Gaétan Engasser est un architecte de moins de 40 ans qui a, en 15 ans, développé son agence à Paris en toute discrétion. Pourtant le voilà aujourd’hui engagé dans une offensive presse tous azimuts : agence de relations publiques, hors-série magazine, communiqués de presse en rafale à destination des médias français et internationaux… Un investissement de taille. Comment ? Pourquoi ?
A découvrir l’agence de Gaétan Engasser, qui donne dans la cour du 10 bis rue Bisson du XXe arrondissement de Paris squattée par nombre d’agences d’archis, il est difficile a priori d’évaluer l’âge du capitaine. Lors de la rencontre, le maître des lieux exhibera d’ailleurs successivement nombre de traits de la jeunesse, dont une forme de confiance en soi rafraîchissante, mais aussi, souvent, ceux d’un vieux briscard, dont une forme de prudence, de patience et d’astuce qui peut s’apparenter à de la sagesse.
De fait, Papa Engasser est architecte, à Sarreguemines, en Lorraine. Si le fiston indique avoir «été longtemps dans le déni de l’architecture», le déni n’a pas duré si longtemps que cela puisque Maths Sup et Maths Spé l’ont «gavé assez vite». Ce sera donc l’architecture, d’abord à Nancy (pour la doctrine), puis à Strasbourg (pour son côté Beaux-arts, les ateliers), puis une quatrième année en Angleterre (avec des projets réalisés sur la base de textes théoriques) et enfin à La Villette à Paris (pour le côté social et maîtrise d’œuvre urbaine). «Une palette variée qui me convenait car il est important pour l’architecte d’être souple intellectuellement et en même temps très ferme et très organisé», dit-il. Il fait tous ses stages sur les chantiers : «stage charpente, stage couvreur, etc. j’adorais ça».
Après son diplôme et avoir travaillé un temps dans quelques cabinets parisiens – Dusapin-Leclecq et Archi-Studio –, il trouve refuge dans le Marais, chez les frères architectes Patrick et Daniel Rubin. «Un local s’est libéré. Je n’avais pas de projet, pas de société, j’ai loué ce truc à perte pendant un an», dit-il. C’est ce qui explique la date imprécise de la fondation de son agence, «en 2003-2004». Il n’a jamais été salarié !
Avec Daniel Rubin, il réalise ses premiers appels d’offres, participe à quelques petits concours en France, fait des concours ouverts en Suisse avec son colocataire, un architecte…suisse. En 2005, il remporte le Prix Tony Garnier avec un projet d’architecture urbaine. Paul Chemetov, qui était dans le jury, lui indique rechercher un jeune urbanisme pour une opération dans le sud-est parisien.
Pour l’association Seine Amont Développement, il explore et travaille donc sur le territoire des communes de Vitry, Ivry, Choisy-le-Roi, Orly et Alfortville. «C’est avec ce truc-là que j’ai lancé l’agence», dit-il.
Ce fut d’abord GEA (Gaétan Engasser Architecte) et, depuis 2009, aEa (agence Engasser & associés). Le ‘associés’ correspondant à une obligation légale pour lancer une SARL, l’associé en question est donc Engasser père, en Lorraine, à hauteur de 10%. Très bien mais associés au pluriel ? «Parce que je me suis dit que le jour où j’en aurais besoin… J’ai fait la proposition une fois mais tout le monde n’a pas envie de diriger une agence». Bref, s’il n’est pas fermé à l’idée de s’associer un jour, en attendant, il mène sa barque d’architecte-urbaniste seul ou presque et ne s’en trouve pas plus mal.
«J’ai des chefs de pôle – concours, études, chantiers – et mon épouse, Hélène, qui est architecte, nous a rejoint à l’agence en 2015», précise-t-il. En dix ans d’une progression «douce, progressive et constante», ils sont aujourd’hui une vingtaine à l’agence.
Gaétan Engasser raconte avoir été à ses débuts d’une prudence de Sioux dans le domaine de la communication. «On te demande d’être la star, aux NAJA* par exemple, avant d’avoir construit quoi que ce soit. La moitié des Naja n’a pas produit et ne produit pas. La réalité est que tu peux te faire bouffer par la communication et les salons. Il faut savoir construire ce que l’on vend, j’ai voulu d’abord construire avant de communiquer».
