Il y a des élus qui n’ont quand même pas de chance. Alors même que Pierre-Christophe Baguet, maire de Boulogne-Billancourt et de l’île Seguin chère à Jean Nouvel, annonce fièrement le vainqueur – japonais comme il se doit – du concours de sa Cité de la musique, Rudy Ricciotti livre à deux pas, en grande pompe, un stade Jean Bouin qui ravit les aficionados. Rageant sans doute.
Un peu d’histoire. Sur l’île Seguin, il y a bientôt une décade, le maire précédent, Jean-Pierre Fourcade, avait un plan. Lequel incluait une ‘salle des musiques actuelles’ dont la conception, à l’issue d’un concours équitable (au sens de commerce équitable), était remportée par… Rudy Ricciotti.
Cet ouvrage, ainsi que le master-plan de l’île Seguin, furent dûment abandonnés quand Pierre-Christophe Baguet a conquis la mairie en 2008, fustigeant justement le projet de Fourcade comme «trop dense». Ce qui n’augurait de rien pour la suite.
Cinq ans plus tard, il n’y a toujours rien de construit sur l’île Seguin. Et quand Boulogne-Billancourt annonçait cet été le lauréat de sa future Cité de la musique – entre nous, rien ne dit que ce projet passera lui-même la prochaine élection municipale -, Rudy Ricciotti inaugurait au même moment, aux fenêtres de Boulogne-Billancourt (initiales BB), un stade flambant neuf exubérant de drapeaux roses. Les parachutistes de l’armée ont même fait une démonstration, atterrissant au centre du terrain avant le coup d’envoi inaugural. Le Stade français, dont c’est le domicile, eut même le bon goût de gagner son premier match au nouveau Jean Bouin. La presse fut dithyrambique.
Mais non, Pierre-Christophe Baguet n’a pas de chance. Il a dézingué le plan de Fourcade et se retrouve Gros-Jean comme devant tandis que ses amis politiques (ainsi que d’autres ennemis de Bertrand Delanoë), après avoir multiplié en vain les recours, voient donc ce nouveau stade construit et partageant le soleil avec le Parc des Princes.
Maintenant, en comptant encore Roland-Garros, voici, entre Porte de Saint-Cloud et Porte d’Auteuil, un pôle sportif de niveau mondial, tant en sport qu’en architecture.
Roland-Garros sera rénové, malgré les cris d’orfraie ; le Parc des Princes sera rénové, malgré les cris d’orfraie. Jean Bouin, c’est fait, malgré les cris d’orfraie. Quand les visiteurs du monde entier viennent et viendront visiter cet ensemble spectaculaire, que sauront-ils des orfraies ? Qui se souviendra des cris courroucés des maires du XVIe et de Boulogne-Billancourt, de ceux de leurs affidés, de leurs patrons et de leur groupies ?
Mauvais côté de la victoire, ce n’est pas de pot.
Qu’à cela ne tienne. La ville de Boulogne-Billancourt est fière d’annoncer le lauréat de sa ‘Cité de la musique’ : Shigeru Ban.
Le Parisien relève ainsi, le 11 juillet dernier, que, «dévoilé par le Conseil général des Hauts-de-Seine, le bâtiment [de l’île Seguin] se distingue par sa forme ovoïde, épousant la pointe aval de la friche industrielle. Il comporte une salle de concert qui proposera de 4.000 à 6.000 places».
Surtout, précise le confrère, «le site, réalisé par Bouygues, sera exploité par TF1 et la Sodexo. L’ex-PDG de Canal+, Pierre Lescure, est le Président du comité artistique».
Chers voisins !
Nul doute que Canal+ et TF1, déjà ‘en direct’ de Boulogne, et la Sodexo riveraine (à Issy-les-Moulineaux) ont à coeur d’oeuvrer de concert au développement de l’île Seguin de Billancourt, que nul ne saurait assassiner comme dirait Nouvel. Le Conseil général est d’ailleurs heureux d’annoncer que ce projet, son projet, sera «évidemment» un PPP.
Evidemment.
A sa décharge, après avoir cédé le terrain au Conseil général pour 1€ symbolique, ce n’est pas comme si Pierre-Christophe Baguet avait son mot à dire, à part annoncer le lauréat d’un concours qui n’est plus le sien.
Ce n’est quand même pas de chance.
Il faut pourtant accorder à l’édile la primeur de l’annonce du R4, sur l’île Seguin, un musée financé par un investisseur privé dont Jean Nouvel – SURPRISE ! – est l’architecte mandataire.
Tiens, au fait, sur les perspectives de Shigeru Ban, nul ne discerne la tour de Nouvel sur l’île Seguin, pourtant officiellement actée selon le plan B du referendum du maire. Etourderie sans doute des perspectivistes de l’homme de l’art japonais.
N’empêche, nous savons désormais que les futurs programmes de la future cité de la musique de Boulogne seront à la culture ce que la mire de l’ORTF est à l’art contemporain. Tandis que, question gastronomie, le sandwich merguez-frites y fera figure de légende urbaine.
A ce jour, sur l’île Seguin, il y a déjà le cirque et les clowns.
Une Cité de la Musique à Boulogne ?
‘THIS IS THE CHOICE’ !
D’ailleurs, quelle coïncidence, Eric Feuillade, Directeur du développement Sodexo, est l’invité, en septembre à Paris, d’un colloque ayant trait à la problématique des stades. Il fera une présentation intitulée ‘L’optimisation des recettes de restauration dans les enceintes sportives’.
Question : Sodexo est-elle lauréate du lot ‘restauration’ au stade Jean Bouin ? De la Cité de la musique ?
Ou est-ce encore pas de chance pour Pierre-Christophe Baguet ?
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 4 septembre 2013