Il y a un an, les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, ensanglotaient (comme dirait l’autre) Paris et la France. En un vaste mouvement spontané, les gens se sont retrouvés, quasi naturellement, place de la République à Paris. C’est de là qu’est partie la plus grande manifestation de 2015, dans une forme de tristesse joyeuse s’il est permis de s’exprimer ainsi.
La statue de la République, et son piédestal, sont de ce jour devenu un mémorial. Pas un jour sans une bougie, sans un touriste, sans un selfie. On n’avait rien vu de pareille invention populaire, au sens propre du terme, depuis les cadenas d’amour du Pont des arts. Et c’était chaque jour autant de tributs aux victimes de ces attentats cruels – ne le sont-ils pas tous ?-, hommage à la liberté de la presse mais, au-delà, aussi à la liberté de croire en un dieu quelconque en cette république si peu autoritaire, et encore à la liberté d’être intelligent en rigolant. Tous les ex voto de la place de la République en témoignent.
Cela écrit, rien de tout cela ne serait arrivé si TVK – Antoine Viger-Kohler et Pierre-Alain Trévelo -, la Ville de Paris maître d’ouvrage, n’avaient pas redessiné la place actuelle. Les architectes proposaient dès le concours «un plateau d’évolution disponible et appropriable». Ils ne savaient pas encore à quel point ils avaient raison tant, pour ce qu’il en est des attentats, TVK ne pouvait pas prévoir.
Souvenons-nous, avant la décision en 2008 de la ville de Paris de réaménager la place, la statue était un rond-point, des voitures tout autour. Il n’y avait aucun accès piéton à la statue et, inaccessible, nul n’y prêtait plus attention. De chaque côté des squares, également si peu accessibles, avec leurs petites clôtures vertes et pelouses rachitiques offertes aux clochards et aux pigeons dégénérés. Le projet de TVK de rendre presque tout ce volume (2 hectares de surface piétonne) en espace public était certes audacieux en 2010, surtout en optant pour une vision minérale de l’espace, débarrassé même de toute affectation liée à la ‘greenitude’ de l’air du temps.
D’aucuns leur en ont voulu : «Quoi, déjà que Paris manque de verdure, vous voulez détruire des espaces verts existants et gnagnagna….», Pierre Marcelle, quelques jours après son inauguration en 2013, parlant lui dans Libération d’un «vide mortifère». Soit-dit en passant pour les Cassandres de l’apocalypse, le flux de circulation automobile s’écoule désormais plutôt mieux aujourd’hui qu’avant.
La notion de rive est ici intéressante. Pourquoi en effet faire passer la circulation sur la rive gauche, ou sud, de la place, là où sont justement les brasseries et commerces, plutôt que sur la rive droite, devant le Crown Plaza Hotel et la caserne ? Il est permis d’imaginer par exemple que les brasseries du lieu auraient pu s’étendre, un peu comme sur la place de la comédie à Montpellier, et ces terrasses seraient devenues en été un décor à selfie incontournable, sans parler même de business. C’était d’ailleurs la proposition de la plupart des candidats du concours.
Aujourd’hui, à l’usage, le choix de TVK se révèle le bon. Le présupposé piéton de la place imposait une rive ‘douce’ du côté du canal St Martin, dans un quartier lui-même de plus en plus dévolus aux piétons, la rue du faubourg du temple fermée à la circulation offrant un accès direct au canal. En plus cette option n’interdit pas le passage des bus, des engins de la caserne et l’arrivée et départ des taxis aux pieds de l’hôtel. De fait, les trottoirs côté rives gauche ont été dimensionnés pour un large passage piéton et suffisamment d’espace pour les terrasses de profiter du soleil d’été. Cela aurait été le cas si ce n’est pour cette satanée loi imposant en 2011 aux débits de boissons et restaurants de clore leurs terrasses. (C’est là un autre sujet de discussion quant à ce qui participe de l’espace public quand il ne devient plus qu’un espace privé recevant du public, nuance. Notons d’ailleurs qu’en terrasses, il y eut d’abord le chauffage, puis aujourd’hui l’enfermement obligatoire, bientôt les caméras de surveillance.).
