Un cri du coeur : «A Paris, Roland-Garros traverse une crise profonde». Turbulences d’aviateur ? Saint-Exupéry qu’on assassine ? Une crise profonde ? Frémissons ! ‘Urbanisme à Paris : la démocratie bâillonnée’. Voilà le titre d’une tribune enflammée parue dans les colonnes du Figaro*, jamais à court de boulets rouges – oups, de boulets bleus – et signée de cinq apôtres** du bon droit du citoyen. Sans eux, le déluge !
En effet, le 19 mars 2013, le quotidien parisien annonce sans détour que «deux élus parisiens, deux responsables associatifs et un philosophe» dénoncent «collectivement le manque de concertation à Paris dans plusieurs projets d’urbanisme récents».
A la lecture du pamphlet, d’aucuns comprennent vite que ces cinq-là en ont gros sur la patate et qu’ils gardent, en substance, à Bertrand Delanoë, Maire de Paris réélu et non plus candidat, un chien de leur chienne.
En substance, à partir de trois points de contention, leur indignation porte essentiellement sur le manque d’écoute du maire et l’absence de concertation auprès de ses administrés bienveillants. D’où ce titre sans nuance : ‘La démocratie bâillonnée’.
Le premier point concerne Roland-Garros, pas l’aviateur émérite et soldat téméraire mais le stade de tennis, son extension siglée mondialisation du sport et les serres d’Auteuil adjacentes, patrimoine incomparable de l’Ouest parisien. Le deuxième concerne Les Halles, le «nouveau ventre de Paris» (sic). Enfin, troisième point urticaire, la tour triangle, Porte de Versailles, ne trouve grâce à leurs yeux.
Point commun à ces trois projets de l’ire des auteurs : «las, l’organisation d’une conférence de consensus a été refusée par la ville». A chaque fois. Sans doute ont-ils, en 2007, voté pour la démocratie participative. Bref, «la capitale d’une grande démocratie se doit […] d’associer sereinement ses habitants aux décisions locales, avec patience et pédagogie». Vite, un referendum !
Certes, il y a en effet beaucoup à dire sur chacun de ces projets mais ces citoyens, pourtant visiblement concernés par l’intérêt général, ne mentionnent aucun autre sujet que leur volonté «d’enrichir le point de vue des pouvoirs publics et maîtres d’ouvrage».
La tour Triangle ? La mairie a ‘dialogué’ avec Unibail, maître d’ouvrage, lequel s’en porte à merveille. Quoiqu’il en soit, avant même sa première élection, Bertrand Delanoë avait clairement annoncé la couleur des tours. Alors, question effet de surprise, dix ans plus tard, les cocus sont toujours les derniers prévenus. Au fait, que nous disent nos experts en démocratie locale du Pentagone français, construit en PPP, dans le même quartier, à un coût pharaonique ?
Les Halles ? Par où commencer ? Les pharaons eux-mêmes n’en sauront que penser. En attendant, tout le monde, en effet, retient sa respiration. Mais bon, là encore, nos Stoïciens agonisent : «seule la municipalité décide de la place qu’elle accorde aux habitants dans la conception future de leur propre territoire». Les Halles, un territoire ? Métropolis ex-nihilo ? I don’t think so. La fontaine des Innocents n’a jamais autant mérité son nom.
Retour à Roland-Garros. Les serres. Dans ce projet d’extension, «une telle exacerbation du conflit s’explique par la détérioration du dialogue», indiquent nos exégètes. Freud, au secours !
Ce projet de la Ville de Paris mérite réflexion, certes, surtout en regard d’une récente décision de justice, mais pourquoi est-il par ailleurs si impossible de construire en ce XVIe arrondissement de Paris si courtois une nouvelle école, un IMP, une maison-relais, une habitation à loyer modérée, ne serait-ce que pour les domestiques si dévouées ? Vite, un référendum ! s’insurgent les belles âmes locales et associatives, dont la tranquillité et les certitudes ne sauraient être questionnées.
Bref, chacun est maître de ses indignations.
Mais ‘la démocratie bâillonnée’ ?
N’en déplaisent aux estimés polémistes, fussent-ils philosophes, chacun des projets qu’ils évoquent sont exécutés par un édile fort de la légitimité des urnes. Chaque projet fut débattu et voté en conseil municipal. L’opposition s’est exprimée, la presse en fit état. Les critiques ne manquent pas ; d’ailleurs invitée à trancher moult recours déposés par quelques associations d’intérêt particulier, la justice s’est prononcée à chaque étape du projet.
Bref, sauf erreur, c’est peu ou prou la façon dont cela se passe en démocratie.
La ‘démocratie bâillonnée’, sans être naïf par ailleurs, n’est-ce pas utiliser un gros titre pour muscler un mince argumentaire ? Bienvenue en Syrie ! «Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur», s’enorgueillit Le Figaro.
Surtout que, dès l’année prochaine, 2014, les municipales ! Les Parisiens vont pouvoir se déterminer en conscience. Alors, en 2013, tirer sur l’ambulance ?
Au moins, pour ce qui concerne l’urbanisme à Paris, au fond de démocratie participative, d’aucuns savent désormais que Le Figaro et ses apôtres ont choisi leur candidate : votez Ségolène !
Christophe Leray
* Le Figaro, 19 mars 2013, page 16, Débats&Opinions
** Elisabeth Bourguinat, secrétaire d’une association de quartier du centre de Paris / Jacques Boutault, maire (EELV) du IIe arrondissement de Paris / Michel Charzat, conseiller de Paris et ancien député maire du XXe arrondissement de Paris / Thierry Paquot, philosophe / Agnès Popelin, Présidente du Collectif Auteuil Les princes (CAP)
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 3 avril 2013