Dans Le Troisième homme, de Graham Greene, le personnage d’Harry Lime est impliqué dans un trafic de pénicilline frelatée sur le marché noir. Dans un Paris confiné, la photographe Erieta Attali devine l’ombre d’un ami qui ne nous veut pas du bien. Chronique-Photos.
En tant que photographe d’architecture et de paysage, à l’aide d’un appareil photo grand format encombrant, j’explore depuis près de trois décennies les limites des structures artificielles et leur dissolution dans la nature aux frontières du monde. Tout ce temps, j’ai intentionnellement, et presque complètement, évité les sujets humains.
L’absence d’êtres humains dans mon corpus photographique ne signifie pas l’exclusion de la présence ou de la mémoire humaines ; plutôt l’inverse. Bien qu’étant fascinée par la désolation stérile des paysages lointains, je finis toujours par chercher une trace, voire un souvenir, de la présence humaine.
Dans ce qui a été un tournant majeur dans ma carrière, je suis arrivée à Paris il y a plus d’un an avec l’intention de capter la naissance d’un nouveau paysage urbain.
L’idée est de localiser le long de la Seine les zones de transition et de les relier au travers d’un compte rendu photographique ; un récit qui commence avec Paris et son centre historique avant de se diriger vers la Seine et ses transformations. Ce récit permet de suivre l’expansion constante de l’environnement bâti et la dynamique qui en est issue.
Sous la menace d’un virus et appelée à vivre dans l’isolement, j’ai vu les rues surpeuplées de Paris se transformer progressivement en un paysage désolé ; un paysage d’une beauté terrifiante, teinté du malaise mal dissimulé sur les visages de ceux qui, rares, sortent de chez eux après le crépuscule. Seuls les joggers occupent le long silence de Paris.
Cette fois, je n’ai pas utilisé mon appareil photo Linhof. J’ai décidé de photographier le silence né de l’absence humaine à Paris – quand la ville devient presque un décor de cinéma – avec un iPhone. En permettant d’errer rapidement à travers la cité pendant les fenêtres « d’exercice » d’une heure autorisées par les autorités, ce médium convient à cet étrange mode de vie du XXIe siècle.
Le choix d’images en noir et blanc à contraste élevé vise à souligner l’expérience émotionnelle du confinement et à capturer cette ambiance cinématographique, avec des échos d’une ère d’après-guerre oubliée depuis longtemps.
Les bâtiments et les avenues sont engloutis par une obscurité mystérieuse et immobile, les monuments – normalement inaudibles dans le chaos bruyant de la ville – murmurent à voix basse et il émane des statues une beauté nouvelle et intemporelle.
L’asphalte domine les avenues, des cyclistes livrent de la nourriture aux millions de citoyens enfermés, des bus vides, des coureurs solitaires, moi-même l’un d’entre eux, essayant de percevoir la ville qui défile rapidement dans les 60 minutes imparties de la vie en plein air.
Dans cette ambiance crépusculaire, partout je crois apercevoir le « Troisième homme » caché derrière le recoin sombre d’un immeuble.
Erieta Attali
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Traduit de l’anglais par C.L.