Pour lutter contre le gaspillage alimentaire, la pollution sonore et les particules, rien ne vaut une bonne tempête de neige. Paris immobile, un bonheur écolo ?
La semaine dernière, un bon gros tiers de la France s’est endormi sous les flocons pour se réveiller dans la ouate. Passons sur les railleries de nos cousins québécois et suisses, qui se sont bien poilés à nous voir incapables de nous déplacer, ou du moins bien lentement, avec nos 15 cm de neige. Modes de déplacements doux dans la ville dense ?
Il est vrai que le citadin francilien s’est trouvé fort dépourvu, à ne pas savoir guider son Cross-Over, impotent qu’il était à maîtriser son créneau préféré. «Dis, l’antipatinage sur bouillasse neigeuse, c’était en option Chou ?». C’est ainsi que Chou a dû se faire violence et descendre, aussi précautionneusement que possible, les marches du métropolitain. Là Chou a fait la rencontre fortuite d’un chef de station pas du tout perturbé à l’idée qu’une poignée de sel négligemment jetée sur les girons aurait fait son petit effet sur le contribuable.
Quand Chou monta enfin dans une rame, soit environ 42 minutes après avoir abandonné son tout-terrain des villes dans une contre-allée verglacée, il put constater que le banlieusard était quant à lui, bien rendu à son rendez-vous quotidien avec la RATP. Chou dut réconforter une bourgeoise légèrement flippée et qui se promis de quémander un taxi pour le retour, «tant pis si ça glisse». Tous ces Béotiens réunis en si peu de place prenaient leur mal en patience, pestaient en choeur, riaient parfois, se poussaient surtout. Bref, la neige en abondance permet de créer de la cohésion, de la mixité, tous unis dans le même désastre.
Heureusement, parce que si le réseau souterrain ramait un peu, voire beaucoup, le service en surface était complètement HS. Pas un Tram’ ni un bus de vaillant sous ces températures «polaires» (disons frisquette, ce qui est plus respectueux au regard des -14°C que les Moscovites affrontaient au même moment, avec 55 cm de neige en supplément chantilly).
A la sortie du métro, Chou n’a pas cherché de Vélib, déjà qu’il avait les pieds mouillés dans ses souliers aux semelles lisses. En plein milieu d’un boulevard signé Haussmann, deux gamins de 35 ans chacun se balançaient des boules de neige. Chou, qui se rappelait que d’ici quinze jours il sera au ski, finit par se détendre. «Ca va, les chaînes sont à la cave», pensa-t-il.
Dans la nuit de mardi à mercredi, une ville dense et bouillonnante comme Paris était enfin devenue sereine, débarrassée pour 24h des bruits des voitures et des sonnettes de vélos. «On n’est pas bien là, à la fraîche ?» se serait bien demandé un Gérard Depardieu badin.
Chou remarque que cela fait bien longtemps qu’il n’a pas marché sans écouteurs dans les oreilles ni smartphone dans les mains, tout concentré qu’il est à éviter une glissade qui au mieux lui mouillera le pantalon, au pire, lui foulera l’ego. Pourtant, au fur et à mesure de la descente du boulevard qui le conduit vers son bureau chauffé, il se prend à penser que Paris sous la neige a quelque chose de féerique. Les sons sont étouffés, la vue est ouatée, l’air est frais. Paris sous la neige, c’est Paris sous le silence. Le ballet des grues n’aura pas lieu aujourd’hui. Paris est bien tranquille pour une fois.
Grâce au blizzard, à l’image de Chou, le piéton avait retrouvé ses droits, sa place. La ville lui est enfin rendue, comme l’ultime cadeau d’un hiver qui n’en finit pas, pour se faire pardonner de tant d’humidité. Les bus interdits de circulation, les scooters glissant-dérapant et les vélos introuvables n’ont pas eu le temps d’hachurer la ville de leurs sillons parallèles que les piétons se concentrent pourtant au milieu des trottoirs, comme une mauvaise habitude. Sur les côtés, la neige cotonneuse et moins glissante, laissée plus longtemps intacte, rappelle que la liberté de marcher où bon nous semble ne s’impose pas comme une évidence, le citadin enneigé n’est pas un aventurier.
Si Chou et son «char», comme disent nos cousins canadiens autrement plus habitués aux flocons, sont quelque peu dépassés par les événements, d’autres savent, sinon par choix, braver les éléments et se sont mis au pas. La circulation automobile quasi inexistante et tout le monde à pied en mode de déplacement doux, un rêve éveillé pour la Reine des Neiges Hidalgo Ière ? Dommage qu’à Paris il ne neige qu’une fois tous les dix ans.
Chou n’en saura rien mais, s’il avait été attentif, il aurait remarqué que la neige tenait un discours clair quant à la place physique et réelle de chacun dans l’espace public. Mercredi matin, elle agissait comme un révélateur. Chou aurait vu des pans entiers de chaussées laissés libres au carrefour des rues, au centre des avenues, bref autant de territoires à reconquérir pour celui qui était chaussé de Moonboots. Et puisqu’en toutes circonstances il est agréable d’apprendre de nouveaux mots, surtout pour les joueurs de Scrabble, ce phénomène porte le nom de «sneckdown».
Selon son inventeur, Aaron Naparstek, le ‘sneckdown’, contraction des mots anglais ‘snowy’ (enneigé) et ‘neckdowns’ (saillie de trottoir), est une étendue révélée par l’enneigement qui permet de distinguer la surface réellement occupée par les usagers d’un espace donné, permettant ainsi par exemple d’agrandir des trottoirs là où les voitures roulent en file unique ou de raccourcir le temps de traversée des piétons, voire d’augmenter les surfaces plantées ce qui faciliterait l’absorption des eaux de pluie, etc.
Pendant 24 heures, Paris a répondu à tous les critères d’un mode de déplacement doux et écologique. Même les livreurs Just Food Uber Eat, qui tracent habituellement plus vite que leur ombre, slalomant entre les voitures, enjambant les pistes cyclables, coupant à travers les trottoirs pour parvenir à livrer des frites encore tièdes, avaient quasi disparu. La grande confrérie des coursiers s’étant en effet mise à l’abri mercredi, Chou aura sans doute mangé les restes de la veille.
Alice Delaleu