Le coup d’envoi pour les consultations pour la conception du village des athlètes des Jeux Olympiques (JO) de Paris 2024 a été lancé le 12 mars 2019 à l’occasion du MIPIM. La course s’annonce déjà, en tous points, effrénée, tant les ambitions affichées sont débordantes, les obstacles nombreux et les vents imprévisibles.
Depuis que la planète «sports et business» a fait de Paris la terre d’accueil de 15 600 athlètes, de bien plus de touristes et des médias du monde entier à l’été 2024, politiciens et villes martèlent à qui veut bien les entendre que ces JO ne coûteront pas un bras aux contribuables. Peut-être. Mais à quel prix ?
En février 2018, l’agence de Dominique Perrault (DPA)* se voit confier par Solidéo (Société pour la livraison des ouvrages olympiques) la réflexion d’une étude urbaine sur le site du futur village des athlètes. Paris était alors à peine élue (septembre 2017). L’enjeu : 148 000 m² à aménager entre l’Ile-Saint-Denis et Saint-Ouen, d’abord, puis convertir le tout, une fois les médailles distribuées, en 2 200 logements, hôtels, résidences pour étudiants et EPHAD, ainsi que des équipements.
En moins d’un an, DPA a imaginé un projet**, et le 12 mars dernier, c’est avec une pompe qui n’a d’égale qu’une cérémonie dans un stade plein à craquer que furent annoncées les trois consultations pour, cette fois-ci, les maîtrises d’œuvre architecturales pour le Village olympique.
En réalité, elles étaient déjà murmurées à coups de mégaphones dans les médias depuis quelques jours. Solideo et Plaine Commune Développement avaient-elles peur de faire un four ? De ne pas croiser d’intéressés ?
Rappelons que les JO sont annoncés comme «la vitrine du savoir-faire français». Aux armes Cocorico citoyens ! Du savoir-faire d’opérateurs privés donc, puisque les dossiers de consultations s’adressent avant tout à des équipes constituées à la fois de promoteur(s), d’investisseur(s), constructeur(s) et de trois ou quatre architectes. L’expérience sera française nous dit-on, mais la maîtrise d’ouvrage ne sera pas publique. Au pays de la clause Molière ? D’autant que les agences étrangères, qui trustent ces derniers mois les plus beaux projets, devraient réussir à planter leur drapeau en Seine-Saint-Denis.
Trois consultations sont donc lancées simultanément pour concevoir environ 150 000 m². Avec des spécificités financières à la hauteur du projet. Si les charges foncières sont fixées, les lauréats devront avoir les abdominaux suffisamment solides pour supporter les uppercuts que représentent les six ans de portage financier. Dans l’hexagone les foncières qui en sont capables ne sont pas si nombreuses. Si des fonds étrangers sont cordialement conviés, ils ne viendront pas pour regarder le match en tribunes.
Les équipes retenues seront connues en novembre 2019, soit huit mois à peine après le lancement des consultations, pour élaborer rien moins que ce qui sera, dès 2025, une petite ville de banlieue d’environ 8 000 habitants. Après la consultation, quatre mois d’études avant le dépôt du PC, un an de conception et deux ans de chantier. A défaut de vainqueurs, on tient déjà de sérieux prétendants pour le podium d’apnée.
La compétition est millimétrée comme le programme des barres asymétriques et le suspense sera vite à son comble tant le moindre rebond risque d’être fatal, et pas seulement pour le porteur du projet. La France est certes la 6ème puissance mondiale mais les JO ne seront pas décalés parce que Bouygues, Eiffage ou Vinci seront encore en retard.
Non seulement, il s’agira de construire vite, mais aussi en équipe pour construire bien, innovant, environnemental et réversible. Trois équipes de quatre architectes, soit douze agences, et sans doute pas des moindres, devront alors jouer ensemble pour marquer et transformer l’essai. Les hommes de l’art savent bien à quel point il peut être difficile de jouer l’arbitre dans ces cas-là. Alors laisser la conception d’une ville, en si peu de temps, à si peu d’agences pose aussi des questions sur la gestion de la préparation pour éviter le crash annoncé.
Personne ne doute vraiment que le village sera sorti de terre à l’heure. Il est en revanche moins évident que toutes les exigences environnementales et d’innovations puissent être tenues dans les temps. Pour faire innovant, il faut du temps, car il est nécessaire de réfléchir, de gommer, de raturer, de faire mûrir les idées. Jusqu’où iront les compromis entre lauréats et programme, car visiblement, il n’y aura pas le temps pour tout ?
Sans parler que ce village olympique, en sus des normes françaises, va devoir aussi répondre au cahier des charges du comité olympique et, que l’on sache, celui-ci n’est pas exactement d’une grande souplesse non plus.
Le casse-tête, discipline olympique ? Pas pour Jean-Louis Missika, qui remplaçait Anne Hidalgo, maire de Paris, sur le terrain de jeu cannois, et le martelait encore haut et fort. «Le bio-sourcé doit devenir la norme. Un des objectifs est de faire franchir une étape nouvelle à la Filière Bois française que nous accompagnons. Elle ne sera plus l’exception mais la norme». En clair, les constructions seront en bois et feront la part belle au réemploi.
Donc, 148 000 m² (village) + 132 000 m² (médias) = 280 000 m² de forêts «décanopéisées», en circuits courts, pour privilégier un bilan bas carbone plus bas que celui des milliers de visiteurs attendus pour la grand-messe sportive. A moins que le permis d’expérimenter, dont le décret est paru le même jour que l’annonce du lancement des consultations – un hasard sans doute – ne facilite le réemploi des remblais des travaux du Grand Paris. Encore faudra-t-il que les filières se mettent en mode Usain Bolt, et sans relâcher l’effort avant la ligne d’arrivée, pour assurer le traitement de la demande.
La compétition tient plus du décathlon que de la promenade de santé. Les architectes devront aussi cartonner dans la catégorie «sobre et élégant», tendance natation synchronisée. Le tout sur des hauteurs qui conviennent à ceux dont on parlera sans doute peu, les riverains des quartiers alentour et les futurs habitants de ces constructions réversibles qui monteront de trois à neuf étages. Un signal de 14 niveaux sera toléré. Rien d’infranchissable pour la perche de Renaud Lavillenie.
Les barres d’obstacles du concours équestre ne pourront pas être réemployées avant la deuxième vie du village olympique, financée par le CO-JO. Mais d’aucuns s’inquiètent surtout de la montée des prix dans des quartiers populaires, pas encore prêts à la gentrification.
Pour le podium final, rendez-vous en novembre !
Alice Delaleu
*Voir nos articles A Paris, un village olympique irréversible ? et ** Pour les Jeux Olympiques, Paris est un village
*** Décret n° 2019-184 du 11 mars 2019 relatif aux conditions d’application de l’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation, publié le 12 mars 2019 au Journal officiel.