Sans compter qu’il était sans doute plus facile de gérer le trafic côté IIIe arrondissement plutôt que du côté du Xe arrondissement. Et puis il y avait un café – un ‘café du monde’ un peu court pour ce qu’il s’agit du concept – qui pouvait lui, avant qu’il ne brûle, s’étendre en terrasse directement sur la place. Il sera bientôt reconstruit.
Dès le concours, TVK avait proposé «un projet compatible avec les grandes manifestations citoyennes». Clairvoyance. En janvier 2015, des milliers de personnes sont descendues à République, en nombre incroyable, sans panique, bientôt toutes étonnées de se retrouver là. S’il y avait encore eu des voitures autour de la statue, les gens auraient peut-être cherché un autre endroit où se retrouver et ne l’aurait peut-être pas trouvé, sauf à Bastille sans doute, un autre rond-point.
Les premiers à s’en être aperçu sont les skateurs parisiens (visibles déjà sur les pers de TVK), qui ont fait de la place l’un de leurs terrains de jeu. Ils viennent même maintenant carrément avec leur propre mobilier urbain et la place retentit de leurs clac clac clac comme ils sautent et rebondissent sur les pavés de béton. Ces fameux pavés dont les joints laissent quelque peu à désirer, à tel point que des travaux de maîtrise d’œuvre sont engagés juste en dessous dans la station de métro République, l’une des plus grandes de Paris, qui fuit ça et là. Au fond pourtant, ces désordres sont accessoires – ce n’est pas comme si le métro était inondé d’une suée centennale – tant cet aménagement public et urbain était pertinent. Depuis janvier 2015, chaque jour, les skateurs passent devant cette République où brûlent les bougies et les souvenirs, tous les jours, chaque jour, clac clac clac. Les architectes de TVK ont permis que cela se produise.
Toujours est-il que quand la seconde vague d’attentats a frappé le pays en novembre dernier, c’est là encore que les gens sont allés spontanément se recueillir. Et encore plus de bougies et d’ex voto et les news du monde entiers qui toutes avaient leur propre tente blanche, comme dans un camp de réfugié, les animateurs faisant le pied de grue, les équipes de CNN et de NBC logées au Crown Plaza à deux pas. Ah le gai Paris ! La France aurait eu l’air de quoi avec ses pancartes «Interdit de marcher sur la pelouse» ? Et encore suffisamment d’espace pour, au bout de la place, caser tous les camions techniques des chaînes d’info du monde globalisé.
Le fait est que la nouvelle place de la République a su accommoder sans encombres, en termes de flux disons, et pour la deuxième fois de l’année hélas, un gigantesque évènement citoyen. Pas un mort, pas un blessé lors de ces vastes rassemblements, pas même lors d’une crise de panique à l’explosion d’une ampoule, pas même lorsque la police et les ultras eurent décidé d’en découdre pour lâcher de la tension. Ailleurs dans le monde, on se piétine allègrement, souvent à mort. Peut-être que si un autre projet avait gagné, le résultat aurait été le même mais, en l’occurrence, c’est la réalisation de TVK qui mérite ici d’être mise en exergue.
Surtout, la plus grande réussite de l’agence est ailleurs. Auparavant, tout le monde s’en foutait un peu de cette statue couverte de merde de pigeons au milieu d’un rond-point. Et pour dire la vérité, tout le monde s’en foutait des squares. Pourtant, dans le cadre d’un nouvel aménagement urbain et d’évènements extraordinaires, ce qui n’était alors qu’un bronze de Marianne est devenu un relais collectif de célébration et a retrouvé toute sa force symbolique. La république c’est nous et on y vient à pied (même si on peut y passer en voiture et en skate). Merci TVK.
Christophe Leray
PS. Normalement, en l’occurrence, nous aurions dû dire aussi « Merci Delanoë », mais comme c’est le même qui nous laisse la canopée des halles…
PS2. Bonne et heureuse année 2016 à tous