, littéralement fabrique de farine, acheté depuis 20 ans déjà. Il s’agit de rien moins que d’un monument industriel national de 30 000 m² qui doit être converti en un hôtel 5 étoiles de 90 chambres, des appartements de style loft, des boutiques, des ateliers d’artisans, une galerie d’art et un centre pour les arts du spectacle. En outre, plus de 25 000 m² seront nouvellement construits sur le site. L’ensemble, dont Peter Zumthor a réalisé le plan directeur, est quasiment constitué de bâtiments historiques.
Pour le maître d’ouvrage, c’est le projet d’une vie, l’un des plus grands projets architecturaux du pays. David Chipperfield est alors l’architecte de l’ensemble du projet. Mais Ab van der Wiel, qui souhaitait un contact direct avec son maître d’oeuvre, comme cela avait été le cas avec Zumthor, est mal à l’aise avec l’architecte anglais. Et voilà Bart Akkerhuis devenu assistant à maîtrise d’ouvrage puis, bientôt, après avoir d’abord refusé deux fois, l’architecte du projet. Au mois de décembre 2015, le plan directeur est approuvé par le conseil municipal de Leiden et par la Commission Néerlandaise des Monuments et les permis de construire pour les deux premiers bâtiments du projet, une nouvelle tour d’appartements de 45 mètres de haut et la conversion d’un bâtiment de 5 000 m² en lofts, sont déposés.
Entretemps, Bart Akkerhuis a donc fondé son Studio, à Paris, qu’il connaît bien depuis ses années RPBW, dont l’agence est d’ailleurs à 300m de la sienne. Mais, justement, puisqu’il connaît si bien la France, pourquoi diable un architecte néerlandais viendrait-il s’établir à Paris quand, apparemment, tout concourt à compliquer les choses – les impôts et taxes, le droit du travail, l’administration tatillonne et ubuesque, sans même parler de la fiscalité bien plus avantageuse aux Pays-Bas ?
«Tout cela est vrai mais Paris est un choix», dit-il. Nonobstant le fait que ses deux filles y sont nées – «mes filles vont à l’école publique et gratuite, une bonne école c’est au minimum 10.000€ à Londres» – lui voit surtout à Paris, même s’il en reconnaît tous ces inconvénients, «une grande ville du monde qui recèle beaucoup de talents venant de partout».
Il est d’ailleurs très fier du cosmopolitisme de son studio, sept nationalités différentes pour une quinzaine de collaborateurs. «Cette variété est un élément très important dès lors que l’on souhaite créer une architecture riche car tout le monde apporte quelque chose de son pays, de sa culture dans sa façon de travailler», souligne-t-il. Il invoque également une qualité de vie à Paris et en France qui se reflète dans le travail de l’agence ainsi que le fait d’être aisément connecté au reste du monde. «Je suis à 2h15 de Londres, idem de la Hollande», dit-il. La langue de l’agence est le français !
Certes, il lui a fallu six mois pour pouvoir s’inscrire à l’Ordre mais, pour quelqu’un qui avait au Pays-Bas l’habitude des concours non rémunérés, il trouve que les concours en France sont «super bien» organisés et payés. En revanche, des spécificités bien françaises ne laissent pas de l’étonner. Il note ainsi, avec une pointe de stupéfaction, qu’en France l’architecte «est responsable pour tout». «Aux Pays-Bas, dit-il, c’est le contraire, ce sont les entreprises qui sont responsables de tout, la raison pour laquelle on y donne plus facilement leur chance aux jeunes architectes puisque les entreprises sont assurées». Incidemment, puisque ce sont elles qui sont susceptibles de couvrir tous les dommages éventuels, elles portent beaucoup plus attention à la qualité des réalisations et les clients privés peuvent quant à eux se permettre de prendre des risques.
«En France, l’architecte doit inspecter le joint des robinets pour vérifier que ça ne fuit pas», dit-il. C’est à peine de l’ironie. «C’est trop de responsabilité et mission impossible ; il y a désormais tellement de nouveaux matériaux que c’est à celui qui crée ce matériau d’en connaître les attributs et d’en porter la responsabilité avec l’entreprise qui le met en oeuvre».
Bart Akkerhuis, du fait même de son expérience internationale, tient cependant à relativiser. «La réglementation, ce n’est pas si grave, il y a des choses bizarres partout. Pourquoi huit sorties de secours à Séoul ? L’acier n’aurait pas les mêmes propriétés à Paris, Séoul ou Londres ? Pourquoi ne peut-on pas faire la même façade à Londres ou en France ? Ce n’est pas le même feu ?», s’amuse-t-il.
Un bonheur n’arrivant jamais seul, un an plus tard après son installation, l’agence Piano le missionne en aide pour une partie de la production de documents de chantier pour les aménagements intérieurs du Tribunal de Grande Instance (TGI) dont RPBW est mandataire aux Batignolles à Paris.
Renzo Piano Building Workshop, comme son nom l’indique, n’est pas une énorme agence de 400 personnes et, pour le TGI, elle avait besoin de ressources humaines, d’autant plus qu’elle était en l’occurrence l’agence locale. «Ils avaient besoin d’aide avec quelqu’un qui connaît la coutume», sourit Bart Akkerhuis. Dans son Studio en effet, les mêmes façons de travailler, les mêmes logiciels et nombre de ses collaborateurs recrutés chez… Piano. «Nous pouvons mettre cinq ou six personnes dessus chaque jour, c’est très utile pour Renzo et pour nous», dit-il.
Même si, dans ce cadre, il fait encore du Piano, travailler l’intérieur d’un TGI est pour lui une nouvelle histoire. «Il y a beaucoup d’émotions pour nous dans ce projet car il est porteur de questions difficiles et il implique beaucoup d’acteurs, les juges, les condamnés, tout un chacun, etc. Ce n’est pas un lieu construit par les normes mais pour les humains. Nous créons l’espace, nous sommes architectes, pas décorateur», dit-il. Cela dit, faire l’atrium d’un hôtel est très intéressant aussi ajoute-il. En tout état de cause, pour ce TGI, il prend date. «C’est un lieu pas évident et c’est courageux de la part de Piano de prendre ce projet difficile. On ne peut pas juger un bâtiment avant qu’il ne soit fini, comme pour le tableau d’un peintre».
Romantique Bart Akkerhuis ? Le plus latin des architectes hollandais l’est sans doute quand il interprète «au sens ancien» le mot architecte, qui selon lui doit être capable de «faire tout». Il a vu ces boîtes londoniennes devenues hyper spécialisées : hôpitaux, écoles, etc. L’idée qu’il se fait lui de son métier est de savoir tout faire, en s’entourant de spécialistes. Et, apparemment, c’est à Paris que, malgré les grincheux, il a trouvé son bonheur !
Christophe Leray