Les NAJA, il y a participé plusieurs fois, il était si jeune. Il a toujours présenté des projets construits. Il n’a jamais été retenu. N’est-ce pas en construisant que l’on devient architecte ?
Il s’est inscrit dès le début autant que possible dans une commande pluridisciplinaire afin d’éviter un autre écueil de la communication : être connu pour un travail monothématique, ce qui est le cas de plus en plus d’agences de plus en plus spécialisées. «Je pense que c’est dangereux. Celui qui ne fait que des médiathèques, quand on ne construit plus de médiathèques, l’agence coule. Par exemple, nous faisons beaucoup de gymnases en ce moment, 4 ou 5 par an ; il y a quelques années, il n’y en avait pas», dit-il. Certes mais l’écueil demeure car les salles de sport en viennent à occuper beaucoup de son temps.
Il estime pourtant que la diversité des projets est, sinon une garantie, au moins une source d’équilibre pour une agence. «Tout rapporte plus que le logement alors que c’est le plus compliqué à faire. Pour faire tenir une agence, les projets publics permettent parfois d’équilibrer des projets de logements déficitaires», souligne-t-il.
Bref, en 15 ans de missions complètes, à part «beaucoup jouer la carte ‘jeune’», il n’a fait aucun effort de communication particulier mis à part les traditionnelles plaquettes. Ce n’était apparemment pas nécessaire puisque cette discrétion de bon aloi lui avait jusqu’à présent plutôt bien réussi.
Jusqu’à cette soudaine offensive médiatique en ordre serré à partir de la seconde moitié de 2017.
«Je suis convaincu que les agences d’architecture aujourd’hui n’ont plus le même statut qu’il y a cinq ou dix ans», dit-il. «Nous sommes devenus des chefs d’entreprise. Avant l’architecture évoquait les Beaux-arts, une forme d’artisanat, la transmission. Cela demeure dans la sensibilité de l’architecte mais si tu ne fais pas de communication, si tu ne vas pas au SIMI, dans les salons…» Il laisse la phrase en suspens un instant. «Certaines agences d’archi ont même des commerciaux, tu es aujourd’hui obligé de communiquer si tu veux travailler». Dont acte d’évidence.
Il concède que la communication, du moins cette campagne telle qu’il l’a organisée, «coûte cher» pour des résultats incertains mais il importe surtout pour lui qu’elle marque aussi un moment de l’agence. De fait, Gaétan Engasser a sans doute désormais matière à communiquer, ne serait-ce qu’auprès du réseau professionnel développé au fil de 15 ans de pratique. D’ailleurs son attachée de presse fait bien attention à distiller des communiqués montrant la variété de ses récentes réalisations : Maison des sports à Bezons, logements à Ivry («ce territoire me poursuit», dit-il), ou un gymnase à Metz.
Cette étape lui a également permis de faire un bilan de ces premières années, de s’interroger sur les orientations à prendre pour le futur. «Des modèles de fonctionnement sont obsolètes. Par exemple la répartition traditionnelle entre architectes et bureaux d’études ne reflète plus la réalité économique au temps passé. Certains B.E. sont devenus des boîtes à fric pendant que nous passons 30% de notre temps à gérer les défaillances ou la synthèse des B.E, BIM, environnement, etc. Les honoraires restent les mêmes alors que nous gérons des problématiques de plus en plus vastes et que le mandataire reste seul en première ligne», dit-il.
C’est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles il a créé au sein de son agence AEI, un petit bureau d’études, et un ‘think & do tank’. «La temporalité des concours est si courte, un mois, que tu n’as pas le temps de réfléchir. Avec l’ingénierie et la recherche en interne, je peux réinjecter ce travail dans les projets, sinon ce n’est pas possible», dit-il.
L’agence vient d’être retenue pour deux collèges.
Christophe Leray
* NAJA, nouveaux Albums des Jeunes Architectes, devenu AJAP, Albums des jeunes architectes et paysagistes