La privatisation du logement social est devenue un mode de production massif de rentabilité. Il suffit de quelques calculs et de s’en remettre à la Loi. Explications d’arrière-cuisine.
Chacun se souvient des combats menés contre la loi ELAN « Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique ». Les manifestations, pétitions, articles de tous genres, inondaient l’espace public et les médias, du web à la presse écrite.
L’architecture était à l’honneur ! La profession était soucieuse de préserver les concours d’architecture, seuls garants de la qualité architecturale. Le logement – ha ! L’usage, mieux les valeurs d’usage, étaient dans toutes les bouches, la qualité des logements défendue corps et âme. Tous les logements étaient mis dans le même sac, logements privés de promotion, logements sociaux réalisés par les Offices d’HLM, logements sociaux en accession, etc. Sans aucune distinction, on parlait DU LOGEMENT.
Dans un monde où évoquer ces différences devient presque un délit – et l’espace public quel qu’il soit transformé en terrain du consensus – être précis quand il est question de logement est cependant la moindre des choses.
Dans cet ELAN d’investigation, il est permis en effet de se demander qui produit le logement social en France. Pourquoi le logement social ? Parceque la Loi MOP « Maîtrise Œuvre Publique » est censée réglementer la commande publique. Au-delà d’un certain seuil (209 000 €ht montant des honoraires), le concours d’architecture tant défendu est pourtant incontournable, n’est-ce pas ?
Depuis quelques années, un acronyme a fait son apparition, la VEFA HLM « Vente en Etat Futur d’Achèvement de l’Habitat à Loyer Modéré ». Dit autrement, un promoteur privé construit des logements sociaux et les vend à un bailleur social. La part des logements achetés en VEFA à des promoteurs privés dépasse désormais la moitié des logements locatifs sociaux. Selon l’infocentre SISAL, ce taux s’élevait à 53.1% en 2018 contre 3% en 2007. En dix ans, la VEFA HLM s’est banalisée en tant que mode de production des logements locatifs sociaux en France. Où sont les concours ?
Certes, le dispositif de la VEFA HLM ne date pas d’hier mais la loi n°67-3 du 3 janvier 1967 est restée longtemps marginale car elle a été présentée comme un mode de production palliatif et strictement limité. Alors pourquoi ce soudain attrait de la VEFA ?
La loi d’orientation pour la ville du 13 juillet 1991 a exclu du champ d’application de la loi MOP les bâtiments acquis par les organismes HLM au moyen d’un contrat de VEFA. Enfin, le décret du 8 février 2000 a rendu possible le financement par des PLUS (Prêt Locatif à Usage Social) ou PLAI (Prêt Locatif Aidé d’Intégration) de logements locatifs neufs par des organismes d’HLM dans le cadre d’un achat en VEFA.
En réaction à la crise de 2008, qui pesait sur les comptes de la promotion et des entreprises du BTP, le président Nicolas Sarkozy a mis en place un plan de relance en faveur du secteur du logement comprenant l’acquisition en VEFA par les bailleurs HLM de 30 000 logements signés Bouygues et compagnie.
La loi du 17 février 2009, dite du « plan de relance », élargit les possibilités de financement tandis qu’était supprimé le plafond des 50% maximum de logements sociaux pour une même opération dans les programmes de promotion privée.
Enfin, en 2013, le renforcement de la loi SRU « Solidarité et Renouvellement Urbain » impose qu’au moins 25% de logement construit soit du logement locatif à usage social.
C’est ainsi que, en effet, l’évolution de la Loi confirme le passage progressif d’un mode de production exceptionnel et palliatif vers un mode de production massif de rentabilité.
Après la privatisation de la ville, la privatisation du logement social. A part les concours déjà disparus, que défendre alors ? Le logement ? L’usage ? Les valeurs d’usages ? En parlant d’usage, pourquoi ne pas s’arrêter un instant sur la cuisine : on y prépare à manger, on y mange quand on peut, on y boit un verre à la fenêtre en fumant une cigarette. Qu’en est-il de son évolution ?
Chaque architecte a en mémoire la taille de la cuisine de Le Corbusier qui mesurait environ 4 m². Le développement de la production d’électricité, ici nucléaire, et par la suite de l’électroménager a agrandi la cuisine jusqu’à 5.40 m² : six équipements de 0.60 m chacun soit 3.60 m de long et 1.50 m de largeur, 0.60 m épaisseur d’un élément de cuisine et 0.90 m de passage.
La loi du 11 février 2005, venue renforcer la loi de 30 juin 1975 concernant la réglementation des personnes à mobilité réduite, a permis l’élargissement de la cuisine de 1.50 m à 2.10 m. Un fauteuil devait pouvoir se mouvoir devant tous les éléments de cuisine. Bingo la cuisine s’agrandit et passe de 5.40 m² à environ 7.56 m². Palace !
Qu’en est-il des cuisines de promoteur ? Quand la cuisine est dans le séjour, ce qui est le cas le plus fréquent « au nom de l’ouverture », elle est matérialisée sur le plan par les éléments de cuisine soit 6 x 0.60 m, ce qui ramène sa surface à… 2.16 m². Elle est devenue plus petite encore que la cuisine de Le Corbusier. La faute à qui ? A la réglementation PMR ?
Mais bon, pour les locataires de logement social, la cuisine américaine, c’est bien aussi, non ?
Gemaile Rechak